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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Le Pari(s) de la modernité
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Janvier 2024 | Temps de lecture : 31 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Le Paris de la modernité (1905-1925) » qui ouvre au public le 14 novembre et sera visible jusqu’au 14 avril 2024 au Petit Palais, à Paris.

Autant vous le dire tout de suite : cette exposition, c’est un truc de dingue ! En terme de nombre d’œuvres d’art exposées, de notoriété des œuvres d’art exposées, mais aussi en terme de matière à penser.

Après « Paris Romantique (1815-1858) » et « Paris 1900, la Ville spectacle », le Petit Palais consacre le dernier volet de sa trilogie au « Paris de la modernité (1905-1925) ». Et nous en met plein la vue ! Il fallait bien ce feu d’artifice d’œuvres d’art pour évoquer ces vingt années parisiennes tourbillonnantes marquées par la Grande Guerre, certes, mais aussi parallèlement par un bouillonnement créatif hors du commun. Parallèlement… ou consécutivement ? Les deux mon capitaine. La folie de la guerre des tranchées n’a fait qu’ajouter à la folie de la modernité qui a soudain submergé la France. Les horreurs vécues au front par les Poilus n’ont fait qu’accélérer l’audace des artistes face à l’absurde meurtrier, tout autant que la libération des femmes se retrouvant aux manettes à l’arrière-front. Les corsets ont volé en éclats autant que les obus. Et je ne vous parle pas de l’explosion industrielle et mécanique qui a fait accélérer le monde…

Que diront dans un siècle les experts du marché de l’art à propos des œuvres d’art qui seront nées pendant ou juste après la guerre en Ukraine, le massacre israélo-palestinien… en espérant qu’il y ait un après ? Le tout sur fond d’une intelligence artificielle galopante comme le fut l’industrialisation et la croissance économique au temps de l’art moderne ! Sur fond aussi de montée des extrémismes religieux alors que s’imposait la laïcité en 1905 avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat. On ne dira jamais assez à quel point l’histoire se répète. A quel point les artistes contemporains, avec leur talent pour sentir et ressentir ce que raconte l’époque, sont des lanceurs d’alerte. Penser à ce qui a finalement suivi la « belle époque de la modernité » fait frémir. Mais revenons à notre « innocente » exposition… baptisée « Le Paris de la modernité », et non pas « Le pari de la modernité »… dont on n’est pas sûr qu’il soit gagné.

Comme l’écrit Maureen Marozeau dans le numéro de novembre de Beaux Arts Magazine, en notant que sont « réunis dans un seul et même lieu, un aéroplane de 1911, des toiles cubistes, des bijoux signés Cartier, des costumes des Ballets russes de Nijinski, un ready-made de Marcel Duchamp, une voiture de sport de 1913 modèle Bébé Peugeot, des statuettes d’art africain, un casque à motif camouflage de l’armée américaine… », cette exposition consacrée « à une période faste de l’histoire parisienne, Le Paris de la modernité (1905-1925) est la promesse d’une immersion totale dans le passé de la Ville-Monde. » Il faut dire que « Juliette Singer, conservatrice en chef, a mené seule ce projet que les mois de confinement de 2020 ont permis de faire mûrir. Minutieuse, la sélection d’œuvres rappelle la puissance créative et le rayonnement culturel de la capitale, que la Grande Guerre aura finalement eu du mal à freiner. »

Le parcours présente près de 400 oeuvres d’art de Robert Delaunay, Sonia Delaunay, Marcel Duchamp, Marie Laurencin, Fernand Léger, Tamara de Lempicka, Amedeo Modigliani, Chana Orloff, Pablo Picasso, Marie Vassilieff et tant d’autres. À travers la mode, le cinéma, la photographie, la peinture, la sculpture, le dessin, mais aussi la danse, le design, l’architecture et l’industrie, l’exposition donne à vivre et à voir la folle créativité de ces années 1905-1925. Avec son parcours, à la fois chronologique et thématique, elle tire son originalité du périmètre géographique sur lequel elle se concentre largement : celui des Champs-Élysées. Ce quartier est en effet au cœur de la modernité à l’œuvre. Le Grand Palais accueille alors chaque année la toute dernière création aux Salons d’Automne et des Indépendants, y sont montrées les œuvres du Douanier Rousseau, d’Henri Matisse, de Kees van Dongen parmi tant d’autres. Et n’oublions pas que le Salon d’Automne de 1905 ouvre le bal en faisant rugir ses Fauves !

Eh oui, Camoin, Derain, Manguin, Marquet, Matisse et Vlaminck : toutes exposées dans la salle VII du Grand Palais, leurs œuvres d’art à vendre sont en 1905 jugées inacceptables par l’ensemble des critiques d’art. On parle à l’époque de « bariolages informes », de « brosses en délire », « de mélange de cire à bouteille et de plumes de perroquet ».  Un buste placé au centre de la pièce fait alors écrire à Louis Vauxcelles : « C’est Donatello parmi les fauves ». La formule plaît tellement que la salle est bientôt rebaptisée « la cage aux fauves ». Ce qui ne contrarie pas du tout les artistes en question, au contraire, puisqu’ils deviendront les illustres chantres du Fauvisme. Ni les marchands d’art, qui verront tout de suite le potentiel de cette modernité artistique.

Et la journaliste de Beaux Arts Magazine de nous le rappeler : « Dans cette brèche s’infiltre ce qui, peu à peu, va devenir un torrent. Cubisme, futurisme, influence des arts extra-européens… les jeunes talents font preuve d’une audace illimitée, comme s’il fallait à tout prix enterrer le XIXe siècle et inventer un monde nouveau. » Tiens, tiens, « inventer un monde nouveau »… Voilà encore une expression qui résonne tout particulièrement aujourd’hui n’est-ce pas ? Le marché de l’art contemporain n’est-il pas truffé d’œuvres d’art à vendre exigeantes, et exigeant un monde où serait enfin protégée la nature ? Un monde où les nationalités et les religions pourraient cohabiter en paix sur la planète ? Un monde qui aurait tiré leçon des crises économiques et des pandémies ?

Quand je vous disais que cette exposition donne beaucoup à penser… J’ai d’ailleurs bien du mal à vous en parler en termes artistiques ! Même la journaliste de Beaux Arts Magazine a plutôt choisi l’angle historique pour aborder le sujet qu’elle déroule sur huit pages superbement illustrées. Précisons tout de même que l’exposition entend également mettre en valeur le rôle des femmes durant cette période. Des artistes comme Marie Laurencin, Sonia Delaunay, Jacqueline Marval, Marie Vassilieff ou encore Tamara de Lempicka participent pleinement aux avant-gardes. Symbole d’émancipation féminine, la silhouette de la garçonne est immortalisée par le roman éponyme de l’écrivain Victor Margueritte en 1922. Joséphine Baker en est aussi l’incarnation, elle qui s’inscrit dans un mouvement de métissage croissant au sein de la société française. L’Antillaise Aïcha Goblet, célèbre modèle d’artiste, est immortalisée par Vallotton. Des bas-fonds interlopes aux cercles mondains les plus huppés, des personnalités telles que Max Jacob ou Gertrude Stein jettent des ponts. Les plus pauvres croisent les plus riches à Montparnasse, et les plus chanceux retiennent l’attention de généreux mécènes, comme Chaïm Soutine, avec le milliardaire américain Albert Barnes. Venant du monde entier, les artistes comme les touristes font plus que jamais de Paris la « capitale du monde ».

Mais revenons-en aussi à l’aspect géographique de cette exposition dont la scénographie réalisée par Philippe Pumain nous permet de plonger dans cette période foisonnante et passionnante, rythmée par de nombreux films de René Clair, Fernand Léger ou Charlie Chaplin. Durant la Première Guerre mondiale, le Petit Palais joue un rôle patriotique important, en exposant des oeuvres d’art mutilées et des concours de cocardes de Mimi-Pinson. En 1925, il est au centre de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes où se côtoient pavillons traditionnels, Art Déco et de l’avant-garde internationale, à destination toutefois d’une poignée de privilégiés pour qui la modernité se concrétise par un certain « art de vivre ». À quelques pas, dans l’actuelle avenue Franklin Roosevelt alors appelée avenue d’Antin, le grand couturier Paul Poiret s’installe dans un superbe hôtel particulier en 1909. Il marque les esprits en y organisant en 1911 la mémorable fête de « La Mille et Deuxième Nuit ». Le lieu abrite aussi la galerie d’art Barbazanges, où le fameux tableau souvent cité pour ouvrir cette époque, Les Demoiselles d’Avignon de Picasso, est révélé pour la première fois en 1916. La guerre n’est pas finie, mais l’art n’en fait qu’à sa tête.

Après la guerre, la galerie d’art Au Sans Pareil, avenue Kléber, s’ouvre à Dada et au Surréalisme. Avenue Montaigne, le Théâtre des Champs-Élysées accueille les Ballets russes puis les Ballets suédois jusqu’en 1924 avec des créations comme Relâche et La Création du Monde. En 1925, Joséphine Baker y fait alors sensation avec la Revue Nègre. Elle fréquente Le Boeuf sur le Toit qui s’installe en 1922 rue Boissy d’Anglas où Jean Cocteau attire le Tout-Paris.

Bref, je ne peux que vous recommander de faire suivre la visite de cette exposition fleuve par une belle randonnée pédestre à thème dans le quartier, en fredonnant « Aux Champs-Elysées »… et non sans avoir repris des forces !

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

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