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Au grand bal des fauves
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Novembre 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Matisse, Derain et leurs amis. L’avant-garde parisienne des années 1904–1908 », à voir au Kunstmuseum de Bâle (Suisse) jusqu’au 21 janvier 2024.

Le Kunstmuseum Basel consacre sa grande exposition temporaire au premier courant d’avant-garde du XXe siècle : le fauvisme. À travers quelque 160 œuvres d’exception, dont plusieurs visibles pour la première fois en Suisse, le visiteur revit l’expérimentation révolutionnaire de la couleur dans laquelle se sont aventurés, au début du XXe siècle, un groupe informel de peintres autour de Henri Matisse, André Derain et Maurice de Vlaminck. Ces artistes iconoclastes encore inconnus à l’époque, seront qualifiés de « Fauves » par Louis Vauxcelles dans un article paru en 1905, après que le critique d’art se soit emporté au Salon d’automne devant un buste en s’exclamant : « C’est Donatello parmi les fauves ! ». L’appellation restera. Une manière de pointer la rupture consommée par ces artistes avec les conventions académiques, à la fois par leur usage expressionniste de la couleur, par leurs associations de tons inhabituelles et souvent crues, et par leur refus de restituer à l’identique les coloris de la nature.

« Le fauvisme a été pour nous l’épreuve du feu (…) Nous étions à l’ère de la photographie. Cela a pu influencer notre réaction contre tout ce qui pouvait ressembler à une instantanée de la vie. Peu importait que nous nous éloignions des choses ; ce n’était jamais suffisant. Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite », a écrit André Derain. On comprend l’explosion des critiques d’art en découvrant aussi au Salon d’automne de 1905 les œuvres d’art à vendre de Camoin, Manguin, Marquet, Matisse et Vlaminck.

Les tableaux aux couleurs crues sont évidemment choquants pour le public de l’époque, présentant en outre des motifs se référant à la peinture naïve française, comme celle du Douanier Rousseau, ainsi que des emprunts formels à l’art non occidental et à des traditions visuelles du Moyen Âge. La qualification de « fauves » symbolise le discrédit jeté par la haute bourgeoisie parisienne, aux goûts culturels conservateurs, sur la peinture progressiste en général. Le groupe informel d’artistes autour de Matisse et Derain s’approprie immédiatement cette désignation méprisante et tire profit de l’effet de scandale.

Le fauvisme devient le premier courant d’avant-garde du XXe siècle. Pendant une brève période, de 1904 à 1908, il donne le ton dans la métropole artistique qu’est Paris. Son influence va d’ailleurs se faire sentir bien plus longtemps. Georges Braque, Raoul Dufy et Kees van Dongen, entre autres, rejoignent le mouvement. On est à la fin de la Belle Époque, à un moment où la société moderne des grandes villes se développe rapidement. La mobilité progresse, la publicité et le tourisme deviennent de véritables industries. Dans cette grande exposition, la vision conventionnelle que nous avons du fauvisme est également remise en question. Une place est faite à des artistes méconnues – notamment à Émilie Charmy et Marie Laurencin – et, de manière inédite, est mis en lumière le rôle primordial qu’a tenu la galeriste Berthe Weill dans le commerce des œuvres fauves. Mais aussi plus généralement le rôle des critiques et du marché de l’art lors de l’apparition et de l’affirmation de ce courant artistique auquel se rattache directement le cubisme. Le fauvisme a marqué les débats picturaux de la modernité et au-delà.

L’exposition bâloise met en évidence la manière dont le fauvisme s’affirme au sein d’un marché de l’art alors très instable. Les peintres ne disposent d’aucun programme esthétique précis défini par des écrits ou des manifestes ; en outre, ils appartiennent à des milieux sociaux et artistiques hétérogènes. Ils partagent toutefois le même intérêt pour la peinture postimpressionniste et néo-impressionniste de Georges Seurat, Vincent van Gogh, Paul Cezanne et Paul Gauguin.

Peinte quelques mois après le Salon d’automne, vers 1906 ou 1907 pense-t-on, à peu près au même moment que Les Demoiselles d’Avignon de Picasso, « La Danse est non seulement un des chefs-d’œuvre de Derain, mais aussi de la première décennie du XXe siècle », souligne Josef Helfenstein, l’un des commissaires de l’exposition du Kunstmuseum Basel, avec Arthur Fink et Claudine Grammont. Le tableau est l’un des moments forts de l’exposition, faisant écho dans le parcours à une autre représentation magistrale signée Matisse : Luxe, calme et volupté. Une œuvre peinte en 1904 auprès de Paul Signac et qui inaugure le thème de l’âge d’or si cher à Matisse et à Derain. « Dès lors, leurs représentations utopiques se répondent et se font écho », observe Josef Helfenstein.

C’est sur La Danse d’André Derain, chef-d’œuvre de cette aventure picturale historique, que le magazine L’Oeil de septembre a choisi de faire son « Arrêt sur image » confié à la journaliste Marie Zawisza. Relevant quatre détails pour quatre thématiques, afin de mieux évoquer à partir de cette œuvre en particulier les caractéristiques du fauvisme en général :

« De la couleur avant toute chose. » Les fauves ont décidé de s’affranchir des couleurs de la nature, de jouer des contrastes et d’oser les associations chromatiques vives et audacieuses. Pendant que le cubisme explore la structuration de l’espace, eux s’occupent de mêler les tonalités intenses et chaudes en arabesques sans doute inspirées de l’art oriental. On voit bien aussi dans La Danse combien les artistes ont été influencés par la flamboyance de Vincent Van Gogh et par les édens tahitiens de Paul Gauguin.

« Un thème classique revisité. » Les nus féminins sont ici revisités par Derain dans la tradition picturale des baigneuses qui s’est développée au fil des œuvres de Delacroix, Corot, Courbet ou Cézanne. Mais c’est dans un syncrétisme révolutionnaire que le peintre tisse tradition et modernité, curiosité pour les arts lointains et goût pour l’art médiéval.

« L’influence notable des arts lointains. » Une danseuse de dos au visage de profil, comme sortie d’un conte oriental, évoque aussi bien l’art égyptien que l’art indien. Après avoir visité le musée Guimet à Paris, mais aussi les collections du British Museum à Londres, Derain avait écrit son enthousiasme à Vlaminck : « C’est pharamineux, bouleversant d’expression ».

« Le serpent et l’oiseau, symboles de vie et de liberté. » Ici, le serpent ne semble nullement menaçant en enlaçant les danseuses. On est loin de l’animal tentateur symbolisant le mal dans la Genèse. Au contraire dans les cultures asiatiques, il évoque par ses mues le cycle de la vie, les renaissances, la fertilité et la créativité. De la même façon que l’oiseau aux plumes bariolées, en haut à droite de cette toile monumentale, évoque la liberté et l’utopie d’un monde qui n’est pas détruit par les hommes…

 

Illustration : André Derain, La femme en chemise, 1905, Statens Museum for Kunst, Kopenhagen © 2023, ProLitteris, Zurich

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