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La pensée nourrie d’art de Jaques Lacan
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Mars 2024 | Temps de lecture : 27 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de « Lacan, l’exposition – Quand l’art rencontre la psychanalyse », visible au Centre Pompidou-Metz jusqu’au 27 mai.

L’idée est brillante. Attirer les foules dans une exposition en Grand Est qui développe la pensée d’un psychanalyste... il fallait oser. Car Jacques Lacan (1901-1981) a beau être célèbre, ses concepts n’en sont pas moins très obscurs pour le commun des mortels… Je pense donc que le prêt par le musée d’Orsay de la fameuse œuvre d’art de Gustave Courbet intitulée « L’origine du monde » est LA clé. D’autant qu’ayant en dernier lieu appartenu à Jacques Lacan lui-même, qui l’avait faite dissimuler derrière un tableau commandé tout spécialement à l’artiste André Masson, la légitimité de sa présence ici ne peut absolument pas être mise en doute. Celles et ceux qui n’ont encore jamais eu l’occasion de voir ce plan serré sur un sexe féminin autrement que sur des reproductions jubilent désormais à la perspective de pouvoir aller faire des selfies devant la sulfureuse toile connue du monde entier ! Car depuis le procès intenté et gagné en 2018 par la justice française contre Facebook qui supprimait les comptes de ses abonnés postant L’Origine du monde, l’œuvre d’art peinte en 1866 n’a vraiment plus aucune raison de se cacher...

Mais avant d’atteindre cette « carotte », les visiteurs de « Lacan, l’exposition – Quand l’art rencontre la psychanalyse », au Centre Pompidou-Metz, devront bien sûr arpenter d’abord tout le parcours permettant d’appréhender la figure unique et complexe de Jacques Lacan, ami des Surréalistes, proche de Merleau-Ponty et de Claude Lévi-Strauss, demeurant à ce jour l’un des penseurs les plus influents dans le monde entier. Celui en tout cas qui a énoncé un jour que l’artiste, toujours, précède le psychanalyste. Une théorie aujourd’hui à l’origine de cette exposition, en vérité aussi passionnante qu’inédite, autour de ses liens avec l’art et les artistes, réunissant plus de 350 œuvres d’art dont d’éminents chefs d’œuvres, comme le Narcisse du Caravage.

« Comment démocratiser l’accès à l’une des pensées les plus exigeantes, tortueuse souvent, du siècle passé ? » interroge Emmanuelle Lequeux dans son article pour le numéro de janvier de Beaux Arts Magazine. « Le modèle de (cette) exposition pourrait s’avérer idéal, qui sert à merveille l’objectif des quatre commissaires (deux psychanalystes et deux historiens de l’art) : évoquer le plus éminent rival de Sigmund Freud non comme un visionnaire, mais comme un homme qui aidait à voir. »

Comme le rappelle la journaliste de Beaux Arts Magazine, « des années 1930 à la fin de sa vie, en septembre 1981, Lacan s’est entouré des artistes les plus divers, les accompagnant de sa pensée, s’en nourrissant aussi. Avant-guerre, il fait partie de la très secrète société Acéphale, orchestrée par Georges Bataille. Il fraie avec Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Valentine Hugo (…) Il est aussi le seul, avec Jean-Luc Godard, à applaudir au film Daddy (1973) dans lequel Niki de Saint Phalle dénonce les abus de son père incestueux (Lacan raffolait sans doute du paradoxe de porter un tel nom hérité du père abuseur). Pas un de ses fameux séminaires à l’Ecole normale supérieure, suivis par toute l’intelligentsia de l’époque, n’est dépourvu d’une allusion à un tableau, une sculpture… »

Il est donc finalement étonnant de constater que si des hommages et des expositions ont déjà considéré la plupart des figures intellectuelles que sont Roland Barthes, Michel Foucault, Jacques Derrida et Gilles Deleuze, la pensée de Lacan restait quant à elle à ce jour, sur le plan muséal, inexplorée. Alors que ce dernier a entretenu une relation vraiment très forte avec les œuvres d’art. Lacan a en effet fréquenté Salvador Dalí, André Masson, Georges Bataille… Il a été le médecin de Pablo Picasso ou encore le psychiatre (pas très inspiré toutefois) de la délaissée Dora Maar… n’ayant de cesse de puiser dans l’art de tous les temps pour son enseignement. Plus de 40 ans après la mort du psychanalyste, l’exposition du Centre Pompidou-Metz explore donc les relations privilégiées de Lacan avec l’art en mettant en résonance à la fois les œuvres d’art qu’il a lui-même indexées, les artistes qui ont rendu hommage à sa pensée, et les œuvres modernes et contemporaines qui font écho aux grandes articulations conceptuelles de cette fameuse pensée.

Où l’on constate que Lacan ouvre finalement un champ novateur qui s’inscrit au cœur de notre modernité et de notre actualité. Car ne se débat-on pas aujourd’hui avec des problèmes de sexe, d’amour, d’identité, de genre, de pouvoir, de croyances ou d’incrédulité ? Autant de questions sur lesquelles le psychanalyste a apporté des repères précieux.

Le parcours est à voir et à expérimenter comme une traversée des notions spécifiquement lacaniennes, à commencer par le stade du miroir, qui a fasciné nombre d’artistes et de cinéastes. Puis est interrogé le concept de lalangue, mot inventé par Lacan pour désigner une forme et une fonction du langage plus en prise avec ce que le psychanalyste qualifie de réel, et qui résonne avec le travail d’artistes qui ont joué avec les mots, le double sens, le babillage, voire le langage des oiseaux, sans oublier le rapport à la poésie. La section Nom-du-Père est quant à elle l’occasion de repenser la notion patriarcale. S’ouvre alors la section de l’objet a, une invention de Lacan pour qualifier l’objet cause du désir en tant que manque, reste et chute, qui se déploiera en de multiples orientations : chute, phallus, sein, corps morcelé, merde, voix, rien, regard et, enfin, trou.

La section La Femme n’existe pas est dédiée à la fameuse formule de Lacan qui insiste sur le fait qu’il n’existe pas d’essence de la femme. Elle permet de montrer les œuvres d’artistes qui mettent en perspective les représentations misogynes. La féminité est souvent multiple, et la section mascarade rend hommage au concept de la psychanalyste britannique Joan Rivière, repris à son compte par Lacan. La mascarade est à l’œuvre chez de nombreux artistes qui recourent aux travestissements, confirmant la position de Lacan pour qui l’anatomie n’est pas le destin, à savoir que le genre ne correspond pas nécessairement au sexe assigné à la naissance.

Selon la fameuse formule de Lacan, Il n’y a pas de rapport sexuel. Tel est le titre d’une section organisée autour de la réplique du Grand Verre de Duchamp, dans lequel la jouissance de la mariée du registre du haut s’effectue sans qu’il y ait de contact physique avec les célibataires du registre du bas. L’amour, qui est pour Lacan « ce qui supplée à l’absence de rapport sexuel », est néanmoins ce qui ouvre à la jouissance – « Seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir ». Une section explore la jouissance, féminine d’abord, dont Lacan situe l’acmé dans les jaculations mystiques figurées dans L’Extase de sainte Thérèse du Bernin, et qui trouvent des avatars contemporains dans les œuvres d’Anselm Kiefer, ORLAN, jusqu’aux performances des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence.

Les dernières années de l’enseignement du psychanalyste font la part belle à la topologie, aux nœuds borroméens, aux bandes de Moebius et autres bouteilles de Klein. Enfin, la dernière section de l’exposition reflète autant l’intérêt porté par Lacan pour les nœuds et tressages de François Rouan, artiste qu’il rencontra à la Villa Médicis et pour lequel il écrivit un texte, que l’influence des préoccupations topologiques de Lacan sur les artistes contemporains.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : René Magritte, The False Mirror [Le Faux Miroir], 1928
Huile sur toile, 54 x 80.9 cm
© Adagp, Paris, 2023 / Photo © Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence

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