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Gertrude Stein comprenait Picasso
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Novembre 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Gertrude Stein et Pablo Picasso – L’invention du langage », visible au musée du Luxembourg, à Paris, jusqu’au 28 janvier 2024.

Parmi les innombrables événements ayant fleuri cette année à l’occasion de la célébration du 50e anniversaire de la mort de Picasso, le Musée du Luxembourg propose depuis le 13 septembre et jusqu’au 28 janvier 2024 une grande exposition sur l’histoire d’une amitié hors norme, entre deux icônes du XXe siècle : le peintre mythique Pablo Picasso et l’écrivaine, papesse des arts, Gertrude Stein. A noter que le premier définissait la première comme « un homme de lettres », et que le numéro de septembre de Beaux Arts Magazine la révèle comme une « psychanalyste de la création ».

Gertrude Stein (1874-1946), une immigrée juive américaine, à la fois écrivaine, poète et esthète, s’installe à Paris dès 1903 peu après l’arrivée de Picasso, alors jeune artiste. Leur position d’étrangers et leur marginalité fondent leur appartenance à la bohème parisienne et leur liberté artistique. Leur amitié s’est cristallisée autour de leur travail respectif, fondateur du cubisme et des avant-gardes picturales et littéraires du XXe siècle. Leur postérité est immense.

En examinant leur complicité et leur inventivité, l’exposition du Musée du Luxembourg traverse un siècle d’art, de poésie, de musique et de théâtre, nous faisant voyager à travers les œuvres d’art de grandes figures telles que Henri Matisse, Juan Gris, Marcel Duchamp, Jasper Johns, Andy Warhol, Bruce Nauman, Carl Andre, Joseph Kosuth, Hanne Darboven, Glenn Ligon, John Cage, Bob Wilson, Gary Hill ou encore Philip Glass.

« Mais comment cette enfant de Pennsylvanie s’est-elle ainsi retrouvée au centre du roman de la modernité ? » interroge Emmanuelle Lequeux dans l’article qu’elle consacre pour Beaux Arts Magazine à l’icône de la modernité qu’est devenue Gertrude Stein. « Gertrude Stein naît en 1874 dans le comté d’Allegheny, au sein d’une famille juive arrivée de Bavière à bord d’un paquebot, le Pionnier, à l’été 1841 », nous rappelle la journaliste. « Les premières années d’exil sont rudes dans les faubourgs de Baltimore. Mais peu à peu, ces colporteurs en vêtements se font une place dans le commerce du textile. Cadette d’une fratrie de cinq enfants, Gertrude se dira plus tard « heureuse de ne pas être née dans une famille d’intellectuels ». Après une année à Vienne, la famille s’installe en Californie : à 4 ans, Gertrude a traversé les océans et les continents, digérant tout ce qui lui est donné à voir. »

Mais l’autorité patriarcale pèse sur la famille. Et la petite Gertie choisit déjà de pleurer dans les livres plutôt que dans la réalité. Elle dévore Les Voyages de Gulliver, de Jonathan Swift, mais aussi les ouvrages de Walter Scott ou Shakespeare. Elle se réfugie aussi dans la tendresse de son cher frère Leo, celui-là même qui rompra pourtant plus tard tout contact avec sa sœur lorsqu’elle s’installera pour la vie avec Alice Babette Toklas, rencontrée en 1908. Très tôt toutefois, les enfants Stein vont être livrés à eux-mêmes, Gertrude étant encore adolescente à la mort de leurs parents. Ce qui ne l’empêchera pas d’avoir les moyens de s’offrir la reproduction du premier tableau qui la bouleverse : l’Homme à la houe, de Jean-François Millet. La sensibilité artistique est entrée dans sa vie et ne la quittera plus.

En 1893, Gertrude Stein choisit d’étudier les sciences humaines à Radcliff, l’annexe de Harvard ouverte aux femmes. Son mentor en philosophie et psychologie s’appelle William James. Le frère aîné de l’écrivain Henry James. Il permettra à la jeune femme de « naître à elle-même ». Quatre ans plus tard, elle s’oriente vers la médecine pour étudier les névroses féminines. Elle n’ira pas jusqu’à l’obtention d’un diplôme, mais avec son frère Leo elle se passionne chaque jour un peu plus pour la création artistique de son temps. Tout en prenant conscience qu’elle aime les femmes.

Le frère et la sœur estiment qu’en matière de création, l’Amérique est « encore dans les ténèbres ». Les voilà donc tous les deux partis en Europe. A partir de 1903, ils louent ensemble un appartement à Paris, au 27, rue de Fleurus, qui très vite va voir défiler tous les cercles de l’avant-garde artistique. Dans la vitrine du marchand d’art Ambroise Vollard, un petit paysage de Cézanne leur fait de l’œil. « Visite inoubliable », écrit Gertrude. Tandis que Leo achète le tableau, prélude à leur saga de collectionneurs. Ils choisiront même de vivre chichement pour pouvoir consacrer toute leur fortune à l’achat d’œuvres d’art à vendre repérées dans les galeries d’art.

Toulouse-Lautrec et Gauguin ont d’abord leur préférence, et puis l’écrivain Henri-Pierre Roché les présente à Picasso. Sauf que Gertrude avait détesté le premier tableau qu’elle avait vu du jeune peintre espagnol. Et pourtant… « J’étais, à cette époque, seule à comprendre Picasso, peut-être aussi parce que j’exprimais la même chose en littérature », écrira-t-elle finalement en 1938. Cette rencontre sera de celles qui changent le cours d’une existence. « Epoustouflé par la silhouette impressionnante de l’Américaine en costards côtelés marron, le peintre espagnol lui propose de poser pour lui », raconte Emmanuelle Lequeux. « Après 90 séances de pose, égayées par la lecture des Fables de La Fontaine par sa compagne Fernande, naît l’un des portraits les plus imposants du maître. » Une huile sur toile de 100 x 81,3 cm datée de 1905-1906.

A la même époque, au Salon de 1905, les Stein découvrent la Femme au chapeau de Henri Matisse. Ils sont sous le choc et décident aussitôt de l’acquérir. Matisse se plaît à faire durer les négociations avant de se séparer de son œuvre d’art à vendre. Bientôt, il rivalisera chez les Stein avec les portraits de Picasso. Lequel le rencontrera au cours d’un des « samedis » courus de Gertrude et Leo. Désormais, c’est à celui qui leur imposera l’œuvre d’art la plus folle, la plus originale ! Mais comme le souligne Philippe Blanchon, l’un des biographes de Gertrude Stein, elle « n’a jamais plébiscité des œuvres en raison du scandale qu’elles ont suscité (…) Les œuvres de Cézanne ou de Matisse, et bientôt celles de Picasso, lui ont simplement semblé répondre à sa vision du monde, comme elles répondaient exactement à la nécessité de l’époque, ni plus ni moins. »

Lorsque Leo décidera de quitter la France pour l’Italie, ne supportant pas le ménage à trois imposés par la présence constante d’Alice B. Toklas qui, contrairement à lui, vénère l’œuvre littéraire « cubiste » de Gertrude, leur collection de tableaux est mise à mal. Certaines œuvres d’art sont vendues. Le frère emporte les Renoir et les Matisse, laissant à sa sœur les cubistes qu’il méprise, ainsi que les Picasso bien sûr.

Illustration : Pablo Picasso, Femme aux mains jointes (étude pour Les Demoiselles d'Avignon), 1907, Huile sur toile © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau © Succession Picasso 2023

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