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Le tournant des années 1930 chez Matisse
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Juillet 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930 » présentée au musée de l’Orangerie, à Paris, jusqu’au 29 mai.

Saviez-vous que les années 1930 avaient joué un rôle fondamental dans l’œuvre de Matisse ? Les Cahiers d’art aussi. C’est ce que met en lumière pour la première fois l’exposition « Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930 » présentée au musée de l’Orangerie, à Paris, jusqu’au 29 mai. Une exposition qui donne aussi envie de filer ensuite à Vézelay, dans l’Yonne, où toute l’histoire des Cahiers d’art fondés par Christian Zervos (1889-1970) s’écrit dans le musée qui porte son nom et qui se niche dans la maison de l’écrivain Romain Rolland, où se déploie aussi la collection d’art moderne que l’illustre amateur d’art d’origine grecque a léguée à la petite ville bourguignonne ayant abrité sa propre résidence secondaire.

Fondés au 14 rue du Dragon, en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés à Paris, les « Cahiers d’art » désignent tout à la fois une revue, une maison d’édition et une galerie d’art. Passage obligé pour tous les artistes de l’avant-garde ayant des œuvres d’art à vendre. Les Cahiers d’art sont un modèle quasi unique : une revue d’art contemporain de l’époque, à la mise en page et à la typographie audacieuses, abondamment illustrée de photographies, par laquelle tout artiste devait passer pour obtenir la reconnaissance. Les éditions Cahiers d’art ont notamment joué un rôle déterminant dans la carrière de Picasso. Mais également dans celles de Tristan Tzara, Paul Éluard, René Char, Ernest Hemingway, Samuel Beckett, Le Corbusier, Kandinsky, Klee, Braque, Léger, Ernst, Arp, Giacometti, Miro, Calder, Gonzalez, Tanguy, Laurens, Brauner, Kelly… et donc Matisse.

En 1930, Henri Matisse (1869-1954) quitte la France pour un voyage à Tahiti, marquant ainsi volontairement une pause dans sa création, et engageant un tournant dans son œuvre. L’exposition « Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930 » revient sur cette décennie décisive. Et c’est à travers le prisme de Cahiers d’art, cette grande revue d’avant-garde, que l’exposition aborde l’œuvre de Matisse dans les années 1930. Porte-voix du modernisme international et des courants esthétiques de son temps, la revue rend compte de la production de l’artiste tout au long de l’entre-deux-guerres. 

L’exposition, qui réunit un ensemble d’œuvres de cette période, propose d’en cerner les enjeux majeurs. Écarté de l’actualité artistique au cours des années 20, le travail du peintre revient au cœur des débats d’idées et des réflexions de l’époque, par le biais des publications régulières dans Cahiers d’Art, lesquelles mettent en lumière sa peinture d’avant 1916 - en particulier la plus radicale - et rendent compte de sa production en cours. Articles et reproductions des œuvres de Matisse contribuent à relancer la compétition avec Picasso. Dans les numéros successifs de la revue, Matisse figure aux côtés des artistes de son temps : Georges Braque, Juan Miro, Fernand Léger, Vassily Kandinsky, Mondrian, Le Corbusier ou Marcel Duchamp.

Plusieurs œuvres exceptionnelles, très rarement exposées en France, sont réunies à l’occasion de cette exposition, notamment Le Grand nu couché de Baltimore, Le Chant de Houston ou encore la série des Blouses roumaines de 1938 conservées dans différents musées américains. La densité et la complexité de cette décennie sont suggérées par des sculptures, des objets de la collection de Matisse, des dessins, des gravures, des peintures mais aussi des tirages récents d’états photographiques, des archives, des fragments de films et des numéros de Cahiers d’art.

Matisse embarque à bord du paquebot Île de France au Havre le 26 février 1930, mettant le cap sur Tahiti. « S’il a déjà fait plusieurs voyages, celui-ci est sans doute le plus important », écrit Annick Colonna-Césari dans son article pour le numéro du mois de mai 2023 du magazine Connaissance des arts. « Le peintre, qui vient d’entrer dans la soixantaine, traverse en effet une crise intérieure. C’est pourtant l’un des artistes les plus célèbres. Le succès de ses scènes d’intérieur et de ses odalisques alanguies ne se dément pas, et trois rétrospectives se préparent à Paris, Bâle et New York. Malgré tout, il a le sentiment de piétiner. » Mais surtout, comme l’ajoute la journaliste, « il n’arrive plus à peindre, à quelques exceptions près, telle la Femme à la voilette, prêtée par le MoMa de New York, qui ouvre l’exposition. »

En fait, Matisse voudrait tourner la page du postimpressionnisme. Il s’y sent enfermé depuis qu’il vit à Nice. Les contours anguleux de la Femme à la voilette attestent de ses recherches vers quelque chose de nouveau. Alors il prend le large. « Ces années 1930, essentielles, vont marquer un tournant majeur dans sa peinture », explique Cécile Debray, présidente du Musée national Picasso-Paris et commissaire de l’exposition, qui était à la tête du musée de l’Orangerie lorsqu’en 2017 elle a eu l’idée d’explorer cette décennie cruciale dont aucune exposition n’avait encore exploré l’importance.

Pendant que les Cahiers d’art relayaient régulièrement les recherches de Matisse, contribuant à repositionner ses œuvres d’art à vendre dans l’avant-garde internationale et donc sur le marché de l’art contemporain, le peintre continuait à chercher l’inspiration face à un Picasso hyperactif. A Tahiti, « curieusement, il ne travaille pas », note Cécile Debray. Il n’empêche qu’il dessine malgré tout, engrangeant des croquis de fleurs ou de coquillages, et qu’il photographie. Autant de motifs qui ressurgiront plus tard dans son œuvre. A peine rentré de Tahiti, le voilà invité à participer au jury du prix Carnegie, à Pittsburgh. Il y visite la Fondation du collectionneur Alfred Barnes, à Merion, où certains de ses propres tableaux sont accrochés, comme Le Bonheur de vivre de 1906. Et c’est à cette occasion que Barnes lui commande un décor de quatorze mètres de long, destiné à la salle principale du musée.

« Pour un artiste en quête de renouvellement, la proposition est providentielle », écrit la journaliste de Connaissance des arts. « Matisse l’accepte avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il ne s’est jamais confronté à un projet d’art mural. Pour thème, il choisit la danse, qui apparaît en arrière-plan de son Bonheur de vivre, et le relie à ses fougueuses années de jeunesse parisienne. » C’est pour réaliser cette grande fresque qu’il a rapidement l’idée de découper des formes dans des papiers gouachés que ses assistants placent et déplacent selon ses instructions. La première version n’étant pas aux bonnes dimensions, elle finira au musée d’Art moderne de Paris, et c’est en 1933 que Matisse supervisera enfin l’installation de la deuxième version de la Danse à Merion. « Ce chantier est matriciel », affirme Cécile Debray. « En redéfinissant ses outils de travail, Matisse se réinvente pour parvenir à des résultats plus radicaux ». Le fameux Grand nu couché prêté pour l’exposition par le Baltimore Museum of Art est le tableau qui synthétise le mieux sa nouvelle manière.

Papiers découpés, inspirations polynésiennes : les effets de cette décennie ne cesseront plus d’opérer dans l’œuvre de Matisse.

 

Illustration : Henri Matisse (1869-1954)
Femme à la voilette, 1927
The Museum of Modern Art, New York
© Succession H. Matisse / © Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

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