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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Formidable rétrospective Valadon
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Juillet 2023 | Temps de lecture : 27 Min | 0 Commentaire(s)

A l’occasion de l’exposition « Suzanne Valadon. Un monde à soi » visible au Centre Pompidou-Metz jusqu’au 11 septembre.

Cerne noir, visages fauves, corps ingresques… Jamais peut-être depuis Chefs-d’œuvre, son exposition inaugurale, le Centre Pompidou-Metz n’avait autant fait l’unanimité. En offrant sur un plateau d’argent la vie et l’œuvre de Suzanne Valadon (1865-1938), cette artiste devenue majeure dans l’histoire de l’art par sa seule force, dont la peinture, même si elle se nourrit de toutes les autres, n’appartient qu’à elle, le centre d’art attire en effet autant les innombrables amateurs d’art rétifs à l’art contemporain que les autres. Et personne n’est déçu. La tentation est grande du figuratif qui rassure. Eh bien tant mieux, que les portes s’ouvrent en grand sur ce corpus fascinant, à la fois transgressif et radical, et que chacun vienne déambuler dans ce troisième étage transformé en galerie d’art géante, où plus de deux cents œuvres d’art de Suzanne Valadon côtoient sur les cimaises celles de Pierre Auguste Renoir, Henri de Toulouse-Lautrec, Pierre Puvis de Chavannes ou Gustav Wertheimer, l’ayant prise pour modèle lorsque ses propres œuvres d’art à vendre ne lui permettaient pas encore de gagner sa vie.

Car le destin hors du commun de Suzanne Valadon séduit aujourd’hui autant que son œuvre. Son caractère frondeur, sa vie et son art partagés avec son fils Maurice Utrillo et son mari André Utter, n‘ont d’ailleurs cessé d’en nourrir l‘interprétation. Chaque facette de l‘épopée romanesque de cette artiste en prise avec différents cosmos dresse un portrait essentiel de la modernité naissante, apporte un éclairage sur une époque à la lisière de deux mondes, qui emmène le regardeur du XIXe au XXe siècle.

Presque soixante ans après la dernière rétrospective de Suzanne Valadon en France, que le Musée national d’art moderne célébrait en 1967 à Paris, l’exposition met en lumière la figure de cette artiste exceptionnelle. « Suzanne Valadon. Un monde à soi » ambitionne de souligner le caractère expressif et résolument contemporain de son œuvre et de resituer Valadon au sein d’une histoire de l’art qui a fait peu de cas de cette artiste audacieuse. Une artiste dont l’œuvre a longtemps été considéré à la marge des courants dominant son époque – le cubisme et l’art abstrait sont en germe alors qu’elle défend avec ardeur la nécessité de peindre le réel.

Née le 23 septembre 1865 à Bessines-sur-Gartempe en Haute-Vienne, Marie-Clémentine Valadon emménage à Montmartre avec sa mère venue chercher la prospérité à Paris. La gamine est un temps trapéziste, mais à 15 ans, victime d’une mauvaise chute, elle doit renoncer à travailler au cirque. Elle devient alors modèle, posant pour Pierre Puvis de Chavannes, puis pour Pierre-Auguste Renoir, Henri de Toulouse-Lautrec, Jean-Jacques Henner, Gustav Wertheimer, Federico Zandomeneghi, Jean-Eugène Clary, Théophile Alexandre Steinlen ou encore Vojtěch Hynais. Elle se fait alors appeler Maria, puis devient Suzanne, adoptant le nom que Toulouse-Lautrec lui donne en référence à l’épisode biblique de « Suzanne et les Vieillards ». Tirant parti de ses séances de pose qu’elle transforme en leçons voilées, elle retient çà et là un geste, une touche, un trait. Valadon, concomitamment modèle et artiste, aiguise son trait de crayon, s’affiche librement en héritière de ses aînés sans être leur élève.

Plusieurs œuvres iconiques qui la représentent sont rassemblées à l’occasion de l’exposition, à l’instar des dessins réalisés par Puvis de Chavannes entre 1883 et 1889, alors qu’elle était son modèle favori, de La Grosse Maria de Toulouse-Lautrec (1884), et de la Danse à la ville de Renoir (1883). Toujours en 1883, à 18 ans, elle donne naissance à Maurice Utrillo et réalise un autoportrait au pastel, première œuvre connue qu’elle signe du nom Suzanne Valadon. Il faudra ensuite attendre 1892 pour qu’elle peigne ses premières œuvres sur toile, parmi lesquelles Jeune fille faisant du crochet, appartenant au Musée national d’art moderne et visible ici dans un fascinant mur de portraits à l’accrochage digne d’un Salon du XIXe siècle. L’année 1894 est marquée par son amitié naissante avec Degas, pour lequel elle ne posera jamais, mais qui deviendra au contraire l’un de ses plus grands collectionneurs. Il lui enseigne la gravure en taille douce et la soutient auprès de leurs pairs. Tous deux partagent en effet l’idée commune d’une ligne souple et dure et d’un modèle intime et sans complaisance.

Si le travail de Suzanne Valadon est très tôt reconnu par la critique, les institutions et les artistes, ce qui lui permettra de trouver preneurs pour ses œuvres d’art à vendre, le public d’aujourd’hui la connaît souvent par le seul prisme du « trio infernal » de Montmartre qu’elle a formé avec Maurice Utrillo et André Utter. Et ses relations passionnées avec plusieurs figures majeures de la Bohème, dont Erik Satie et Miquel Utrillo, ont hélas trop souvent fait écran à l’analyse détaillée de son œuvre. « La tentation biographique est grande dès lors qu’est prononcé le nom de Suzanne Valadon », écrit effectivement Colin Lemoine dans L’Oeil de ce mois de mai. « Amours insignes, bohème montmartroise, fils prodig(u)e, union tempétueuse : sa vie édifiante est une machine romanesque qui tient d’Emile Zola et de Pierre Mac Orlan, quand la suite le dispute à l’éblouissement. Remarquable, la présente exposition déjoue cet écueil et sacre une peintre majeure, de nombreuses toiles à l’appui, parmi lesquelles cet inoubliable Eté, conçu en 1909, acquis par l’Etat français en 1937 et à ce titre conservé par le Centre Pompidou. » Ce fameux Eté, intitulé aussi Adam et Eve, pour lequel elle fait poser son amant André Utter, un ami de son fils de vingt et un ans son cadet, sera le premier nu masculin réalisé par une femme dans l’histoire de l’art : rien que ça ! Et vous savez quoi ? Un repeint de feuilles de vigne lui sera imposé pour dissimuler le sexe de l’homme au moment d’exposer la toile au Salon d’automne de 1920 ! « Ce repeint presque naïf, pareil à une effraction du Douanier Rousseau dans un tableau d’Egon Schiele, rappelle combien Suzanne Valadon bouscula l’orthodoxie du regard », écrit le journaliste de l’Oeil.

En échange de cette concession, baptisée « L’éloquente pudibonderie » dans le magazine d’art, Suzanne Valadon, qui est déjà parmi les premières femmes admises au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts et expose régulièrement chez Berthe Weill et au Salon des Indépendants, devient membre du Salon d’automne. Quelques années plus tard, elle livre avec La chambre bleue (1923) le portrait d’une femme ostensiblement moderne et libérée des conventions de son temps : rompant avec la tradition orientaliste du nu alangui, elle lui préfère un corps au repos, portant des vêtements amples et confortables, aux mains et au visage expressifs. La synthèse des styles est telle que cette œuvre est vue comme précocement féministe, réinventant les codes de la peinture.

Le parcours de cette formidable exposition se fait l’écho des conversations écrites entre les lignes de la biographie de Suzanne Valadon, qui puise son inspiration de Jean-Auguste-Dominique Ingres à Paul Cézanne et Paul Gauguin, et raconte des histoires inattendues, par la mise en regard d’un corpus conséquent de ses œuvres avec celles de ses aînés et de ses contemporains, tels Félix Vallotton, Frédéric Bazille ou Lou Albert-Lasard. Ce dialogue témoigne des filiations mutuelles qui s’établissent entre les artistes de la Bohème montmartroise tels Santiago Rusiñol et Louis Jean-Baptiste Igout, autant qu’avec ceux des avant-gardes, tels Henri Matisse et Georgette Agutte. L’exposition proposant même de tracer des lectures inédites dans l’œuvre de ses cadets, tels Balthus, dont les œuvres, par leur facture et leurs sujets, prolongent les recherches menées par Valadon.

 

Illustration : Suzanne Valadon, Nu allongé, 1928, huile sur toile, 60 × 80,6 cm New York, The Metropolitan Museum of Art, Robert Lehman Collection © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA

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