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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Un bel exemple de fraternité
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Juin 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur », à voir jusqu’au 16 juillet au musée du Luxembourg à Paris.

Léon Monet serait-il ce grand frère sans lequel l’impressionnisme n’aurait pas existé ? Nous n’irons pas jusque là. Mais un grand frère sans lequel le chef de file de l’impressionnisme aurait plus difficilement mangé à sa faim à ses débuts, certes. Et ses copains, pareil. Alors évidemment, l’affiche apposée sur les grilles du jardin du Luxembourg peut induire en erreur. Au vu du portrait enfin révélé de Léon Monet (1836-1917) par Claude Monet (1840-1926), on a instinctivement l’impression de s’engouffrer dans une exposition de peintres impressionnistes. Que nenni. Il s’agit ici d’aborder la vie familiale des Monet, mais aussi la chimie, l’industrie, Rouen… Car Léon Monet n’est pas pour rien le premier mécène et collectionneur de l’impressionnisme : il a mené avec brio une carrière d’industriel chimiste dans la couleur et fondé la Société industrielle de Rouen à l’image de celle de Mulhouse. C’est-à-dire une société savante, dont l’une des multiples missions consiste à promouvoir l’éducation par l’art.

Il n’en demeure pas moins que l’exposition du Musée du Luxembourg est d’autant plus passionnante. En ceci qu’elle va effectivement bien au-delà d’un accrochage d’œuvres d’art les unes à côté des autres, nous invitant plutôt à l’immersion dans un univers d’autrefois. « Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur » permet à la commissaire d’exposition Géraldine Lefebvre, docteur en histoire de l’art spécialiste du XIXe siècle, de rassembler une centaine d’œuvres d’art, parmi lesquelles des peintures et des dessins de Monet, Morisot, Sisley, Pissarro et Renoir, mais aussi des livres de couleurs, des échantillons de tissus, des estampes japonaises, des documents d’archives et de nombreuses photographies de famille. Un peu comme si on se retrouvait invité dans le cénacle familial, professionnel et amical d’une autre époque. Celle où l’on pouvait paraît-il croiser ce genre d’industriel « cordial et franc », à « l’intelligence vive et prompte », comme ses contemporains décrivaient le notable bien mis, à l’aisance naturelle, qu’était Léon Monet.

Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est parce que Léon Monet n’avait pas aimé le portrait énergique brossé de lui par son frère cadet que ce tableau si émouvant était passé aux oubliettes ! Jean-François Lasnier relate l’anecdote dans le magazine Connaissance des arts du mois d’avril qui consacre un article à l’exposition du musée du Luxembourg, en citant l’artiste rouennais Joseph Delattre (1858-1912) : « Il y a plusieurs années, M. Claude Monet ébaucha le portrait de son frère, les touches étaient brutales et cependant à distance ces touches semblaient être faites l’une pour l’autre, elles s’harmonisaient et le portrait était ressemblant ; Monet allait procéder à l’achèvement de son portrait quand Renoir et Sisley arrivent dans l’atelier et en jetant un coup d’œil sur le portrait de dire : « N’y touche pas, tu l’éreinterais ». Et le portrait est resté ainsi, tout imprégné de ce tempérament brutal de l’artiste. Sais-tu ce qu’a fait Monet, pas Claude, mais son frère, le chimiste de Déville ? Eh bien, mon cher, il l’a caché. »

Comme quoi on peut aimer un style de peinture… mais ne pas pouvoir se voir en peinture ! Quand on pense aux portraits cabossés et monstrueusement lacérés peints plus tard par un Francis Bacon (1909-1992), on se dit pourtant que franchement, le portrait de Léon Monet par Claude Monet est tout simplement très beau… D’ailleurs, Bacon avait-il un grand frère ? Trêve de plaisanterie.

Quoiqu’il en soit, quand Claude Monet peint ce portrait en 1874, il y a deux ans déjà que son grand frère a fondé la Société Industrielle de Rouen, laquelle apportera un soutien actif aux impressionnistes. Et deux ans aussi que l’artiste, en séjour au Havre avec son épouse et son fils, a peint Impression, soleil levant. La fameuse toile qui donnera son nom au mouvement après avoir été exposée à l’exposition de 1874, toile qu’il a peinte en une séance le matin de très bonne heure dans cette ville de son enfance, dont le port est pour lui le symbole de la révolution industrielle du XIXe siècle. Monet n’a pas caché s’être inspiré des marines, soleils levants et couchants peints avant 1872 par Eugène Delacroix, Eugène Boudin, Johan Barthold Jongkind ou William Turner.

A une époque où les collectionneurs sont rares et les critiques acerbes, le soutien de Léon Monet au groupe des impressionnistes s’avère essentiel. Eh oui, au XIXe siècle, ça ne se bouscule pas au portillon des galeries d’art pour acheter les œuvres d’art à vendre de Monet, Pissarro, Sisley ou Renoir ! Dès 1864, Léon commence donc à acheter des peintures à son frère : deux natures mortes et quatre paysages normands entrent ainsi dans sa collection, celle-là même qui est aujourd’hui présentée au musée du Luxembourg. Une collection qui comptera finalement une vingtaine de toiles de Claude Monet, ainsi que deux rares carnets de dessins datés de 1856. Et Léon Monet ne le fait visiblement pas seulement pour subvenir aux besoins de son frère cadet : sincèrement sensible à la nouvelle peinture, à ce qui est l’art contemporain de son temps, il n’hésite pas à acheter aussi les œuvres des autres peintres impressionnistes. « En juin 1871, par exemple », écrit le journaliste de Connaissances des arts, « Claude sollicite Pissarro afin qu’il lui fournisse quelque chose de fini pour (s)on frère, préludant à l’acquisition de trois peintures par Léon ».

Léon Monet sera aussi le plus gros acheteur après Durand-Ruel à la fameuse vente aux enchères organisée par Renoir à Drouot, quelques mois après la première exposition des impressionnistes. Titrée « Tableaux et aquarelles par Claude Monet, Berthe Morisot, A. Renoir et A. Sisley », cette vente d’œuvres d’art visait non seulement à procurer de substantiels revenus aux artistes, mais aussi à assurer leur promotion. Ainsi entrent dans la collection de Léon Monet L’institut au quai Malaquais et En été, d’Auguste Renoir. Ce qui n’empêche pas l’industriel fortuné de s’intéresser également aux peintres de l’Ecole de Rouen, comme Joseph Delattre, Charles Fréchon, Narcisse Guilbert ou Georges Bradberry, qui s’inscrivent dans le sillage de l’impressionnisme.

« A côté de cette traditionnelle activité de collectionneur-mécène, l’aîné des Monet participe à la diffusion et à la valorisation des travaux impressionnistes. En 1872, il montre des œuvres de sa collection à la XXIIIe exposition municipale des beaux-arts de Rouen au printemps. Sont notamment offerts au regard des visiteurs Intérieur et Un canal en Hollande de Monet, La maison de campagne de Pissarro et Canal Saint-Martin de Sisley », relate Jean-François Lasnier. « Ce type de manifestation accompagne l’éclosion d’un marché de l’art en province et l’émergence d’amateurs avisés, dont l’industriel rouennais François Depeaux constitue l’exemple le plus emblématique. » Cet ami de Léon Monet, enrichi quant à lui dans le charbon, sera bientôt l’un des plus importants collectionneurs des impressionnistes, comme l’a rappelé l’exposition de 2020 du musée des Beaux-Arts de Rouen.

 

lllusatration : Claude Monet (1840-1926), Portrait de Léon Monet (détail), 1874 © Collection particulière

 

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