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La « Nice period » de Matisse à la lumière de Hockney
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Août 2022 | Temps de lecture : 36 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Hockney-Matisse – Un paradis retrouvé », jusqu’au 18 septembre au Musée Matisse à Nice, dans le cadre de la Biennale des arts.

L’impression de revivre « Verve », ou « Jazz », à l’époque du numérique : c’est ce qu’a furieusement ressenti Claudine Grammont, la directrice du musée Matisse, de Nice, lorsqu’elle s’est un jour retrouvée à l’abri de la pluie dans l’atelier normand de David Hockney. Les déclinaisons infinies de paysages imaginées par l’artiste pendant le confinement l’ont subjuguée, comme elles avaient subjugué tous les visiteurs de lOrangerie, à Paris, d’octobre 2021 à février 2022, pendant qu’elles étaient présentées dans leur totalité sous forme d’une frise de 80 m de long faisant écho aux Nymphéas de Monet.

Mais Claudine Grammont ne s’est pas contentée d’être subjuguée. Elle n’a plus eu aucun doute : il fallait absolument que les tableaux du peintre anglais, aujourd’hui âgé de 85 ans, dialoguent officiellement avec ceux de l’artiste français passé à la postérité. Ainsi est née l’exposition battant son plein jusqu’au 18 septembre à Nice : « Hockney–Matisse – Un paradis retrouvé », dans le cadre de « Nice, ville des fleurs », la 5e édition de la biennale des arts qui rivalise de belles initiatives artistiques : on ne risque pas d’oublier que la ville est candidate au titre de Capitale européenne de la culture en 2028.

Soixante-dix pièces de la collection personnelle de la David Hockney Foundation de Los Angeles partagent donc aujourd’hui les cimaises avec le fonds du musée Matisse intégralement revisité. Des tableaux qui dialoguent enfin « officiellement ». Parce qu’officieusement, et dans les faits, l’œuvre d’Henri Matisse (1869-1954) échange depuis bien longtemps avec celle de son cadet, David Hockney, qui avait même déclaré avoir peint sa maison de Los Angeles « aux couleurs de Matisse ». Et qui ne s’est jamais caché s’être inspiré de tous les grands maîtres de l’art moderne comme Monet, Van Gogh, Picasso, Dufy… ou de l’art Ancien, comme Fra Angelico, Jan Van Eyck ou Piero della Francesca, sa renommée d’historien de l’art qualifié n’étant d’ailleurs plus à faire !

Admirateur autant que disciple de Matisse, sans jamais être tombé dans l’imitation naïve, le peintre né en 1937 à Bradford, lui, a pourtant finalement choisi le ciel de la Normandie, en s’installant en 2019 dans le petit village de Rumesnil, près de Caen, quand le maître du fauvisme né au Cateau-Cambrésis, dans le Nord, avait en son temps choisi la lumière du Sud, jetant son dévolu sur Nice en 1917, pour y vivre jusqu’à sa mort. Natacha Carron-Vullierme, la journaliste de Beaux-Arts Magazine qui consacre un article à l’exposition « Hockney-Matisse – Un paradis retrouvé », fait pourtant remarquer que « les ombres persistent dans la plupart des environnements matissiens », tandis que les tableaux de Hockney explosent de « leurs tonalités claires, estivales et lumineuses ».

Pour elle, « Matisse lui a enseigné (à Hockney) la couleur, la ligne esquissée, et le retour à la perspective inversée de l’icône, qui permet un rapport subjectif, au prix d’un abandon du réalisme, avec le portrait ou le paysage réapproprié par le regard ». En évoquant un peu plus loin la façon dont Matisse et Hockney expriment leur sentiment commun de bien-être, en l’offrant délibérément au « partage généreux avec autrui » en le suggérant sans jamais verser dans l’abstraction, Natacha Carron-Vullierme entrouvre la porte d’un vaste sujet : le figuratif est-il plus généreux que l’abstraction ? Une œuvre d’art où l’on distingue des traits, des formes, des personnages, est certes plus simple à appréhender par le regardeur qui peut s’y retrouver. Son auteur semble donc effectivement faire preuve de générosité puisqu’il livre son sentiment sans pudeur. Mais il s’agit bien de son sentiment à lui. Alors lorsque le sujet peut être interprété de mille autres manières parce qu’il est fondu dans des traits, des formes et des couleurs abstraites, l’art n’en est-il pas d’autant plus généreux qu’il n’impose aucune contrainte ? Vaste débat…

Quoiqu’il en soit, Matisse et Hockney semblent d’abord commencer par rêver ce qu’ils regardent. Après avoir appris à voir un fauteuil ou une chaise, ils peuvent alors « les magnifier,  voire les poser en majesté, tel le Fauteuil rocaille, peint par Matisse à Vence en 1946. Son cadet préfère pour sa part user de la chaise pour suggérer la présence humaine sans la montrer. » Et que dire des fenêtres ouvertes de Matisse qui emportent le regard au-dehors en faisant, comme disait le peintre, « que le bateau qui passe vit dans le même espace que les objets familiers autour de moi, et (que) le mur de la fenêtre ne crée pas deux mondes différents ».

 Henri Matisse, "Fauteuil rocaille" , Vence, 1946

Au mur : Henri Matisse, Fauteuil rocaille, Vence, 1946
Au premier plan : fauteuils et guéridon vénitiens ayant appartenu à l’artiste.
Collection Musée Matisse, Nice.
© Succession H. Matisse pour les œuvres de l’artiste

Des dessins au trait épuré, des paysages habités par le mouvement, des couleurs lumineuses, l’inclusion parfois de certaines parties de leur corps dans la toile,  la volonté de plus en plus affirmée au fil du temps de peindre le paisible et de retrouver un regard d’enfant, l’intervention occasionnelle mais non obligatoire de modèles, certes plus souvent masculins chez Hockney et féminins chez Matisse… les deux peintres affichent une filiation évidente. Et surtout, comme le note Natacha Carron-Vullierme, ils appartiennent tous les deux à « l’époque de la reproductibilité technique » de l’œuvre d’art, selon la formule consacrée par le philosophe, historien de l’art et critique d’art allemand Walter Benjamin (1892-1940). Et ils adorent ça. Oui, ils se régalent tous les deux, chacun à leur époque, à explorer toutes les possibilités techniques offertes de leur vivant pour reproduire les œuvres d’art. Plus pour démultiplier l’acte créateur que pour accroître la diffusion de leurs peintures.

Car la reproduction devient finalement pour eux un nouvel outil de création. Comme un pinceau ou un tube de couleur supplémentaires qu’on jubilerait de glisser dans son atelier. On le voit bien avec les papiers gouachés découpés de Matisse, qui estimait lui-même que certaines de ses planches reproduites étaient plus réussies que les originales ! Il avait imaginé cette technique au moment de la réalisation de l’album « Jazz » (1943-1947), et il ne se lassait pas de s’émerveiller du choc esthétique que produisaient sur lui les reproductions de l’édition à 100 exemplaires. Sans parler de ses maquettes pour le vitrail de l’ « Arbre de vie » de la chapelle de Vence, véritable synthèse et aboutissement de ses recherches picturales : « saturation de la couleur, épuration de la ligne et de la forme ».

Evidemment, son cadet David Hockney a vu se développer encore plus de possibilités avec l’avènement du numérique. Il s’était déjà essayé à la photographie, qu’il n’estime d’ailleurs pas supérieure à la peinture étant donné qu’un objectif se contente d’un seul point de vue, d’où ses « joiners », ou photocollages dès les années 1980, mais aussi au fax, à l’ordinateur, aux imprimantes… quand l’iPad est arrivé dans son processus créatif. Lui qui explorait déjà depuis les années 1970 toutes les techniques picturales possibles, il n’allait pas se priver d’un tel outil !

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