Remonter
L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
Current locale language
La collection du cœur de Georges Bemberg
la-collection-du-coeur-de-georges-bemberg - ARTACTIF
Avril 2024 | Temps de lecture : 26 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de la réouverture de la Fondation Bemberg à Toulouse.

Direction Toulouse ! Ca vous tente ? Après trois ans de travaux, la Fondation Bemberg rouvre ses portes, nichée en l’Hôtel d’Assézat, l’un des plus célèbres monuments de la Renaissance de la ville rose… et attention les yeux : pas moins de cinq tableaux de Lucas Cranach et plus de trente œuvres de Pierre Bonnard vous tendent les bras ! Entre autres… Même si vous êtes plutôt branchés marché de l’art contemporain, parce que vous aimez acheter des œuvres d’art et que celles-ci n’orneront sûrement jamais les murs de votre salon, franchement, ça vaut le détour, non ? Ce qui est dingue, c’est que malgré sa collection exceptionnelle, fruit de l’émotion et de l’intuition d’un collectionneur discret sans héritier, née dans les années 1980 d’une volonté de transmission, la Fondation Bemberg ne fasse pas davantage parler d’elle. Nul doute que la communication autour de la rénovation qui vient de s’achever va redonner un bon coup de boost à tout ça.

Les collections de la Fondation Bemberg sont en effet composées d’un ensemble exceptionnel de peintures, sculptures, arts graphiques, mobilier et objets d’arts, couvrant plus de cinq siècles de création artistique depuis le XVe siècle jusqu’à la seconde Guerre Mondiale. « A l’origine de cette institution se trouve donc la personnalité discrète de Georges Bemberg, né en 1915 à Buenos Aires dans une (riche) famille d’industriels venus d’Allemagne », nous explique Jean-François Lasnier, dans son article pour le magazine Connaissance des arts de février. « Imprégné de culture européenne, et française en particulier, ce mélomane renonce à une carrière de compositeur et se tourne vers la littérature. On lui doit ainsi plusieurs romans et pièces de théâtre. » Il faut dire que Georges Bemberg a étudié la littérature comparée à Harvard en même temps qu’il suivait les cours de piano de Nadia Boulanger. Son goût pour l’écriture l’ayant emporté, il le conduit à fréquenter les cercles littéraires précurseurs qui lui permettent de rencontrer Roger Caillois, Ortega y Gasset, Denis de Rougemont, Saint-John Perse, Jorge Luis Borges… lesquels deviendront ses amis. Parallèlement à sa carrière littéraire – nouvelles, essais et pièces de théâtre Off Broadway –, il commence à New York une collection d’objets d’art qu’il ne cessera d’enrichir.

Je ne peux pas vous donner mon avis sur ses qualités littéraires, car je n’ai encore rien lu ni entendu de Georges Bemberg, même si maintenant, de fait, j’ai très envie de dénicher quelque ouvrage pour satisfaire ma curiosité insatiable… N’empêche. Le journaliste de Connaissance des arts, lui, n’y va pas par le dos de la cuillère : « on serait tenté de dire que son œuvre majeure, c’est sa collection ». Ok. Ca sent la peau de banane. Je ne voudrais pas être mauvaise langue, mais j’espère qu’il a lu Bemberg parce que sinon, son assertion résonnerait un peu comme un couperet injustifié. Mais passons sur les qualités littéraires de notre collectionneur, nous sommes là pour parler d’un musée français qui fait encore partie de ces pépites trop méconnues. L'inauguration de la Fondation Bemberg dans l'hôtel d'Assézat en 1995 à Toulouse a été l'occasion pour Georges Bemberg de voir une grande partie de sa collection rassemblée et présentée au même endroit, pour la première fois d'une vie à la croisée des arts. Et ça, ça dû lui procurer une émotion à en avoir les larmes aux yeux, lui qui, comme je vous le disais plus haut, se retrouvait sans héritier direct et n’avait qu’une envie : partager sa collection de chefs-d’œuvre inouïe au plus grand nombre. Mais surtout pas à Paris. L’Hôtel particulier d’Assézat, c’était un coup de foudre. « En quelques secondes, ma décision fut prise, c’est ça ou rien », aimait-il à rappeler. « Il y avait une telle affinité, un tel accord, une telle harmonie entre ce que je voyais et ce que je sentais en moi… » Oui, c’est ainsi que fonctionnait Georges Bemberg.

« Obéissant à une sorte d’atavisme familial, Bemberg commence à acquérir des œuvres d’art alors qu’il n’a pas 20 ans et poursuit cette activité jusqu’à sa mort à Paris en 2011 », nous fait remarquer Jean-François Lasnier. Coutume courante chez les personnes fortunées et cultivées, me direz-vous. Sauf que d’ordinaire, ces collectionneurs n’ayant guère à se préoccuper des vicissitudes économiques du marché de l’art confient à des spécialistes le soin de commanditer leurs achats d’œuvres d’art, mus plutôt par le seul plaisir de l’investissement, voire de la possession. Or, Georges Bemberg n’est pas de ceux-là. Il ne fait pas appel à des experts pour savoir si la cote de l’un ou l’autre artiste est susceptible de monter, ou au contraire de s’écrouler. Il achète les œuvres d’art qu’il aime. Voilà qui paraît évident quand on n’est pas riche, mais comme je vous le disais, ici on navigue en milieu (très) fortuné. Donc voilà, cet érudit cultivé se fie pour acheter des œuvres uniquement à l’émotion qu’il ressent devant un tableau, devant une sculpture, devant un meuble... Pour lui, il n’y a pas de séparation entre les arts. Et je ne sais pas vous, mais moi ça me le rend tout de suite éminemment plus sympathique qu’un investisseur ! J’imagine ce charmant monsieur dévorer des yeux L’Âge d’airain, d’Auguste Rodin, ou la comtesse Kagenek portraiturée par Elisabeth Vigée Le Brun, saluer Le Fauconnier de Véronèse, fondre devant le Portrait de petit garçon de Paul Gauguin, la Jeune Fille retirant sa chemise sculptée par Roger de La Fresnaye, prendre le large avec Les Voiliers à Cannes de Pierre Bonnard ou les Bateaux sur la plage à Etretat, de Claude Monet… Et ma roulotte a déjà des fourmis dans les roues tant elle comprend que je vais aller à mon tour m’émouvoir devant ces chefs-d’œuvre…

Alors évidemment, nous sommes face à une collection éclectique. Mais qui n’en présente pas moins « une vraie cohérence, car de grandes lignes liées à la sensibilité de Georges Bemberg apparaissent », affirme Ana Debenedetti, la directrice de la Fondation. « Ainsi, l’humaniste pétri de culture classique se révèle aussi ouvert aux expériences de la modernité », relève le journaliste de Connaissance des arts, qui distingue pour nous deux grands ensembles dans cette collection. Le premier serait constitué d’art ancien, avec les temps forts que sont les XVIe et XVIIIe siècle. Bemberg passant tous ses étés à Venise, on comprend qu’il ait acquis des toiles de Canaletto et de Guardi, mais aussi des œuvres de Véronèse ou de Giandomenico Tiepolo. Le second serait dévolu aux avant-gardes, avec l’art du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. C’est là que personnellement, je me régale le plus. « Tous les impressionnistes sont présents », annonce Jean-François Lasnier. « Monet, Pissaro, Morisot, Caillebotte… Puis viennent Gauguin, les Fauves, les Nabis, les Divisionnistes et – sans doute l’acmé de la collection – trente-trois toiles de Pierre Bonnard. »

Georges Bemberg était décidément vraiment quelqu’un de bien : il n’a pas voulu que sa collection reste figée après sa mort. Il a voulu continuer à consacrer sa richesse à la médiation culturelle. Continuer à offrir au public la possibilité de se retrouver face à des chefs-d’œuvre sans avoir besoin d’aller à Paris. Sa Fondation a donc acquis depuis 2011 quelques trésors comme une somptueuse armoire à folios signée Bernard Van Riesen Burgh, deux figures allégoriques de Nicolas Tournier, un Saint Jérôme de Simone Cantarini, et même le Portrait de jeune femme au chapeau blanc de Mary Cassat… Je ne sais pas si vous serez d’accord avec moi, mais devant tant de beauté, je suis sûre que Georges en a encore les larmes aux yeux là où il est.

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration :  L'hôtel d'Assézat

Discutons !
Personne n'a encore eu l'audace de commenter cet article ! Serez-vous le premier ?
Participer à la discussion
Exemple : Galerie spécialisée en Pop Art