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Frans Hals, le mauvais garçon du Siècle d’or
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Avril 2024 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Frans Hals » visible depuis le 16 février et jusqu’au 9 juin au Rijksmuseum d’Amsterdam, et à partir du 12 juillet à la Gemäldegalerie de Berlin.

Alors évidemment, être coincé entre Rubens et Rembrandt, ça n’aide guère un peintre néerlandais à passer à la postérité, aussi talentueux soit-il. Surtout quand son truc à lui, c’est plutôt de s’enivrer dans les bouges flamands du XVIIe siècle, au milieu des « vraies gens » qu’il peint, plutôt que de fréquenter sa riche clientèle, de faire son voyage en Italie comme tout le monde, ou de se frotter à la peinture d’histoire, mythologique ou religieuse… Bref, de développer son réseau, dirait-on aujourd’hui. Portraitiste très recherché sans jamais être lui-même allé voir plus loin que Haarlem et Anvers, « le plus étincelant des portraitistes de la puritaine Hollande du Siècle d’or », écrit même Jérôme Coignard dans le magazine Connaissance des arts de février, Frans Hals (Anvers 1582/1584 - Haarlem 1666) n’a pourtant pas manqué de succès de son vivant. Ni de clientèle. Ses impressionnantes œuvres d’art à vendre avaient un tel succès auprès des bourgeois hollandais, que les modèles ne rechignaient même pas à se retrouver les joues marbrées de couleurs non estompées et les traits reproduits sans aucun souci des convenances !

« Il faut s’approcher au plus près des œuvres, surtout celles de la fin, pour savourer la fougue extraordinaire du pinceau », écrit Jérôme Coignard. « Tantôt il beurre amoureusement la couleur, tantôt il la fouette et balafre. » On comprend que Manet et Van Gogh aient été fascinés par Frans Hals. De son vivant, le portraitiste était considéré comme un virtuose en raison de l’originalité de son style et de sa technique, que seuls des peintres comme Rembrandt, aux Pays-Bas, et Vélasquez, en Espagne, pouvaient égaler. Le coup de pinceau très fluide et délié a toujours été considéré comme le trait le plus caractéristique de l’art de Hals. Ainsi se retrouve-t-il considéré, à juste titre, comme le précurseur de l’impressionnisme, ayant influencé des peintres tels que Gustave Courbet, Édouard Manet, James McNeil Whistler, Claude Monet, Max Liebermann, Vincent van Gogh et John Singer Sargent. Presque tous sont venus à Haarlem pour admirer ses portraits et ses peintures de miliciens.

Il n’empêche que l’artiste « abruti par le vin » s’est finalement tellement endetté pour mener sa « vie crapuleuse »… qu’il a fini complètement ruiné, que son œuvre est lentement tombée dans l’oubli au cours du XVIIIe siècle, et qu’il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour qu’elle soit redécouverte, comme celle de Vermeer, par le critique d’art et journaliste français Théophile Thoré-Bürger (1807-1869). Il faut savoir que jusque dans les années 1960, on parlait de Rembrandt, Vermeer et Frans Hals comme des « trois grands » de la peinture néerlandaise du XVIIe siècle ! Puis, à nouveau, Hals le maudit a peu à peu moins retenu l’attention des spécialistes et des amateurs d’art. Une raison suffisante pour que le Rijksmuseum d’Amsterdam, la National Gallery of Art de Londres et la Gemäldegalerie de Berlin lui redonnent toute la place qu’il mérite en montrant à une nouvelle génération combien son travail était novateur.

« Le précurseur de l’impressionnisme », « célèbre et méconnu, longtemps éclipsé par Rembrandt et Vermeer » est donc de retour avec une exposition qui fera date, alignant une cinquantaine de chefs-d’œuvre parmi les quelque 200 tableaux peints par l’artiste, provenant de prestigieuses collections internationales, et bénéficiant de prêts exceptionnels. Tels que Le Cavalier riant (1624, Wallace Collection de Londres), qui est prêté pour la première fois depuis 1870. Ou encore le Portrait de Famille dans un paysage (vers 1646, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza de Madrid), la Jeune femme présentant des fruits et légumes (1630, collection privée)... Le musée Frans Hals de Haarlem a même consenti à prêter pas moins de quatre portraits de régents et de miliciens. Le Banquet des officiers du corps des archers de Saint-Georges (1616, Musée Frans Hals), la plus ancienne peinture de miliciens de Hals, et la plus célèbre, n’avait encore jamais quitté Haarlem !

Parmi les exclusivités de l'exposition du Rijksmuseum figurent aussi des tableaux comme Les régents de l’hospice des vieillards (Musée Frans Hals), les Portraits de Lucas de Clercq et Feyntje van Steenkiste (Rijksmuseum) et Jeune Garçon Riant (Mauritshuis). Le Bouffon au luth que j’adore est là aussi bien sûr, n’ayant rien perdu de cette expression malicieuse qui m’avait tant séduite quand j’étais tombée en arrêt devant ce tableau un jour que je me baladais au Louvre. En tout cas, il y a plus de trente ans qu’on n’avait consacré une exposition d’une telle ampleur à Frans Hals… et aussi incroyable que cela puisse paraître, il s'agit même carrément de la première exposition Hals présentée dans la capitale néerlandaise ! A cette occasion, les visiteurs sont d’ailleurs également invités à découvrir Haarlem, la ville de la vie et de la mort de l'artiste, située à 20 minutes en train d’Amsterdam.

Qu’il soit au sommet de sa gloire ou au fond du caniveau, la liberté et la vivacité de sa touche impressionniste placent de toute façon Frans Hals pour toujours parmi les peintres les plus novateurs du XVIIe siècle. Ses portraits de régents, de joyeux musiciens ou d’enfants rieurs témoignent d’un talent et d’une audace inégalés. Allez y regarder de plus près : ils sont si pleins de vie qu’ils semblent presque respirer pour de vrai ! On n’a même qu’une envie face au délicieux minois souriant de la petite Catharina Hooft dans les bras de sa nourrice, c’est de la libérer de la cage de sa robe d’infante espagnole qui semble tant la comprimer.

Les chefs-d’œuvre de l’exposition montrent avec éclat que Frans Hals s’était fixé pour but de représenter un être humain vivant – et donc en mouvement – de la manière la plus convaincante possible. Pour y parvenir, il a délibérément et audacieusement développé un style propre, tout à fait original dans la peinture néerlandaise du XVIIe siècle. Hals a opté pour un jeu de touches rapides qui confèrent à ses portraits une vivacité sans pareille. Le parcours de l’exposition met également en lumière l’identité des personnages représentés et leur mode de vie, les rendant encore plus vivants. A n’en pas douter, Malle Babbe devait être une figure bien connue dans les rues de Haarlem, et le Joyeux Buveur était probablement un acteur anglais en tournée aux Pays-Bas avec sa troupe de théâtre. Peindre leur portrait tout en buvant des verres avec eux comblait Frans Hals. Et le journaliste de Connaissance des arts de conclure avec cette petite anecdote que j’ai plaisir à vous rapporter à mon tour : « Visitant Haarlem en 1902, Whistler, que son statut d’artiste célèbre autorisait à monter sur une chaise, caressa de ses doigts la joue d’une des Régentes, et s’écria : « What a swell ! » (C’est épatant !). Qui osera le contredire ? »

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Frans Hals, Der Lautenspieler, Detail, um 1623/24, Paris, Musée du Louvre Photo © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Franck Raux

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