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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Toute la peinture de Gilles Aillaud est politique
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Mars 2024 | Temps de lecture : 33 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Gilles Aillaud. Animal politique », à voir jusqu’au 26 février au Centre Pompidou, à Paris.

L’œuvre de Gilles Aillaud (1928-2005) m’aura d’abord finalement fait un peu le même effet que celle de Rosa Bonheur (1822-1899) : a priori la représentation d’animaux n’est pas ce qui m’attire en peinture, mais en allant y voir de plus près, et surtout en m’intéressant aussi à la vie de l’artiste, soudain elle me passionne ! A cette différence près que le fait qu’il ne sacrifie pas à l’hyperréalisme comme le faisait sa prédécesseure un siècle plus tôt, me rendait déjà au départ Gilles Aillaud plus accessible. Plus susceptible de me plaire. Ses têtes de panthère floutées comme une photographie l’aurait fait d’un fauve en mouvement m’intéressaient. Ses lions, ses girafes, ses phoques… toujours en captivité et se fondant dans le décor de leurs cages, ne pouvaient pas me laisser complètement indifférente. Ce fils d’architecte, peintre mais également écrivain, scénographe et décorateur de théâtre, est en vérité un formidable animal politique. Et c’est ce que souligne à merveille le titre de l’exposition, voulue par son commissaire Didier Ottinger comme le reflet des préoccupations de notre époque : « Gilles Aillaud. Animal politique », à voir jusqu’au 26 février au Centre Pompidou, à Paris.

« Parce que je les aime », répondait l’artiste à ceux qui lui demandaient pourquoi les animaux étaient devenus son thème de prédilection à partir de 1963-64. Le Pop Art et la société du spectacle battaient son plein, et lui se mettait à peindre des animaux seuls dans des zoos, enfermés dans des cages, des enclos, des verrières ou derrières des grilles, tendant, par mimétisme, à se fondre dans leur milieu. On imagine donc facilement que la volonté de produire des œuvres d’art à vendre sur le marché de l’art contemporain était loin d’être sa seule motivation. La précision apportée au traitement des sujets et les cadrages presque photographiques donnaient à ses peintures une présence figurative très forte non dénuée de mystère. Dans la décennie suivante, elles tendirent à occuper toute la production de l’artiste, qui se consacra parallèlement de plus en plus à la scénographie et à l’écriture.

« Riche de quelque quarante pièces choisies parmi les plus belles et les plus emblématiques de son ample production, cette exposition refuse la démonstration pléthorique au profit d’un parcours affûté, vif et précis, parfaitement agencé de sorte que cohabitent les vues de parcs zoologiques, volontiers mélancoliques, et les paysages africains, amples et éblouis. Tendu, ce parcours est une ode à l’humilité et à la délicatesse, loin de la mécanisation du geste et de l’artificialisation du monde. Politique, l’animal… », écrit Colin Lemoine, qui nous offre l’étude d’une œuvre de Gilles Aillaud, Panthères, dans le numéro de janvier du magazine Connaissances des arts.

Gilles Aillaud, Panthères, 1977, huile sur toile, 250 × 200 cm, Centre national des arts plastiques © Adagp, Paris, 2023/Cnap Photo Galerie Karl Flinker

Gilles Aillaud, Panthères, 1977, huile sur toile, 250 × 200 cm, Centre national des arts plastiques © Adagp, Paris, 2023/Cnap Photo Galerie Karl Flinker

« Si les séjours africains du peintre, notamment au Kenya, le verront renouer avec la joie du plein air, Aillaud livre avec ses Panthères une réflexion majeure sur la solitude claustrale des animaux et, de son propre aveux, sur « la monstruosité du vivant dans un pareil local, comme l’humain dans un commissariat ». Tournant en rond comme des lions en cage, les fauves de ce zoo semblent fatigués ou, pire, désabusés, n’ayant rien d’autre à faire que de survivre, de persister dans le vivant, selon une « réitération obstinée et fascinante d’une insistance de l’existence à se manifester » », poursuit le journaliste. « Le silence n’est pas une paix dans cette scène de ménagerie inquiétante : le soleil implacable engendre des ombres menaçantes, le ciel est une promesse refusée par des grillages autoritaires, l’attente à l’air libre est pareille à un supplice. Achetée par l’Etat français et déposée au musée d’Art moderne de Paris, cette toile de deux cent cinquante par deux cents centimètres a quelque chose d’étouffant. Cinq mètres carrés de désolation et de torpeur, mais aussi d’émerveillement, pour le mystère des bêtes et pour la peinture pure. »

Après des études de philosophie, ayant été recalé à l’Ecole normale supérieure par Maurice Merleau-Ponty, Gilles Aillaud retourne en 1949 à la peinture qu’il a pratiquée dès l’enfance, sans jamais cesser de questionner le sens du monde. Au début des années 1950, il réalise des collages de matériaux hétérogènes qu’il présente lors d’une première exposition personnelle à la galerie Niepce à Paris. En 1959, il expose au Salon de la Jeune Peinture dont il devient le président en 1966. Dans ce laboratoire d’expériences plastiques et théoriques, il participe activement au renouveau du genre, devenant l’un des protagonistes de la Figuration narrative, d’après le concept élaboré par le critique Gérard Gassiot-Talabot.

En 1961, Aillaud rencontre Eduardo Arroyo (1937-2018) avec qui il partage des similitudes dans ses conceptions artistiques et politiques. En 1964, Aillaud, Arroyo et Antonio Recalcati (né en 1938) réalisent Une passion dans le désert, qu’ils exposent à la Galerie Saint-Germain à Paris (grâce à un don anonyme, cette fresque narrative a rejoint les collections du MAM Paris en 2018). Inspirée d’une nouvelle éponyme d’Honoré de Balzac, relatant les amours fantastiques d’un soldat de l’armée de Bonaparte et d’une panthère dans le désert d’Égypte, elle constitue le premier tome d’un manifeste pictural, dont l’acte 2 est Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp (conservé au Museo Reina Sofia à Madrid). Alors que la première série revendique avec audace le droit au récit en peinture, la représentation de la mise à mort de l’inventeur du ready-made suscite un énorme scandale. Les deux œuvres sont réunies en 1965 dans l’exposition fondatrice organisée par Gassiot-Talabot à la galerie d’art Creuze : La Figuration Narrative dans l’art contemporain.

L’engagement politique de Aillaud, s’exprime par ailleurs dans de nombreux textes polémiques et manifestations qui réunissent les protagonistes de la Figuration narrative et plus largement les membres du Salon de la Jeune Peinture. On le retrouve en 1968 à l’Atelier Populaire de l’Ecole des beaux-arts, et notamment dans le cadre de la « Manifestation de soutien au peuple vietnamien » organisée à l’initiative du comité du Salon de la jeune peinture. Cette exposition, annulée en juin 1968 en raison des événements de Mai, a été présentée au musée d’art moderne de Paris, dans le cadre de l’ARC (Animation Recherche Confrontation – département contemporain et laboratoire pluridisciplinaire du Musée d’art moderne de la Ville de Paris) du 17 janvier au 23 février 1969, sous le titre de « Salle rouge pour le Vietnam ». Aillaud y présente notamment l’une des plus célèbres de ses œuvres à portée politique, Vietnam. La Bataille du riz (1968, collection particulière), inspirée d’une photographie de presse de 1965.

Les peintures strictement politiques restent cependant assez isolées dans la production de Aillaud, étroitement liées à la période pendant laquelle l’artiste est très engagé au sein des activités militantes et des expressions artistiques collectives des membres de la Jeune Peinture. En 1971, la même année que les Réalités quotidienne des travailleurs de la mine, alors qu’il est programmé au musée d’art moderne de la Ville de Paris pour sa première exposition personnelle, il décroche ses œuvres en signe de protestation contre la censure et le retrait de deux œuvres de l’exposition voisine du peintre Lucien Mathelin par les services de la Préfecture. Parmi les œuvres décrochées figurait le Rhinocéros de dos, daté de 1966.

L’artiste peintre Francis Biras (1929-2019), le premier propriétaire des Réalités quotidienne des travailleurs de la mine, était proche de Gilles Aillaud. Il les a conservées toute sa vie en souvenir de ces années d’activisme et de bouleversements esthétiques. Peintre lui-même avant de devenir scénographe et costumier, Francis Biras était alors  secrétaire du Salon de la Jeune Peinture. Il a participé à la peinture collective Louis Althusser hésitant à rentrer dans la datcha de Claude Lévi-Strauss, Tristes Miels, où sont réunis Jacques Lacan, Michel Foucault et Roland Barthes à l’instant où la radio annonce que les ouvriers et les étudiants ont décidé d’abandonner joyeusement leur passé (1969, collection privée). Il fut aussi l’un des modèles favoris de plusieurs de ses amis artistes de la Figuration narrative. Il a notamment prêté ses traits au légionnaire du cycle d’Une Passion dans le désert. On connaît de lui également un portrait en marqueterie par Eduardo Arroyo : Portrait du peintre Francis Biras déguisé en Pierre Loti et de son chien Vamos (1973).

Alors que les scènes de zoo occupent une place centrale dans la production de Gilles Aillaud, les scènes politiques ou à caractère idéologique font aujourd’hui partie des aspects les moins connus de son œuvre, bien qu’elles participent de sa reconnaissance sur la scène artistique parisienne des années 1960. Mais finalement, comme on le sait maintenant, toutes les scènes de toutes ses œuvres d’art sont politiques ou à caractère idéologique. « Laissant croire qu’il représentait des animaux, c’est notre relation à la nature qui s’impose comme son seul et véritable sujet », affirme aujourd’hui Didier Ottinger, commissaire de l’exposition du Centre Pompidou. Ainsi Gilles Aillaud, à défaut de devenir philosophe, a-t-il toujours peint avec philosophie. Et si Socrate pensait que la politique devait être adossée à la philosophie, Platon est allé encore plus loin, donnant une mission pratique au philosophe : celle de gouverner une Cité Idéale.

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustrations :

- « Ours noir, » 1982 © DR © ADAGP, Paris, 2023

- Gilles Aillaud, Panthères, 1977, huile sur toile, 250 × 200 cm, Centre national des arts plastiques © Adagp, Paris, 2023/Cnap Photo Galerie Karl Flinker

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