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Le secret des Inclusions de Bertrand Lavier
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Février 2024 | Temps de lecture : 23 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Inclusions » qui se tient à la galerie Mennour, à Paris, jusqu’au 3 février 2023.

Il y a toujours eu une distance, souvent une ironie, chez l’artiste plasticien Bertrand Lavier. Mais c’est la première fois, avec Inclusions, que Catherine Millet, illustre critique d’art professionnelle, perçoit une dimension critique dans ses œuvres d’art. Qui dirait par exemple que la prolifération des objets de consommation brouille le regard.

Après des études d’horticulture à l’École nationale de Versailles dont l’influence se ressent dans sa démarche, Bertrand Lavier commence une carrière artistique au début des années 1970. Dans une approche où l’esprit du ready-made « duchampien » se mêle à l’imagerie populaire du Pop art et à la trivialité d’éléments proches du Nouveau Réalisme, l’artiste brouille les pistes, transcende les catégories traditionnelles entre peinture et sculpture, marquant un net intérêt pour l’hybridation. Cinq tableaux de genre et d’époque différents, de l’artiste plasticien né en 1949 à Châtillon-sur-Seine, sont exposés à la galerie d’art Mennour, à Paris, depuis le 1er décembre 2023 et jusqu’au 3 février 2024. Mais « peut-on employer la formule « œuvres nouvelles de Bertrand Lavier » à propos de l’exposition Inclusions ? » C’est Catherine Millet qui pose la question dans le numéro de décembre du magazine d’art contemporain Artpress, dont elle dirige la rédaction.

Elle-même hésite à répondre, donc ce n’est pas moi qui vais m’y risquer ! Il n’empêche que le doute est permis, effectivement, « tant l’artiste continue de décliner avec subtilité les gestes qu’on lui connaît (superposition, recouvrement) et d’affirmer sa façon bien à lui de se recycler ». Autrement dit, même si on a par exemple sous les yeux une nouvelle version de voiture accidentée, ses « nouvelles » œuvres d’art à vendre ne semblent vraiment pas si nouvelles que ça… Et pour cause ! Prenant la forme d’objets peints, superposés, soclés, agrandis ou simplement détournés de leur contexte d’origine, les œuvres d’art de Bertrand Lavier sont organisées en « chantiers » – c’est ainsi qu’il se plaît à désigner ses séries – qu’il laisse volontairement ouverts pour pouvoir y revenir en permanence.

Bertrand Lavier s’approprie aussi bien des objets quotidiens que des œuvres d’art. Ainsi, en 1985, il repeint avec sa « touche Van Gogh » un tableau de François Morellet avec les mêmes couleurs que l’original (Lavier/Morellet, 1975-1995, Paris, MNAM). Il en résulte une perception ambigüe de la peinture, dont le caractère abstrait s’efface au profit d’un statut équivoque, entre figuration et abstraction. Ce mélange des genres, des codes et des matériaux, emblématique de sa pratique artistique, produit des œuvres qui déstabilisent la perception, créant des instantanés à l’impact visuel d’une fulgurante évidence.

A la galerie d’art parisienne actuellement, l’heure est à la contemplation. Car avec Inclusions, on est loin de l’accrochage classique de tableaux sur des cimaises ! Une composition florale, une marine, deux abstractions lyriques et une abstraction géométrique sont ici comme en lévitation dans des parallélépipèdes de résine transparente posés sur un socle. Ces œuvres d’art s’inscrivent dans la suite dite des « tableaux recouverts ». Mais eux ne sont pas recouverts d’une nouvelle couche de peinture, comme le sont Nature morte and Still Life (1977), ce réemploi d’un tableau d’André Lhote, ou Lavier/Morellet, dont je vous parlais un peu plus haut. Non, eux sont recouverts de résine polyester qui, « loin d’enfouir leur surface originale, leur confère profondeur et brillance », observe Catherine Millet.

« Ce sont tout autant des objets socles, comme l’ours en peluche Teddy (1994) et, surtout, les statuettes africaines moulées en bronze nickelé (2008). Enfin, ils font écho à French Painting (1984), livre recouvert d’une couche de peinture et qui, posé sur un socle, devenait une sculpture. » Comme autour d’une sculpture d’ailleurs, on tourne autour de ces tableaux prisonniers de leur écrin translucide, dont la tranche démultiplie les effets, et dont on cherche une signature qui n’existe pas toujours.

« Bertrand Lavier est fondamentalement un artiste conceptuel dont la portée des idées tient à la réalisation concrète qu’il leur donne, c’est-à-dire que ses œuvres sont réussies, non quand elles satisfont des attentes esthétiques et émotionnelles, mais quand, au contraire, elles laissent notre jugement aussi suspendu que ces tableaux flottant au-dessus de leur socle. Indubitablement, la résine, limpide, embellit, comme elle embellissait des collections d’insectes ou de cailloux dans des objets de décoration très à la mode dans les années 1970, ou comme, dans l’œuvre d’Arman, elle valorise, dans toutes les acceptions du mot, le contenu de poubelles », écrit Catherine Millet. « On regarde les tableaux ainsi présentés comme jamais on ne les aurait regardés dans une brocante ni une exposition de peintres amateurs. » Là, je ne suis pas convaincue que la résine en soit la seule cause… Vu la cote d’un Lavier sur le marché de l’art contemporain, je crois qu’on regarde aussi beaucoup mieux n’importe quel tableau à partir du moment où il figure dans l’une de ses expositions !

« Il n’empêche que le geste de Lavier est iconoclaste », poursuit Catherine Millet. Presque sacrilège, même. « Certes, la surface de ces tableaux est mieux respectée que celle du Lhote ou des Morellet, mais on pourrait imaginer que leurs auteurs ne soient pas du tout d’accord avec l’usage que Bertrand Lavier en fait, qui les soustrait au mode de présentation et à une circulation auxquels ils les destinaient, et qu’ils fassent valoir leur droit moral. Surtout, ces œuvres nous mettent en équilibre sur une crête dont ils nous font ressentir l’inconfort : qu’est-ce qui fait basculer notre jugement, décider qu’un tableau est bon ou mauvais, ou qu’il s’agit d’un bon tableau d’un mauvais peintre, voire d’un mauvais tableau d’un bon peintre ? Devant Lavier/Morellet, il n’y avait pas d’hésitation : on avait à faire à un bon Lavier en même temps qu’à un Morellet approximatif, même si un vrai bon Morellet était caché dessous. Tandis que je ne serai certainement pas la seule à m’être dit, en découvrant les « abstractions lyriques » de cette exposition et leurs couleurs si attractives : « Mince ! Bertrand a mis des Schneider dans la résine. » Au deuxième examen, on voit, entre autres, une mollesse du geste qui n’est pas digne de Gérard Schneider, mais après tout, il peut y avoir des Schneider ratés. En fait, Lavier s’est adressé à un peintre qui a librement réalisé ces tableaux à l’instar de celui qui, jadis, avait prolongé selon son inspiration les photographies de la série Landscape Painting and Beyond. »

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustrations : Exhibition view, Mennour, Paris
2023
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