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Le regard humaniste du peintre des chats
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Janvier 2024 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Théophile-Alexandre Steinlen, l’exposition du centenaire », à voir jusqu’au 11 février 2024 au Musée de Montmartre à Paris.

« À quoi bon prêcher ? Il faut agir. Le monde ne va pas ainsi qu’il devrait aller » estimait déjà Théophile-Alexandre Steinlen… en 1898 ! Eh oui, le peintre de la célèbre affiche du Chat noir, ce cabaret emblématique de Montmartre et de la Belle Epoque, n’était pas seulement un dessinateur et un sculpteur de chats ! Il était surtout très engagé politiquement, bouleversé par la misère populaire qu’il ne cessait de côtoyer depuis qu’il avait débarqué à Paris en 1881 avec sa future femme Emilie, après avoir suivi une formation au dessin d'ornement industriel à Mulhouse, chez Schoenhaupt. Lui, natif de la petite bourgeoisie suisse ayant grandi sur les bords du lac Léman, où il était né le 8 novembre 1859, n’avait rien manqué des enseignements de l’un de ses professeur, ancien communard, exilé au lycée de Lausanne. Il avait pourtant souvent fait l’école buissonnière, pour aller dessiner dans la nature, mais les idéaux de liberté, d’égalité, et de fraternité, ça, il les avait bien intégrés. Au point de rompre très tôt avec sa famille, - qui le voyait devenir pasteur et lui imposait des cours de théologie -, de se faire naturaliser Français en 1901, et de finir ses jours au pied de la butte Montmartre à 64 ans, dans les bras de sa fille unique, Colette, en décembre 1923. Dans cet appartement de la rue Caulaincourt aussi, où il venait de vivre trente ans, jamais loin des chiffonniers, des rétameurs, des blanchisseuses, des filles publiques et des ouvriers…

Alors oui, évidemment, le chat, animal fétiche de cette fin du XIXe siècle depuis les poèmes de Baudelaire, choisi comme emblème par le café-concert qui s’était installé à Paris la même année que Steinlen, deviendra sa marque de fabrique. Mais un chat qui n’hésitera jamais à sortir ses griffes ! Car dans toutes ses œuvres d’art à vendre, l’artiste qui reprendra l’atelier de son ami Toulouse-Lautrec, à la mort de ce dernier, témoignera en réalité des bouleversements sociaux de ce tournant du XXe siècle. Ce qui rend d’autant plus passionnante l’exposition que lui consacre actuellement le Musée de Montmartre, depuis le 13 octobre 2023 et jusqu’au 11 février 2024, à l’occasion du centenaire de sa disparition. L’événement rend vraiment hommage à cet artiste inclassable et protéiforme, qui fut dessinateur, graveur, peintre et sculpteur, mais aussi humaniste, anarchiste, libertaire… et qui finalement n’appartint qu’à une seule école : celle de la liberté.

Comme le rappelle Ingrid Dubach-Lemainque dans son article pour le numéro de novembre du magazine L’Oeil, « la loi sur la liberté de la presse vient tout juste d’être promulguée à l’été 1881, et des dizaines de journaux illustrés voient le jour ». Une aubaine pour celui qui, d’un coup de crayon, peut croquer toute l’absurdité du monde politique et pointer les inégalités sociales. Ses dessins polémiques fleurissent dans la revue Le Chat noir bien sûr, qui paraît à partir de 1882 et rassemble aussitôt les grandes signatures artistiques de l’époque. Mais ils sont bientôt aussi dans Le Mirliton d’Aristide Bruant, dans Gil Blas, Le Chambard socialiste … et plein d’autres !

« Un fil conducteur se détache au sein de sa production extrêmement prolifique : celui de l’engagement, tant l’artiste associa art et politique, en se faisant témoin critique de son temps. Steinlen fit circuler ses motifs d’une technique et d’un médium à l’autre, entre presse illustrée, art du livre, affiche et tableau. Le peuple des humains, mais aussi celui des chats qui en est comme un double carnavalesque mais à l’irréductible étrangeté animale, sont les principaux sujets de l’artiste qui s’intéressa également aux genres classiques de la peinture, en particulier le nu et le paysage. Méfiant envers toutes les chapelles, Steinlen croyait en la mission sociale et politique de l’art, comme voie et voix vers un monde meilleur », écrivent Leïla Jarbouai, conservatrice en chef, arts graphiques et peintures du musée d’Orsay, et Saskia Ooms, ancienne responsable de la conservation du Musée de Montmartre, les commissaires de cette exposition du centenaire.

Je me demande ce que Steinlen penserait, s’il savait qu’en 2019, un recueil de ses dessins est entré dans les collections d’un musée parisien (Orsay en l’occurrence) pour 446 557 €… Sans nul doute aurait-il été flatté de voir sa cote galoper sur le marché de l’art. Apaisé même. Car l’autodidacte en avait un peu marre à la fin de n’être reconnu que comme un affichiste anonyme et un dessinateur de presse. Aussi engagé et anticonformiste soit-il, il se sentait artiste, point barre. Et voulait être considéré comme tel. Au même titre que les autres fréquentant Le Chat Noir, qu’il s’agisse de Camille Pissaro, Vincent Van Gogh, Henri de Toulouse-Lautrec, Alphonse Allais, Stéphane Mallarmé, Claude Debussy ou Erik Satie… « Avide de reconnaissance sociale et de notabilité, amer d’être considéré comme un artiste de seconde classe, il se détourne progressivement de l’illustration pour se consacrer, à la fin du siècle, à la peinture », nous raconte la journaliste de L’Oeil. Me rappelant étrangement l’histoire de Toulouse-Lautrec… Comme si l’on ne pouvait pas imprimer des œuvres d’art sur des affiches !

« D’abord refusé aux salons, il développe au fil des années un réseau de mécènes, adhère à la Société nationale des beaux-arts, sculpte des animaux (dont beaucoup de chats) et peint des natures mortes, nus féminins et scènes de la vie bourgeoise : une œuvre tout en harmonie, bien éloignée de l’univers social sans filtre qu’il dépeignait avant », continue Ingrid Dubach-Lemainque. Bref, Steinlen met doucement de côté ses talents de fin observateur de la société et sa maîtrise narrative. De là à en déduire que ses convictions politiques n’ont finalement pas suffi à empêcher le talentueux polémiste de devenir opportuniste avec l’âge… il n’y a qu’un pas que je suis évidemment tentée de franchir tristement. Même si avec l’arrivée de la Grande Guerre, Steinlen gardera toujours le cap de son idéal pacifiste, réalisant quelque 200 gravures, des affiches, des centaines de dessins et de cartes postales… en remplaçant simplement la figure de l’ouvrier qui lui avait été si chère, par celle du troupier. Des œuvres d’art à vendre qui ont bien entendu facilement trouvé preneurs.

Selon un parcours à la fois chronologique et thématique, l’exposition du Musée de Montmartre retrace donc la carrière de Steinlen, et donne un aperçu de la richesse de sa production à travers une sélection d’une centaine d’œuvres, dont une grande proportion de peintures à l’huile, moins connues que son œuvre graphique, largement représentée également dans l’exposition, ainsi que des sculptures. Suivant le fil conducteur de l’art social, le parcours est organisé en trois principaux mouvements : Montmartre et le Chat Noir ; le peuple comme sujet et but de l’art ; enfin, entre peinture d’histoire et nus intimes, le rapport aux genres classiques de l’histoire de l’art, toujours au service d’une vision politique de l’art. Donc, tout se termine bien ? Même s’il a couru après la notoriété et flatté les bourgeois, Steinlen n’aurait finalement jamais perdu de vue l’injustice sociale ? Le vagabond révolutionnaire n’aurait jamais cessé de s’exprimer derrière le notable, jusque dans les salons ? Eh bien… je vous laisse aller y voir de plus près !

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

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