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Rothko donne le vertige à 46 cm de ses tableaux
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Janvier 2024 | Temps de lecture : 28 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Mark Rothko » à la Fondation Louis Vuitton, à Paris, jusqu’au 2 avril 2024.

Si je devais défendre un texte écrit par une sensibilité humaine contre un texte écrit par une intelligence artificielle (encore faudrait-il qu’on me le demande), je crois que je prendrais l’exemple de la peinture. Jamais l’émotion du regardeur ne sera la même devant une reproduction d’œuvre d’art, aussi léchée soit-elle, que devant l’originale. Forcément : une machine l’a « glacée ». Son âme s’en est allée. Elle peut encore éventuellement séduire, mais jamais elle ne bouleversera.

 Je ne peux pas croire que les foules se pressent dans les musées uniquement pour avoir des sujets de conversation dans les soirées branchées. Il y a forcément un grand nombre d’individus en leur sein qui « ressentent » au plus profond d’eux-mêmes la vie intrinsèque de la peinture. Sa vibration. Sinon, ils regarderaient les catalogues d’exposition et ne feraient pas trois heures de queue...

Pour affiner mon propos, toujours dans l’hypothèse où l’on me demanderait mon avis, je parlerais de Mark Rothko. Les dix pages du magazine Connaissance des arts qui sont consacrées ce mois-ci à l’exposition événement de la Fondation Louis Vuitton, à Paris, ont beau être magnifiquement illustrées de certains tableaux emblématiques du peintre américain d’origine russe, celui ou celle qui ne s’est jamais posté(e) devant les originaux, risque de se demander pourquoi ces taches rectangles de couleur font couler autant d’encre… « Encore une entourloupe du marché de l’art moderne » dira l’un. « Pfff… Moi je peux t’en faire autant », dira l’autre, « c’est comme l’art contemporain : de la fumisterie j’te dis ! ». Oui, je les entends comme si j’y étais. Et j’ai envie de hurler : ALLEZ VOIR CES TABLEAUX POUR DE VRAI !!! Tenez-vous à 46 cm devant eux… C’est lui qui l’a conseillé. Regardez… Vous allez décoller…

On n’avait pas vu une rétrospective Rothko à Paris depuis vingt-cinq ans… Pour l’occasion, exceptionnelle, les plus grands musées du monde se sont séparés de leurs tableaux afin que les visiteurs de la Fondation Louis Vuitton puissent en admirer 115 jusqu’au 2 avril 2024. Un record. Évidemment qu’il ne faut pas manquer cette exposition ! Même si honnêtement, on n’ose à peine la commenter tant l’artiste lui-même était écœuré par les spéculations du marché de l’art… et les critiques d’art. Au point finalement de se suicider face à la maladie, lui dont les œuvres d’art se vendaient pourtant si bien depuis qu’il avait exposé à la galerie d’art de Peggy Guggenheim… qu’il pouvait carrément se permettre de rembourser ses commanditaires lorsque, finalement, le lieu où elles allaient être exposées lui semblait inapproprié. Un artiste on vous dit. Pas un marchand d’art. Je me demande ce qu’il penserait s’il savait que son Orange, Red, Yellow de 1961 s’est vendu 86 M$ en 2012 chez Christie’s

Si l’abstraction s’oppose à la réalité vécue, alors les œuvres d’art de Rothko ne sont pas abstraites. Il y a déjà bien des années, j’ai eu la chance de visiter la Tate Modern à Londres. J’étais trop avide de tout voir, j’allais trop vite. Je me souviens qu’à un moment donné, j’ai dû rebrousser chemin en réalisant soudain que j’avais semé mon compagnon. Je l’ai retrouvé assis dans la « salle des Rothko », la Rothko Room. Il était médusé. Il en avait les larmes aux yeux. Il ne pouvait plus avancer. Je me suis approchée de lui, sans un mot. J’ai observé attentivement à mon tour. Et j’ai compris. Ces toiles monumentales devant lesquelles j’étais passée trop vite avaient tellement de choses à raconter ! Pas leur secret de fabrication, ça c’est sûr : Mark Rothko n’a laissé aucune « recette » de ses mélanges de pigments rendant ses œuvres d’art à vendre si éloquentes. Mais la matérialité en est telle, qu’elles chuchotent longuement à l’oreille. Qu’elles hypnotisent. Jusqu’au vertige.

Ah tiens, le titre de l’article de Valérie Bougault, dans le numéro de novembre de Connaissance des arts, est justement « Mark Rothko, le peintre du vertige »… Et son accroche pose la question : « Célèbre pour ses immenses toiles aux couleurs vives, Mark Rothko (1903-1970) ne se pensait pourtant ni coloriste, ni peintre abstrait. A la fois sereine et violente, quelle est donc cette œuvre qui plonge certains spectateurs dans une émotion vertigineuse, proche de la transe ? » Personnellement, je répondrais que c’est l’œuvre d’un artiste qui a pensé son art en plus de le vivre dans ses tripes. Qui lui a donné la puissance de la vie. Au point de devoir cesser de peindre pendant la seconde guerre mondiale, tant le choc fut rude pour cet exilé juif et russe arrivé aux Etats-Unis à l’âge de 9 ans. Il ne pourra plus représenter des êtres humains dans ses tableaux. Il écrira un livre. Et puis il reviendra doucement à la peinture. Mais l’artiste alchimiste s’est alors débarrassé de la figuration.

Sans doute le jeune Marcus Rothkowitz, benjamin d’une famille juive de quatre enfants, né en 1903 à Dvinsk, alors ville russe et aujourd’hui baptisée Daugavpils, en Lettonie, n’imaginait-il pas devenir un jour l’illustre Mark Rothko, nom qu’il s’est choisi en 1938 en obtenant la nationalité américaine. Surtout qu’à 17 ans, il étudiait les sciences humaines à l’université de Yale. « Philosophie, littérature, théâtre (il sera un temps acteur), musique, aucun domaine de la culture ne lui est étranger. C’est presque par hasard qu’en 1923 la peinture l’emporte, lorsqu’un ami lui donne rendez-vous à l’Art Students League à New York », écrit la journaliste de Connaissance des arts.

Il faut dire que l’étudiant a dû fuir Yale tant la persécution contre les juifs est excluante… Il se retrouve à faire des petits boulots à New York. A étudier la peinture auprès de Max Weber ou Arshile Gorky. Il s’intéresse à Cézanne, à Rembrandt, à Fra Angelico… « Sa peinture figurative des années 1930 étonne aujourd’hui : silhouettes anorexiques sœurs des sculptures de Giacometti, évoluant dans des scènes urbaines aux structures architecturales linéaires, mondes souterrains du métro sévèrement cadrés – les Subway Paintings -, tout un univers existentialiste, presque un décor de théâtre. Les peintures sur papier, aquarelle ou gouache sont une partie importante de son travail et sa première exposition personnelle, en 1933, à Portland, leur est consacrée », écrit Valérie Bougault.

Dès 1938, Mark Rothko s'engage dans une phase d'expérimentation et rejoint les aspirations d'une nouvelle génération d'artistes new-yorkais, regroupés a posteriori sous l'appellation d'école de New York. Avec son ami peintre Adolph Gottlieb, il rédige une lettre au critique d’art du New York Times : « 1. Pour nous, l’art est une aventure dans un monde inconnu, dont l’exploration est réservée à ceux qui veulent en prendre le risque. 2. Ce monde de l’imagination est encore à conquérir et s’oppose violemment au sens commun. » S’opposer au sens commun… Je ne sais pas vous, mais moi ça me parle tellement…

Henri Matisse, L’Atelier rouge, 1911, huile sur toile, 181 x 219 cm, New York ©Museum of Modern Art

Henri Matisse, L’Atelier rouge, 1911, huile sur toile, 181 x 219 cm, New York ©Museum of Modern Art

Bref, « les années 1946 à 1949 sont celles du glissement vers l’abstraction », écrit la journaliste de Connaissance des arts. Et miracle : Mark Rothko tombe en arrêt en 1949 devant Le Grand Atelier rouge, d'Henri Matisse, entré dans les collections du MoMA cette année-là. Ce ne sont pas les objets représentés sur la toile qui l’intéressent. Mais bien les espaces qui sont rouges. Vides, et habités à la fois. Il en retient la composition en rectangles, et surtout, l'utilisation de cette couleur. Mais aussi sa vibration et son incroyable pouvoir d'expression. Bientôt, il commence à travailler par grands aplats colorés et lumineux, organisés en bandes ou envahissant la totalité de la surface picturale. Dès lors, Mark Rothko est considéré comme l'un des maîtres de l'expressionnisme abstrait et s'oriente vers le monochrome.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

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