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L’animal dans l’art, de Rosa Bonheur à Gilles Aillaud
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Décembre 2023 | Temps de lecture : 25 Min | 0 Commentaire(s)

A propos du genre animalier qui reprend force et vigueur sur le marché de l’art.

Vous souvenez-vous des expositions consacrées à Rosa Bonheur (1822-1899) à l’occasion du 200e anniversaire de sa naissance, en 2022 ? J’étais quant à moi allée poser ma roulotte à côté du musée des beaux-arts de Bordeaux début juin, pas du tout pour profiter de la climatisation en ce jour où la chaleur écrasait la ville, même si l’occasion fut opportune, mais pour découvrir l’événement qui ouvrait le ban, juste avant le musée d’Orsay à Paris et le château de Fontainebleau. Entre parenthèses, le contributeur Wikipédia se passionnant pour Rosa Bonheur ferait bien de réviser sa fiche consacrée à la fameuse peintre animalière qui vivait très bien de ses œuvres d’art à vendre, car au paragraphe de ses expositions monographiques, celle qui s’est déployée du 18 mai au 1er septembre 2022 à Bordeaux a carrément été oubliée. Alors qu’elle était vraiment la première, en hommage justement à la ville natale de l’artiste…

Bref, on se souvient surtout d’avoir découvert que ces peintures animalières, souvent monumentales, toujours impressionnantes, malgré l’immense notoriété acquise de son vivant par leur peintre, avaient longtemps été remisées dans les réserves des musées de province, tant leur classicisme, leur réalisme, les avaient fait passer de mode. Je n’ai d’ailleurs jamais oublié la médiatrice culturelle du musée de Bordeaux expliquant à un groupe de visiteurs qu’elle-même, issue des beaux-arts de Paris, n’avait jamais entendu parler de Rosa Bonheur au cours de ses études ! Le bicentenaire de la naissance de la peintre, inscrit au calendrier des commémorations France Mémoire 2022, première rétrospective consacrée à l’artiste depuis celle présentée en 1997 à Bordeaux, Barbizon et New York, tombait donc vraiment bien : merci le retour en grâce des femmes oubliées de l’histoire de l’art. Parce que Rosa Bonheur mérite vraiment à elle seule d’être connue, que l’on soit ou non tenté d’acquérir l’une de ses œuvres d’art pour en orner son intérieur.

Je ne me suis donc pas privée en 2022 d’approfondir cette belle rencontre en allant visiter dans la foulée le « château » de By, à Thomery, en Seine-et-Marne. Rosa Bonheur avait pu se payer cet ancien domaine seigneurial du XVe siècle en 1859, grâce à la vente d’un seul de ses tableaux : son monumental Marché aux chevaux, qui fut présenté au Salon de 1853 à Paris et qui fit dire d’elle qu’elle peignait « comme un homme » : compliment suprême pour l’époque ! N’empêche que même si elle devait renouveler constamment son « autorisation de travestissement » pour pouvoir enfiler un pantalon avant d’aller poser son chevalet dans les marchés aux bestiaux, Rosa Bonheur était bien une femme, et une excellente peintre. La première même à pouvoir s’acheter tout seule une maison avec le fruit de ses œuvres d’art à vendre. Alors si elle avait jeté son dévolu sur le château de By-Thomery, ce n’était pas seulement parce qu’elle pouvait y faire construire un atelier lumineux. C’est surtout parce qu’il était posé à la lisière de la forêt de Fontainebleau, sur quatre hectares de domaine arboré… qu’elle pouvait peupler d’animaux.

Oui, les modèles vivants de Rosa Bonheur déambulaient dans son propre jardin, qu’ils soient chiens ou chats mais aussi moutons, cervidés, chevaux, oiseaux… et même fauves. Un lion et une lionne se sont en effet retrouvés à vivre dans le domaine de By-Thomery pour que l’artiste puisse les peindre à sa guise. De quoi faire des bonds, aujourd’hui que la cause animale est entendue ! Mais à la décharge de Rosa Bonheur, et pour bien recontextualiser le propos avant de faire son procès, on était encore dans le sillage des théories cartésiennes de l’« animal machine ». A savoir la thèse de Descartes qui privait les animaux de toute conscience et sensibilité, afin de justifier son exploitation par l’homme. La peintre, en dotant le regard de ses animaux d’une désarmante humanité, oeuvrait finalement peut-être, à sa façon, à l’amélioration de leur statut…

Quoiqu’il en soit, elle au moins ne présentait pas à ses vernissages des poissons rouges vivants, dans des mixeurs que les visiteurs étaient invités à actionner (et qui l’ont fait), à l’instar du Danois Marco Evaristti en 2003 ! Elle ne mettait pas non plus en scène la mort d’un chien dans une galerie d’art comme le Costaricain Guillermo Vargas, ni un requin dans du formol ou des mouches agonisantes dans une caisse de verre comme Damien Hirst… Les artistes ont-ils tous les droits pour parler d’une cause qui les interroge ? « Ces créations extrêmes, où l’animal est sacrifié au service d’un discours qui prétend ouvrir les yeux du spectateur devenu voyeur et complice malgré lui, sont quasiment indéfendables, injustifiables », estime Daphné Bétard dans le passionnant dossier qu’elle consacre dans le numéro d’octobre de Beaux Arts Magazine aux artistes qui explorent l’âme des animaux. Et de nous citer aussi la vidéo Printemps d’Adel Abdessemed montrant des poules suspendues par les pattes et brûlées vives, le vivarium Theater of the World de Huang Yong Ping, où criquets, lézards et serpents s’entredévoraient, ou le lapin fluo transgénique Alba, d’Eduardo Kac, qui finit dans un laboratoire…

« Comment prétendre lutter contre la torture lorsqu’on s’abaisse à la mettre en scène ? Susciter le scandale, la stupéfaction, créer le malaise pour faire réfléchir… oui, mais à quel prix ? », interroge la journaliste. « Ambivalent, dérangeant, subversif, extrême, trouble et cruel, l’art contemporain à l’épreuve de l’animal – titre de l’ouvrage édifiant du théoricien de l’art Vincent Lecomte (…) – a pu aussi emprunter des voies obscures, des chemins de traverse trash, tordus et douloureux, où la morale et la bienséance furent remisées au placard. » Il n’empêche qu’on sait pourtant dès les années 1960, et surtout depuis les travaux des éthologues dans les années 1980, que l’animal n’est pas moins doué de sensibilité que l’humain. Mais il en aura fallu du temps, pour que la nécessité d’une éthique de la cause animale gagne la conscience collective ! Comme l’écrit Daphné Bétard, « l’animal n’est plus un sujet de curiosité, scruté pour satisfaire l’œil humain vorace, il est devenu un sujet à lui seul. »

Sur le marché de l’art contemporain, les représentations d’animaux ont donc le vent en poupe. Alors même si le genre mis à la mode au XVIIIe siècle et obtenant ses lettres de noblesse au XIXe avec Rosa Bonheur était, depuis, devenu complètement suranné, le voilà qui ressort des fourrés et rugit de toute sa superbe. « Totalement réinventé par des artistes qui tissent un nouveau rapport à l’animal, à l’aune de la grande extinction des espèces », écrit la journaliste de Beaux Arts Magazine. « Peintures, sculptures, installations, performances… autant de formes pour expérimenter, avec empathie ou violence, notre propre part de bestialité. »

Allez hop, on file pousser la porte du musée de la Chasse et de la Nature à Paris, qui a confié ses cimaises à l’humour surréaliste de Sean Landers, mâtiné de Magritte et Picabia. Il faut savoir que l’artiste américain n’hésite ni à affubler ses bêtes sauvages de tartan écossais, ni à revêtir un buffle d’une veste en patchwork de cuir ouverte sur un pendentif à l’effigie de Salvator Dali... Et tant qu’on est à Paris, on passe évidemment par le Centre Pompidou pour planer devant les hippopotames, les ours polaires, les tigres, les lions ou les tortues de Gilles Aillaud. Avant de passer la frontière à l’est pour un petit tour près de Bâle, à la Fondation Beyeler qui expose le mystérieux Niko Pirosmani, ce grand solitaire géorgien de l’art moderne… Mais c’est dommage : l’entrée des musées est interdite aux animaux !

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Le Marché aux chevaux - Rosa Bonheur

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