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Sarah Lucas, l’artiste « texturielle »
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Décembre 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Srah Lucas. Happy Gas », à la Tate Britain à Londres, visible jusqu’au 14 janvier 2024.

Alors que je lui parlais de l’incroyable mémoire du corps, une amie psychiatre m’expliquait récemment à quel point la découverte de cette sorte de « troisième cerveau » a révolutionné la connaissance que nous avons de nous-mêmes. On connaissait le cerveau cognitif, on admettait le cerveau émotionnel… mais figurez-vous que les recherches scientifiques en ont débusqué un troisième, qualifié de mimétique. Exemple. Lorsque vous tendez la main pour saisir un verre d’eau, vous avez tendance à croire que c’est tout simplement votre cerveau, celui que vous situez dans votre crâne, qui a décelé votre soif et donc commandé ce geste. Eh bien non, pas du tout ! C’est le geste qui en réalité a fait comprendre à votre cerveau que vous aviez soif ! Le sujet n’est évidemment pas dénué d’intérêt, mais vous êtes parfaitement en droit de vous demander pourquoi je vous raconte ça ici… Tout simplement parce que le travail de Sarah Lucas m’y fait penser. Et plus précisément les propos que l’artiste internationalement connue pour son utilisation audacieuse et provocante des matériaux et des images tient lors de son entretien avec Alix Agret, chercheuse et historienne de l’art, dans le numéro d’octobre du magazine d’art contemporain Artpress.

En faisant remarquer à l’artiste britannique, exposant actuellement à la Tate Britain à Londres, qu’elle semble jouir d’une « conscience matérielle aiguë, d’un sens intuitif des objets », Alix Agret lui demande si elle serait d’accord pour décrire sa pratique « avant tout comme un processus corporel marqué par l’intelligence de la main » ? Ce à quoi Sarah Lucas répond sans ambages qu’effectivement, « je suis souvent fascinée de voir comment le corps se souvient des choses, notamment les mains – où se trouve l’interrupteur, par exemple, ou, au volant, quand le corps réagit automatiquement à une situation, avant que la pensée n’intervienne ».  Ainsi, celle dont les œuvres d’art à vendre sont traversées par le sexe, les classes sociales et le genre, que ce soit en sculptures, installations ou photographies, en est-elle convaincue : « Je crois vraiment que c’est ça qui se passe quand on fabrique des choses. Quand je cherche l’amorce d’un rouleau de scotch, mes doigts sont un meilleur guide que mes yeux. J’aime trouver mon chemin à tâtons. J’aime les jeux de mots et aussi jouer avec des idées. Mais en même temps, éviter de trop prévoir. Travailler permet parfois de jouer à saute-mouton d’un concept à l’autre. Ce sont surtout des accidents et des glissements qui se produisent. Mais ils se produisent aussi avec les concepts. On travaille parfois en état de transe. Comme en écoutant de la musique. J’aime vraiment beaucoup tout ça. »

Avec Damien Hirst, Angela Bulloch, Gary Hume, Richard Patterson, Fiona Rae et d’autres anciens élèves du Goldmiths College de Londres, Sarah Lucas est très vite assimilée aux provocateurs Young British Artists, exposant dans des hangars désaffectés et défrayant très vite la chronique du monde de l’art contemporain dans les années 1990. Notamment par leur indépendance, leur esprit d’entreprise et leur capacité à manipuler les médias. Leur « tactique de choc », comme on disait alors. Ils avaient surtout en commun de participer aux expositions de groupe de la galerie Saatchi, musée d’art contemporain à Londres. Des expositions qui étaient systématiquement intitulées Young British Artists. Sarah Lucas a acquis ainsi une réputation internationale pour ses œuvres provocatrices qui utilisent fréquemment des jeux de mots visuels grossiers et un humour provocateur et paillard. Elle adore désormais perpétuer l’état d’esprit collaboratif qu’elle a connu avec les YBAs, en assurant par exemple le commissariat d’expositions collectives, comme celle qui a récemment réuni 25 femmes artistes à Colchester sous le titre Big Women. « On comprend mieux les gens quand on travaille avec eux », estime l’artiste.

Née le 23 octobre 1962 à Londres, la plasticienne vit et travaille toujours dans sa ville natale, mais également désormais aussi dans le Suffolk, le comté de l’Angleterre de l’Est où elle a choisi de s’installer en 2007. Elle a très tôt exploré la fluidité de sexe, de genre, de classe sociale, avec une prédisposition finalement très punk pour le Do It Yourself. « Chacun à sa manière, les objets et les matériaux ont un sens. Ou au moins des connotations », explique Sarah Lucas à l’historienne de l’art qui lui demande pour Artpress si l’utilisation d’objets bon marché, périssables ou répugnants (typique des YBA) , est une manière de démystifier l’acte créateur. « Il y a aussi un autre élément : j’aime tester la valeur des matériaux bas de gamme, combattre l’idée que le plus cher est toujours le meilleur. Il m’arrive effectivement de me servir de matériaux et de procédés chers, mais ce n’est pas ce qui rend les œuvres d’art meilleures. D’aucune manière, en ce qui me concerne. »

Sarah Lucas n’hésite pas à se définir comme une « obsédée texturielle ». Œufs, nylon, résine, bronze, béton… toutes les formes de textures l’inspirent pour bâtir son œuvre de sculptrice. Depuis qu’elle a imaginé dans son lit en 1992 son très ironique Two Frieds Eggs and a Kebab, une œuvre d’art résumant parfaitement son approche artistique, et dans lequel un corps féminin nu et allongé est construit à partir d’une table avec deux œufs et un kebab, elle a pris l’habitude de travailler partout. Au sens où elle n’a pas forcément besoin de se rendre tous les jours dans son atelier. Et qu’elle adore aussi improviser in situ. « Pour moi, faire une exposition, c’est la même chose que faire une œuvre. » L’artiste qui s’inspire davantage du quotidien que de l’art qui l’a précédée, même si on ne peut s’empêcher de penser au fil de l’expo à Duchamp, au ready-made, à l’arte povera, au surréalisme… réalise ainsi des sculptures à partir d'une gamme hétérogène et inattendue de matériaux usuels, tels que des meubles usés, des vêtements, des fruits, des légumes, des journaux, des cigarettes, des voitures, de la résine, du plâtre, des lampes au néon et des luminaires. C’est effectivement comme si l’apparence sale et abjecte de nombre de ses œuvres voulait démentir le sujet sérieux complexe qu’elles abordent.

On aime ou on n’aime pas, mais en tout cas on sourit, on réfléchit, on se dit qu’au moins, Sarah Lucas n’a pas la grosse tête, et on constate qu’elle fait constamment référence au corps humain, explorant justement ce qui rend humain, remettant obstinément en question les définitions de genre et la culture machiste. Avec par exemple en 1994, Au Naturel. Une œuvre d’art composé d'un matelas sur lequel un seau vide et une paire de melons représentent les organes génitaux féminins tandis que le mâle est représenté par un concombre et une paire d'oranges. De même, Sarah Lucas réalise très tôt des autoportraits provocateurs qui remettent en question les représentations traditionnelles des femmes et l'image clichée de l'artiste moderne dans des œuvres telles que Eating a Banana (1990). Et ça, forcément, on aime.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Sarah Lucas COOL CHICK BABY 2020 Collection of Alexander V. Petalas © Sarah Lucas. Courtesy Sadie Coles HQ. Photo: Robert Glowacki.

 

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