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Papier peint d’artistes
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Juillet 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

Retour sur le phénomène du papier peint comme médium artistique, à l’occasion de l’exposition « Célébration Picasso – La collection prend des couleurs » visible jusqu’au 27 août 2023 au musée national Picasso-Paris.

On le sait quand on a visité le musée du papier peint de Rixheim, en Alsace, ou les collections du musée des Arts décoratifs à Paris : du papier peint panoramique au papier peint mural graphique, en passant par les trompe-l’œil ou les effets de matière, ce médium peut être une véritable œuvre d’art à vendre. Mais on l’imagine moins exciter le marché de l’art contemporain ou se retrouver exposé en galeries d’art. Et pourtant ! « C’est Warhol le premier qui en fit une œuvre en l’imaginant couvert de têtes de vache rose fluo sur fond jaune », nous apprend Daphné Bétard dans son article pour Beaux Arts Magazine du mois de mai. « Provocateur, féministe ou subversif, il s’affiche aujourd’hui comme le réceptacle XXL des soubresauts du monde. » Quand il ne dynamite pas les muséographies, comme actuellement au musée national Picasso-Paris.

L’illustration pleine page de ce dossier « Tendance » du magazine d’art est à elle seule une œuvre d’art. Qui donne tout de suite envie de s’en emparer pour créer des collages dans des carnets de voyage ou de nouvelles œuvres d’art. La myriade de papillons de l’artiste britannique Damien Hirst, qui a dominé la scène de l’art britannique dans les années 1990 en faisant partie du groupe des Young British Artists, tout en étant très controversé et hyper médiatisé, comme les alignements de gros plans criards de pommes de terre et d’ampoules, d’horloges et de pizzas imaginés par John Baldessari, artiste conceptuel américain du courant post-moderniste, pour placarder nos intérieurs trop sages d’images triviales, parlent aussi bien de la beauté éphémère que de la surconsommation.

« Apparemment, il serait lisse, répétitif, passif, purement décoratif… Alors pourquoi le papier peint passionne-t-il à ce point les artistes ? », interroge la journaliste. « Parce qu’entre leurs mains, il est tout le contraire. Ils ont su déceler sa propension à stimuler l’imaginaire, provoquer la rétine, transcender les murs, les faire tomber pour les ouvrir sur d’autres horizons. Explosif, provocateur, délirant, hypnotique, subversif, le papier peint est devenu le réceptacle de leur vision du monde et de leurs rêves les plus fous. A travers lui, Sarah Lucas a fait flotter dans les profondeurs d’un fond noir des ballons-seins constitués de cigarettes, semblables à des planètes dérivant dans le cosmos – le trip avait lieu à la galerie d’art Sadie Cole HQ, à Londres, en 2000, pour son exposition The Fag Show. »

Même David Bowie s’est mis au papier peint en 1995 ! Pour sa première exposition en tant que peintre à la galerie d’art The Gallery de Londres, la star décédée en 2016 en laissant plus de souvenirs comme musicien que comme artiste peintre avait créé un papier peint baptisé Conflict, en collaboration avec deux autres stars britanniques, plus connues sur le marché de l’art, Lucian Freud et Damien Hirst. Un nu masculin peint par Lucian Freud était immergé dans l’un de ces fameux boitiers de formol où Damien Hirst a coutume de conserver des bestioles, le tout sur un décor floral et imprimé par la firme anglaise Laura Ashley. Non seulement ce papier peint servait la scénographie de l’installation de David Bowie, mais il faisait partie intégrante de son œuvre d’art.

« Les artistes ont pris le papier peint à rebrousse-poil et en ont fait un médium à part entière », explique Daphné Bétard. « Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’emballe, constate le Centre international d’art contemporain de Montréal (CIAC), qui a lancé il y a deux ans un recensement international des initiatives les plus audacieuses dans le domaine. » Le papier peint fut d’abord pop avec Andy Warhol, qui lui offrit son premier grand rôle. Avant que l’architecte autrichien précurseur du brutalisme, Adolf Loos, et le Bauhaus, ne vouent le papier peint aux gémonies, les grands courants d’arts appliqués comme Arts and Crafts ou l’Art nouveau l’avaient déjà fait basculer dans la modernité.

« Les cubistes l’avaient inclus par morceaux dans leurs tableaux-collages, les surréalistes Dali et Magritte s’y étaient essayés, tout comme Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle, mais c’est Warhol qui fit du papier peint une œuvre en soi », précise la journaliste de Beaux Arts Magazine. C’est pour son exposition à la galerie d’art Leo Castelli de New York en 1966 que le maître de la Factory recouvre les murs de têtes de vache roses fluo sur fond jaune, « envisageant l’espace d’exposition comme un lieu immersif, pluridisciplinaire, accessible au plus grand nombre. Le papier peint n’est plus un support, il interagit avec son environnement et l’espace-temps dans lequel il se situe. »

Le concept sera poussé à son paroxysme par Daniel Buren, usant systématiquement de bandes verticales blanches et colorées en alternance, chacune d’une largeur de 8,7 cm, pour couvrir l’architecture et l’espace urbain et souligner l’interdépendance de l’œuvre avec son contexte, aussi bien physiquement que symboliquement. L’artiste questionnait notamment les causes du rejet dans les années 1980 de « la dimension décorative de l’art ». Avant de revenir en force dans les années 2000, le papier peint a en effet longtemps été remisé au placard, considéré kitsch et ringard. Il aura fallu qu’éditeurs, designers et artistes en exploitent les infinies possibilités formelles, en s’appuyant notamment sur les avancées technologiques qui permettront de réaliser du papier écologique, numérique, phosphorescent, à QR codes et même à LED… pour que son effet visuel garanti séduise à nouveau.

« Mais au-delà du sensationnel et du spectaculaire, le papier peint est plébiscité comme équivalent intérieur du graffiti des rues », souligne la journaliste. « Il permet d’inscrire des mots, des signes, des images et des messages politiques que personne ne pourra plus ignorer. » Ainsi le collectif General Idea qui avait frappé très fort en reprenant en 1987 l’esthétique du célèbre logo LOVE de Robert Indiana pour parler du sida, répétant sur les murs le mot AIDS pour dénoncer la désinformation, la honte et la peur qui entouraient la maladie. « Dix ans plus tard, c’est pour aborder les questions de patriarcat, d’immigration, d’identité culturelle et de transmission que l’artiste Zineb Sedira se réapproprie les motifs géométriques islamiques en y intégrant des portraits de sa grand-mère, de sa mère, d’elle-même et de sa fille, ainsi qu’un texte autobiographique calligraphié en arabe, français et anglais, dans la langue courante des différentes générations. »

Et on n’a pas oublié le choc provoqué par l’œuvre d’art de l’artiste iranienne Parastou Forouhar présentée dans l’exposition consacrée au papier peint contemporain par le Mudac de Lausanne en 2010 : Thousand and One Days. Des ensembles à première vue très séduisants, reprenant l’esthétique de l’ornement traditionnel… mais représentant en y regardant de plus près des scènes de tortures infligées par le régime totalitaire. Oui, le papier peint fait œuvre.

 

Image : Pablo Picasso - Tête de taureau - Printemps 1942
selle et guidon (cuir et métal) - 33.5x43.5x19cm
Musée national Picasso-Paris, Dation P

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