Remonter
L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
Current locale language
Le musée Goya rénové fait toute la lumière sur l’art hispanique
le-musee-goya-renove-fait-toute-la-lumiere-sur-lart-hispanique - ARTACTIF
Juillet 2023 | Temps de lecture : 22 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de la réouverture du musée Goya de Castres le 15 avril 2023.

Après trois années de travaux, le musée Goya a rouvert ses portes à Castres le 15 avril, et fait l’événement, en proposant une traversée unique en France de l’art hispanique, du Moyen Âge à nos jours, avec un gros plan sur Goya, sa figure tutélaire. La journaliste Sophie Flouquet nous offre, dans le numéro de mai 2023 de Beaux Arts Magazine, la visite guidée de ce joyau muséal trop longtemps méconnu. Même s’il doit toujours partager le palais épiscopal avec la mairie, le musée Goya s’est hissé au niveau des plus beaux musées français, estime Sophie Flouquet. S’ouvrant désormais par le rez-de-chaussée, il s’ouvre sur de nouvelles salles d’expositions temporaires, dédiées actuellement et jusqu’au 4 juin à l’hommage à Gaudi de Miro, mais qui seront du 30 juin au 1er octobre le décor de l’exposition « Goya dans l’œil de Picasso ». A l’étage, au lieu des onze salles préexistantes, ce sont désormais vingt-trois salles qui déroulent plus de 600 œuvres d’art espagnoles. L’apothéose étant la nouvelle salle Goya.

« J’ai souhaité remettre Goya au cœur du parcours en l’isolant et en lui consacrant une salle entière avec, d’un côté, les peintures, et de l’autre, les estampes installées dans un cabinet d’art graphique plus intime », explique Joëlle Arches, directrice du musée et cheffe d’orchestre de cette rénovation. Elle succède à toutes les bonnes fées qui se sont penchées sur le berceau de ce musée depuis ses premiers balbutiements en 1840 jusqu’à aujourd’hui, en passant par sa dénomination actuelle datant de 1947 après la manne miraculeuse du legs de Marcel Briguiboul (1837-1892) qui en fit le seul musée d’art hispanique de France. Il y eu par exemple les bienveillants conservateurs des musées nationaux, comme René Huyghe, et les avisés directeurs comme Gaston Poulain, Jeannine Baticle, venue du Louvre, et Jean-Louis Augé, qui dirigea le musée pendant trente-huit ans. Mais qui donc est ce Marcel Briguiboul qui est finalement à l’origine de l’éclosion spectaculaire d’un petit musée de province ?

« Son nom ne vous dira sûrement rien », écrit Sophie Flouquet. « Marcel Briguiboul fut un bien étrange personnage. Peintre, sculpteur, excellent dessinateur également, il se forma un temps à Barcelone, où ses parents s’étaient installés dans les années 1840, puis à l’Académie royale des Beaux-Arts de San Fernando à Madrid jusqu’en 1857, avant de monter à Paris, à 21 ans, pour suivre l’enseignement de la prestigieuse Ecole des beaux-arts. » Marcel Briguiboul eu beau être talentueux, fréquenter le très académique Jean-Paul Laurens autant que les futurs impressionnistes Auguste Renoir ou Claude Monet, et même se faire remarquer au Salon où il exposa à partir de 1861, il ne fit rien pour développer sa notoriété. Il faut dire qu’il n’avait pas besoin de trouver acquéreurs pour ses œuvres d’art à vendre, issu d’une famille castraise de riches négociants et vivant dans l’aisance. L’Etat lui acheta toutefois l’une de ses œuvres d’art à vendre au Salon de 1863, et il fut un admirable (auto)portraitiste comme en témoigne l’Autoportrait aux cheveux courts sur les cimaises du musée qui lui doit tant.

Car si son œuvre compte malgré tout plus de deux cents tableaux, qui sont aussi déroutants que leur auteur tant ils mélangent les influences, entre symbolisme, orientalisme nourri de ses séjours au Maghreb et art espagnol, Marcel Briguiboul restera surtout dans la légende comme un collectionneur compulsif et particulièrement inspiré. Peintures, objets d’art, faïences hispano-mauresques, tapisseries… tout l’intéressait ! Et le coup de foudre fut immédiat quand il découvrit la peinture de Goya chez un marchand d’art à Madrid. On ne connaissait alors en France que les gravures de l’artiste espagnol Francisco de Goya (1746-1828). « Chose folle : on ne sait pas comment exactement, mais, le 7 mai 1881, Briguiboul eut l’occasion et l’intuition d’acheter trois œuvres du maître, dont une pour la somme de 8 750 francs or et moyennant un emprunt », nous raconte la journaliste de Beaux Arts Magazine.

Et quelles œuvres ! Dans l’attachant Autoportrait aux lunettes, datant environ de 1800, Goya reprend la pose qu’il avait adoptée pour se représenter dans la Famille de Charles IV, grand tableau où il avait l’honneur de figurer. On est loin de l’iconographie torturée plus tardive de ses peintures. Dans son Portrait du financier Francisco del Mazo, on s’amuse de voir les mains du modèle, qui sont si peu soignées qu’il se dit que l’artiste l’aurait fait exprès parce qu’il n’aurait pas reçu le prix suffisant. Et enfin devant la Junte des Philippines, la plus grande peinture d’histoire signée Goya en 1815, on mesure à quel point l’artiste se moque de Ferdinand VII, en entourant d’une assemblée de marionnettes le roi d’Espagne qui vient de récupérer le trône en monarque absolutiste, fourbe et incompétent alors que l’empire est en cours de démembrement. Car il faut toujours chercher le sens sous-jacent d’un tableau de Goya.

Briguiboul n’eut qu’un fils, Pierre, mort un an après lui pendant qu’il faisait son service militaire, et qui légua, comme le fit sa mère un peu plus tard, l’ensemble des collections familiales et le fonds d’atelier de son père à la ville de Castres. De legs en dépôts, le Louvre confiant à Castres une trentaine d’œuvres, dont le Portrait de Philippe IV de Vélazquez et la Vierge au chapelet de Murillo, de donations en acquisitions, tel le magnifique Jugement dernier de Francisco Pachebo en 1996, « le musée Goya s’est dessiné au fil du temps un destin : celui de devenir le seul musée d’art hispanique en France, concentrant notamment un remarquable ensemble de peintures du Siècle d’or (XVIIe siècle), le plus important après celui du Louvre », écrit Sophie Flouquet.

Un Siècle d’or finalement assez mal nommé puisque c’est celui pendant lequel l’Espagne doit faire face aux épidémies de peste, à la mauvaise gestion de la manne coloniale et au déclin de sa dynastie régnante. Il n’empêche que paradoxalement, c’est celui pendant lequel les arts sont à leur sommet. La littérature avec Cervantès ou Lope de Vega, la musique aussi mais surtout la peinture, avec Ribera, Velazquez et Zurbaran, puis Murillo et Valdés Leal. De la peinture de cette époque émane toutefois une atmosphère étrange, faite de Contre-réforme et d’Inquisition, empêchant les artistes de débrider leurs pinceaux. Comme l’écrit la journaliste de Beaux Arts Magazine, « Goya fut celui qui ouvrit l’art hispanique à la modernité avec son œuvre témoignant avec acuité de la part d’ombre de l’Europe des Lumières ». Il a désormais à Castres un musée digne de son importance.

Discutons !
Personne n'a encore eu l'audace de commenter cet article ! Serez-vous le premier ?
Participer à la discussion
Exemple : Galerie spécialisée en Pop Art