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Les femmes dans le Surréalisme
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Juillet 2023 | Temps de lecture : 23 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l'exposition "Surréalisme au féminin ?" présentée jusqu’au 10 septembre 2023 au Musée de Montmartre à Paris.

Une image forte s’est imposée comme l’emblème du surréalisme, contribuant sans aucun doute à la réputation de misogynie du groupe surréaliste. Il s’agit de ce fameux photomontage publié dans la revue La Révolution surréaliste en 1929 et montrant en son centre une petite huile sur toile de Magritte représentant une femme, entourée des portraits les yeux fermés d’Aragon, Bunuel, Dali, Ernst, Eluard et Breton parmi dix autres hommes. « Je ne vois pas la (…) cachée dans la forêt », a écrit Magritte de part et d’autre de la nymphe entièrement nue cernée d’hommes en costume cravate. « Le sens de cet étrange portrait collectif est limpide : ce qui hante l’inconscient de ces artistes c’est LA femme nue et offerte », estime Isabelle Manca-Kunert dans L’Œil du mois de mai 2023 qui consacre une enquête passionnante au surréalisme au féminin à l’occasion de l’exposition du même nom qui questionne le sujet au musée de Montmartre, à Paris, jusqu’au 10 septembre.

Mouvement provocateur et dynamique, le Surréalisme déclenche un renouvellement esthétique et éthique. Mais les hommes ne sont pas les seuls à avoir rendu vivant ce courant et ses transgressions : de nombreuses femmes en furent des actrices majeures. L’exposition les révèle et explore leur travail. « Sauf que, malgré leur vernis anticonformiste et révolutionnaire, les membres masculins du groupe demeuraient dans les faits des hommes de leur temps et peinaient à considérer leurs consœurs comme des alter ego », écrit Isabelle Manca-Kunert.

En révélant les travaux d’une cinquantaine d’artistes, plasticiennes, photographes et poètes du monde entier, cette exposition invite à réfléchir non seulement à l’ambivalente position des femmes dans le surréalisme, mais aussi à la capacité d’un des courants majeurs du XXe siècle à y intégrer du féminin.

Ainsi, l’exposition a pour ambition de présenter des artistes majeures telles que Claude Cahun, Toyen, Dora Maar, Lee Miller, Meret Oppenheim et Leonora Carrington mais également de mettre en lumière d’autres personnalités moins connues comme Marion Adnams, Ithell Colquhoun, Grace Pailthorpe, Jane Graverol, Suzanne Van Damme, Rita Kernn-Larsenn, Franciska Clausen ou encore Josette Exandier et Yahne Le Toumelin.

Le surréalisme offrit à celles-ci un cadre d’expression et de créativité qui n’eut sans doute pas d’équivalent dans les autres mouvements d’avant-garde. Pourtant, c’est souvent en s’appropriant et en étendant des thèmes initiés par les « leaders » du mouvement qu’elles exprimèrent leur liberté.

C’est aussi en se dégageant de ce qui devint parfois une doxa surréaliste qu’elles s’affirmèrent. « Tout contre » le surréalisme, c’est ainsi que l’on pourrait définir leurs positions diversifiées et complexes à l’égard du mouvement.

« Au fil des années, et à la faveur d’analyses très influencées par les gender studies, la réputation du groupe pourtant longtemps portée aux nues pour sa modernité et radicalité s’est considérablement dégradée », explique Isabelle Manca-Kunert dans son article. « Au point que le groupe d’artistes ayant le plus maltraité les femmes, si on se fie par exemple aux études de Susan Suleiman, a été mis à l’index comme un parangon de misogynie. Ce constat à l’emporte-pièce d’un mouvement machiste qui écarte et/ou phagocyte les femmes appelle évidemment un peu de nuance. Ne serait-ce que parce que les expositions consacrées à ces femmes, prétendument absentes du mouvement, se multiplient à vitesse grand V depuis vingt ans. Rien que pour la saison 2022-2023, le public a ainsi pu découvrir Toyen au Mam, Meret Oppenheim au MoMa, Leonora Carrington à la Fondation Mapfre, et, aujourd’hui, l’exposition collective du musée Montmartre. Or, davantage que des découvertes, il s’agit de redécouvertes puisqu’elles ont exposé au sein du mouvement mais ont depuis été oubliées par l’histoire de l’art. »

Cette relégation au second plan se constate bien entendu pour tous les mouvements artistiques du XXe siècle, pas seulement pour le Surréalisme. Une mise à jour se fait donc assidument au sein des institutions aussi bien que sur le marché de l’art, les galeries d’art s’adaptant elles aussi à ce grand vent de justice qui souffle désormais. Sont partout remises en avant les œuvres d’art à vendre réalisées par des femmes. Il était temps ! Mais en ce qui concerne le surréalisme, l’oubli pourrait s’expliquer aussi par le moindre intérêt du marché de l’art pour les œuvres d’art à vendre des surréalistes de la deuxième génération. Une génération dans laquelle justement les artistes femmes pointent leur nez, alors qu’au début du mouvement les femmes sont surtout les muses de ces messieurs, à l’image de Gala ou Simone Breton. Les créatrices ont surtout intégré le mouvement dans les années 1930, réalisant leurs œuvres de maturité dans les décennies suivantes… c’est-à-dire après-guerre, quand l’abstraction commence à prendre toute la place.

« Il y a aujourd’hui quantité d’artistes absolument effacées, oubliées, bien qu’elles aient été connues dans l’après-guerre », remarque Dominique Païni, commissaire de l’exposition du musée Montmartre. « Il s’agit d’artistes majeures, car nombre d’entre elles osèrent faire la théorie du surréalisme, ce qui ne fut pas le cas de leurs confrères. Elles ont été bien accueillies par le mouvement, et par Breton en particulier qui les a beaucoup soutenues et a écrit sur elles. Il y a clairement eu un phénomène féminin dans le surréalisme, et c’est moins le mouvement qui l’a étouffé que, par la suite, les historiens de l’art et du marché. » En clair : les galeries d’art et les musées ont boudé les œuvres d’art à vendre de Breton et de Duchamp, ce qui a invisibilisé toutes les autres œuvres surréalistes presque inexistantes dans les collections publiques.

Alors, le surréalisme, un mouvement féministe ? C’est ce qu’ose avancer l’historien Fabrice Flahutez dans son essai, après avoir scrupuleusement calculé qu’entre 1930 et 1960, il s’agit du mouvement comptant le plus de femmes dans ses rangs et présentant le plus d’œuvres féminines dans ses expositions ! « Certes, les œuvres d’art réalisées par des femmes ne représentaient que 5 % à l’Exposition internationale de 1938 à Paris, mais elles sont passées rapidement à 15 % à celle de 1947, puis à près de 20 % à celle de 1959. Ainsi, même si le nombre de femmes artistes restait constant dans le temps (entre 10 et 15), le nombre de leurs œuvres a beaucoup augmenté en deux décennies », écrit le professeur en histoire de l’art à l’université de Saint-Etienne. Bref, aucun autre mouvement d’avant-garde n’a offert une telle visibilité aux femmes, mais bien sûr, tout est relatif puisque les hommes y étaient surreprésentés. A l’image de la société de la première moitié du XXe siècle. L’ambivalence étant également de mise, car si la reconnaissance des femmes est réelle chez les surréalistes, ils ne se gênent pas pour instrumentaliser l’identité féminine.

 

Illustration :

- Affiche de l'exposition Surréalisme au féminin ? au Musée de Montmartre (© DR)

- Jane Graverol (1905-1984), Le Sacre de Printemps, 1960, huile sur toile, RAW (Rediscovering Art by Women) (© ADAGP, Paris, 2022, photo © Stéphane Pons)

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