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Juillet 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « La Répétition » visible au Centre Pompidou-Metz jusqu’au 27 janvier 2025.

Le choix de ne retenir qu’un minuscule tableau de Claude Viallat pour « La Répétition », l’exposition du Centre Pompidou-Metz, est totalement assumé par son commissaire, le directeur de l’Institut national d’histoire de l’art, Eric de Chassey. Elle n’en laisse pas moins perplexe la critique d’art Catherine Francblin qui consacre sa chronique aux collections qui se prêtent au jeu dans le numéro d’Artpress, le magazine d’art contemporain du mois de mai. « Sans doute Eric de Chassey n’a-t-il pas été en mesure de construire l’exposition ambitieuse dont il pouvait rêver, n’ayant accès qu’aux collections de Beaubourg », écrit-elle. Trouvant « dommage toutefois que des œuvres emblématiques au regard du sujet (Matisse, Picasso, Mondrian…) aient été écartées au profit d’œuvres parfois mineures, d’artistes peu montrés il est vrai. »

 

Visible jusqu’au 27 janvier 2025, cette exposition qui rassemble plus de 120 œuvres d’art provenant donc pratiquement toutes des collections du Musée national d’art moderne est née d’une idée forte. « L’idée que la création ne procède pas nécessairement de l’invention mais qu’elle naît pour de nombreux artistes de formes et de gestes répétitifs, tels que multiplier, recommencer, accumuler, redoubler, etc. » explique Catherine Francblin. Ainsi La Répétition, le tableau que Marie Laurencin a peint en 1936, donne-t-il son nom à l’exposition et y accueille les visiteurs. Il « introduit d’emblée à plusieurs acceptions du terme, car, outre qu’il montre des jeunes filles au visage identique lors de la préparation d’un récital, il fait directement allusion aux Demoiselles d’Avignon (1907) », observe la critique d’art.

 

A première vue effectivement, rien ne se distingue dans le tableau de Marie Laurencin d’une scène de genre convenue. Un groupe de jeunes femmes est assemblé ; l’une tient un livret pour le chant, une autre une guitare pour la musique, une autre encore esquisse un pas de danse, tandis que les deux autres les regardent. Sans en avoir l‘air, ce tableau n‘est rien de moins qu‘une reformulation des Demoiselles d‘Avignon de Pablo Picasso, l’une des œuvres inaugurales du modernisme : même rideau qu’ouvre un des modèles, même nombre de figures féminines dans une composition pyramidale, mêmes rythmes chromatiques – un chien remplaçant au premier plan une nature morte. Sauf que, loin de multiplier les hétérogénéités, tout le tableau est marqué par un principe de redoublement. La répétition n‘est pas seulement le sujet du tableau (une répétition comme il en faut pour qu’un spectacle soit réussi), elle est aussi sa méthode, incarnée par le fait que tous les visages sont identiques – un redoublement dans le redoublement.

« Mais répéter, c’est aussi essayer, quitte à ne pas réussir, comme cette main filmée par Richard Serra qui tente d’attraper du plomb (1968) », rappelle la journaliste d’Artpress en déambulant dans le parcours de l’exposition. « C’est d’après, les mots de Beckett, « essayer encore. Rater encore. Rater mieux. Il y a de l’acharnement dans la répétition ; il y a parfois la volonté d’aller aux limites de ce que le corps peut supporter (performances de Bruce Nauman, de Marina Abramovic et Ulay) et souvent une attention portée aux « petites différences » (Gilles Deleuze), ainsi qu’en témoignent Marlène Dumas dans sa série de portraits intitulées Sang mêlé (1996) ou Roman Opalka dans ses suites de nombres. »

 

L’histoire de l’art occidental aux XXe et XXIe siècles est marquée par la figure de l’invention, synonyme affiché de la liberté de création, qui lui permet d‘affirmer son autonomie par rapport aux pratiques utilitaires, décoratives ou ornementales, où, depuis les premiers temps de l’humanité, les motifs et les figures se répètent, comme le montrent aussi bien l‘imagerie religieuse que le papier peint ou l’imprimé sur tissu. Nombre d’artistes, et non des moindres, comme Andy Warhol pour ne citer que lui, ont pourtant adopté la répétition comme méthode et comme objet, y trouvant, pour quelques œuvres ou de manière plus systématique, un mode de travail ou un sujet. La répétition ne se révèle-t-elle pas incontournable depuis toujours pour pouvoir produire en plus grand nombre les œuvres d’art à vendre qui plaisent au public ? Après la copie pure et simple d’antan sont arrivés les moyens techniques de la reproductibilité, mais pour s’exercer les élèves ont de tout temps copié les grands maîtres, répétant en cela des gestes et des motifs ancestraux.

 

Les collections de nos musées sont généralement fondées sur la recherche des chefs-d’oeuvre, ces moments exceptionnels, apparemment d‘un seul tenant, où tous les moyens des artistes convergeraient, un principe qu’interrogeait l’exposition inaugurale du Centre Pompidou-Metz, en forme de galerie d’art géante de l’histoire de l’art, intitulée « Chefs-d’œuvre ? », en 2010-2011. Montrer comment la création peut aussi procéder par répétition, que celle-ci soit un moyen, un processus ou bien le sujet même des artistes, c’est aller contre cette notion simpliste. Cette nouvelle exposition s’y emploie, à travers un choix, effectivement subjectif, dans les collections du Musée national d’art moderne – Centre Pompidou, enrichi malgré tout d‘une sélection d’œuvres d’art complémentaires majeures, coupant à travers les classifications stylistiques, iconographiques, sociologiques et chronologiques qui en organisent habituellement la présentation.

 

Cette investigation prend tout son sens au moment où l‘on comprend, à travers la découverte des artefacts préhistoriques du néronien dans la grotte Mandrin (dans la Drôme), exécutés il y a 56 000 ans, que l‘Homo Sapiens s‘est distingué des autres espèces humaines par l‘application de méthodes systématiques, correspondant à un processus de répétition destiné à améliorer l‘efficacité de ses outils, là où les néandertaliens (qui les ont précédés et suivis dans la grotte Mandrin) manifestaient une liberté et une diversité d‘approches apparemment plus grandes. Être artiste, c‘est aussi répéter.

 

« La répétition est surtout une opération fondamentale dans l’art abstrait », précise Catherine Francblin dans Artpress, citant les modules multipliés d’Aurélie Nemours, carrés emboîtés ou décalés de Josef Albers et Vera Molnar, figures redoublées de Bernard Piffaretti, grilles d’Agnes Martin, etc. « Geste de peintre, la répétition en vient ainsi à rejoindre celui de l’ouvrier (Marie Cool et Fabio Balducci) et à mettre en cause un certain esthétisme, au profit d’un vocabulaire simple et d’une apparente neutralité (Niele Toroni, Claude Viallat…) », observe la journaliste en poursuivant sa visite de l’exposition messine. « Emaillé de temps forts (une salle entière de peintures de Simon Hantaï, une magnifique installation de Marthe Wéry, le grand Shining Forth (to George) (1961) de Barnett Newman), l’accrochage rend bien compte de l’étendue du thème. »

 

Illustration : Marie Laurencin, La Répétition, 1936
Paris, Centre Pompidou, Musée national d‘art moderne

© Fondation Foujita / Adagp, Paris - Photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI

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