
Capté pour vous dans BEAUX ARTS

Dossier spécial Printemps du Dessin
Le monde qui se dessine
À l'occasion de Drawing Now - Salon de Dessin Contemporain du 27 au 30 mars au Carreau de Temple à Paris
À l'heure où de nombreux artistes doivent travailler avec des budgets de production chiches voire sans le moindre atelier où créer, le dessin, de par la modicité des moyens qu'il demande, reste un domaine de liberté d'expression accessible même pour les étudiants en art les plus désargentés. Katrin Ströbel, dessinatrice féministe engagée, qui enseigna pendant dix ans le dessin à la Villa Arson, le voit comme « un lieu où les questions de société, de genre et d'identité trouvent des réponses artistiques parfois inattendues. » Le rapport au réel de cette forme d'art éminemment démocratique est plus aigu que jamais. À l'image des dessinateurs de presse, Olivier Garraud et Jean-Xavier Renaud raillent le monde capitaliste et attaquent la société de façon frontale. Sans parler de Charlie. Sous des formes plus biaisées, les artistes professionnels du crayon sont également nombreux à donner un sens politique à leur pratique. « Time to go back in the street » a écrit en lettres d'or l'italienne Marinella Senatore pour qui ce moment de revenir dans la rue prend la forme des manifestations géantes qu'elle s'emploie à organiser après les avoir imaginées et couchées à la mine sur le papier. Sans aller jusque là, l'artiste suisse Marc Bauer n'en secoue pas moins le réel en représentant comme imminents voire présents des évènements sinistres redoutés. Considérant que « la question de la représentation est intrinsèquement liée à celle du contrôle des individus », Achraf Touloub aime, quant à lui, produire des dessins « changeant de corps dans une métamorphose continue » car il voit dans cette impossibilité d'identifier de façon univoque le motif représenté un gage de liberté. Pour tous ces artistes, le dessin est aujourd'hui l'art de faire ouvrir les yeux. L'artiste iranien Alireza Shojaian brave ainsi les interdits de son pays en dessinant des corps nus masculins au crayon et crayons de couleur, instruments légers des voltigeurs de la liberté. Son ambition est d'œuvrer à décriminaliser l'homosexualité. Dans le même esprit, les dessins au pastel aux traits vifs et à la perspective aplatie de l'artiste palestinienne Aysha E Arar sont encore plus osés car plus explicites. La politique étant affaire de mots, comme le souligne Barbara Soyer dans Beaux Arts, on les retrouve en nombre dans le dessin contemporain. La palme revient à Anne-Lize Coste dont la série YANA- You Are Not Alone répète ces quatre mots sur une infinité de feuilles comme pour leur donner une présence qui nie par cet acte même notre solitude. Les mots se font aussi motifs chez Myriam Mihindou pour fusionner politique et poétique en combinant dessins, collages et mots brodés au fil de cuivre. Car le propre du dessin, son propos, est de parler. C'est pourquoi il est volontiers narratif ainsi que le souligne l'artiste militante franco-américaine Suzanne Husky qui dessine pour expliquer et démontrer l'urgence écologique. Pour elle, l'art est aujourd'hui engagé en alliance avec le vivant. Demain, il « émergera autrement ».
Illustrations : Katrin Ströbel : au Cube (2014) - Marinella Senatore : Move (2017) - Marc Bauer : Melancholia (2013) - Alireza Shojaian : Sous le ciel de Shiraz (2022) - Suzanne Husky : la Leçon des barrages (2022)
Frédéric Pajak et la couleur des nuages
À l'occasion du Festival du dessin d'Arles du 12 avril au 12 mai
Quand il parle du dessin, Frédric Pajak le voit d'abord comme un langage, un geste créateur présent dès l'enfance et à l'aube de l'humanité avec l'art pariétal préhistorique. C'est un langage libre ouvert aux autodidactes, doté ou non de perspective. Frédéric Pajak sait de quoi il parle. À la fois écrivain et illustrateur, auteur de récits biographiques et autobiographiques, il a également fondé la maison d'édition Les Cahiers dessinés et lancé la festival du dessin d'Arles qui s'est imposé en à peine deux ans comme un grand rendez-vous culturel du printemps. Soucieux du regard du public, il mène souvent personnellement des visites guidées qui le convainquent à chaque fois davantage de la primauté de l'approche émotionnelle du dessin. Il souligne qu'au départ, le dessin se cachait comme s'il était un peu honteux. Il n'était qu'un travail technique préparatoire du passage à la peinture. Pour lui, c'est l'art moderne qui lui a permis d'évoluer et de devenir un mode d'expression artistique en soi. Pareil pour l'édition de dessin. Il y a une vingtaine d'années il était encore peu évident pour lui de présenter dans sa ville un livre illustré en librairie. Mais aujourd'hui, il y a le Salon du dessin et Drawing Now à Paris ou Paréidolie à Marseille et les présentations de la revue the Drawer. Mais Pajak trouve les Français bien sages à côté des Allemands notamment. Au moment d'évoquer sa double casquette d'auteur et d'illustrateur, Frédéric Pajak ne peut s'empêcher de rappeler que dans des cultures autres que la nôtre la calligraphie trace une passerelle entre écriture et dessin. Mais lorsque Pajak parle du dessin, c'est déjà de la pure poésie. Il évoque le défi que constitue la représentation du ciel ou de la mer pour poser : « Qu'est-ce qu'un nuage sinon de la couleur, du blanc, du bleu, du gris ? » L'humour trouve également sa place dans son monde. Il dit la difficulté d'éditer les dessins de presse éphémères par nature et demandant de ce fait à être recontextualisés à l'inverse des dessins d'esprit d'un Sempé ou d'auteurs comme Voutch. Parmi ses dessinateurs fétiches, outre l'affichiste Savignac, se trouve Folon dont il apprécie le génie de la couleur et l'approche poétique qui lui permettait de traiter les sujets les plus tristes ou sinistres avec la gaité du merveilleux. On réduirait à tort son œuvre aux bonshommes volants de l'historique générique du JT d'Antenne 2 de 1975. Woody Allen ne s'y était pas trompé qui a confié à Folon la réalisation de l plusieurs de ses affiches de films. Forte de son patrimoine antique, Arles est depuis toujours une ville d'images. Haut-lieu de la photographie, elle s'inscrit dans des paysages faits pour être aimés à la folie par Van Gogh. Avec le Festival du dessin lancé par Frédéric Pajak, le crayon a pour la troisième année droit de cité au printemps au même rang que l'objectif et les pinceaux. Les nus plus grands que nature y côtoient des paysages millimétrés ; des dessins d'enfants et des esquisses de cuisiniers. Comme le dit Frédéric Pajak : « Les possibilités du dessin sont infinies ».
Illustration : Autoportrait « Un certain Frédéric Pajak » (2017)