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La Biennale de Venise fait de la place à Julien Creuzet
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Avril 2024 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de Julien Creuzet qui représentera la France à la Biennale de Venise du 20 avril au 24 novembre 2024, et de son exposition « Oh téléphone, oracle noir (...) », visible actuellement à Grenoble, au Magasin-Cnac jusqu’au 26 mai.

Tant de choses ont échoué sur son rivage… Rien d’étonnant à ce que Julien Creuzet s’en soit emparé pour créer des formes hybrides au sillage loquace. Celui qui avait même un temps envisagé son avenir artistique sur la scène musicale du rap a beaucoup de choses à dire. Il est traversé par le monde. Et parfaitement lucide quant à sa nomination pour représenter la 60e édition de la Biennale de Venise cette année. « Je ne suis pas naïf. Ma nomination, validée par deux ministères, celui de la Culture et celui des Affaires étrangères, correspond à un agenda politique », confie-t-il à Anne-Cécile Sanchez, la journaliste du magazine L’Oeil et du Journal des Arts qui est allée le rencontrer à Montreuil, en région parisienne, là où il vit.

Espiègle sans jamais en avoir l’air, calme provocateur de pensée, droit dans ses bottes surtout, le plasticien, vidéaste, performeur et poète, né en 1986 au Blanc-Mesnil (93) mais ayant grandi en Martinique dont il est originaire, a d’ailleurs exigé que la conférence de presse présentant le pavillon de la France à la Biennale de Venise se fasse aux Antilles début février. Plus précisément à la Maison Edouard Glissant, au Diamant, ce bourg martiniquais où l’écrivain et philosophe français, militant pour la libération des colonies et chantre d’une pensée rhizomique, avait acheté sa dernière demeure désormais labellisée « Maison des illustres ». Puisque c’est la première fois qu’un artiste franco-caribéen, ou ultramarin, c’est-à-dire Français d’un département d’Outre-Mer, est choisi pour incarner l’art et les valeurs nationales de « l’Hexagone » à la plus ancienne exposition internationale d’art contemporain du monde, autant que les organisateurs s’en expliquent hors métropole, n’est-ce pas ?

La qualité artistique des œuvres d’art de Julien Creuzet a évidemment été revendiquée très officiellement comme la première raison de ce choix. Laquelle n’est pas à remettre en cause, et lui a d’ailleurs déjà valu de belles reconnaissances depuis sa première exposition dans une institution en 2015 à La Galerie, centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec. Son parcours est sans faute, de son exposition à la Fondation Pernod Ricard en 2018 avec Bétonsalon-Cnac jusqu’à sa nomination au Prix Marcel Duchamp en 2021, en passant par sa participation à la Biennale de Lyon en 2017. Et depuis qu’en 2019 il a intégré la galerie d’art High Art, les œuvres d’art à vendre de Julien Creuzet se retrouvent dans le monde entier. Mais l’artiste qui questionne depuis toujours l’art occidental et l’histoire coloniale ne se gênera pas lors de la conférence de presse en Martinique pour affirmer derrière son micro : « Ils n’ont pas eu le choix ». Et je ne crois pas que c’était de la fausse modestie. Ni de la modestie tout court.

C’est un fait : « Julien Creuzet a su incarner, parmi les premiers et avec une justesse formelle n’appartenant qu’à lui, les questions liées à l’histoire postcoloniale », relève Anne-Cécile Sanchez.

Lorsqu’il y a trois ans, en parlant de ses œuvres d’art à vendre à la FIAC et la Frieze de Londres, on citait Julien Creuzet comme l’une des nouvelles figures de la scène plasticienne, c’était déjà son travail chargé d’histoire coloniale, proposant une vision riche et composite du monde, qui confrontait l’art et la pensée occidentale à leur ethnocentrisme. Révélation alors encore émergente mais qui serait bientôt incontournable de la relève artistique, il n’avait échappé à personne que Julien Creuzet pratiquait un art hétérogène et réflexion. Dont les pièces sont presque toujours immersives. Parfois littéralement même, puisqu’il pratique aussi la réalité virtuelle. Elles invitent le public à les habiter pour disséquer et éprouver en elles l’héritage colonial, en convoquant l’histoire des hommes et celle des arts à travers leurs rebuts – ici une pièce d’avion, là un tableau orientaliste, plus loin un bout de basket, des filets de chantier ou du riz répandu au sol – auxquelles se mêlent quelques inspirations de démiurge – des poèmes, des chansons, aux textes toujours frappants. Comme sa parole à la fois choisie, précise, est très libre et proliférante. Car écouter Julien Creuzet, c’est suivre un chemin de pensées et d’inspirations dont on ne connaît jamais la destination. Comme dit la formule, « l’important, c’est le voyage ». 

« L’exposition « Magiciens de la Terre », conçue par Jean-Hubert Martin au Centre Pompidou et à la Grande Halle de la Villette en 1989, est souvent citée comme une référence du décloisonnement des arts », rappelle Julien Creuzet à la journaliste de L’Oeil. « Mais elle a inscrit toute une production dans un registre magico-religieux. Tant que l’histoire de l’art continue à créer des hiérarchies dans la représentation des formes, à distinguer les avant-gardes comme le surréalisme et le cubisme, des arts « premiers » qui les ont inspirées, elle nie l’apport de l’autre. » J’adore. Et tout ça expliqué sans colère, sans dogmatisme. Pour lui, sa mission en tant qu’artiste, c’est de rassembler les arts. Et il l’a acceptée. Je jubile déjà des formidables débats que va permettre de provoquer le pavillon de la France à Venise. Des formidables avancées pour l’histoire de l’art que la présence de cet homme brillant et plein de ressources au cœur du marché de l’art contemporain peut générer… si bien entendu on ne s’arrête pas à un effet de manche.

Mais je suis du genre optimiste, donc j’ai décidé de faire confiance, pour mener la barque à bon port, à cet artiste repéré en 2015 par Emilie Renard, aujourd’hui directrice du centre d’art et de recherche Bétonsalon à Paris. « En 2012, il y avait eu la triennale « Intense proximité » au Palais de Tokyo, avec pour directeur artistique Okwui Enwezor, dont j’étais une des curatrices associées, se souvient Emilie Renard. Le milieu de l’art français était alors très réticent à aborder ces sujets. Okwui Enwezor traitait les questions postcoloniales selon des perspectives historiques, depuis différents foyers de la création internationale. Avec le recul, on peut dire que le travail de Julien Creuzet était aussi une réponse à ce contexte-là. Il s’intéressait autant aux formes qu’à la charge culturelle et historique de ses sources, de ses matériaux ».

En attendant Venise, on fonce voir l’exposition solo de l'artiste au Magasin - Centre national d'art contemporain à Grenoble, « Oh téléphone, oracle noir (...) ». D'ailleurs, Julien Creuzet a choisi Céline Kopp, directrice du Magasin, avec Cindy Sissoko, productrice culturelle basée au Royaume-Uni, pour l'assister dans le projet qu'il présentera à la Biennale.

Le titre de l'exposition présentée à Grenoble sur 2 000 m2, est celui d'une de ses créations vidéo de 2015, dans laquelle l'artiste apparaît seul, de nuit, octroyant à son téléphone le pouvoir d’une pierre d'obsidienne. Les spectateurs découvriront des installations vidéo qui n'ont encore jamais été montrées ensemble, proposant un regard rétrospectif sur l'étendue de son œuvre. L'exposition s'articule également autour des créations de cinq autres artistes contemporains : Phoebe Collings-James, Christina Kimeze, Manuel Mathieu, Bruno Peinado, et Chloé Quenum. Parce que l’inclination naturelle de Julien Creuzet est le partage. Faire de la place à l’autre, pour lui, c’est normal. Pour nous tous aussi. J’espère.

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Ilustration : Julien Creuzet devient le premier artiste franco-caraïbéen à représenter la France à la Biennale de Venise. © Virginie Ribaut

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