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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Tout faire pour que ça colle
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Avril 2024 | Temps de lecture : 27 Min | 0 Commentaire(s)

A l’occasion de la parution des ouvrages « L’Art du collage au féminin », aux éditions Gallimard, et « Vitamin C+ - Collage in Contemporary Art » aux éditions Phaïdon.

Moi-même qui n’ai aucune œuvre d’art à vendre, qui ne fréquente les galeries d’art que pour le plaisir des yeux et celui de pouvoir toujours mieux vous parler des artistes et du marché de l’art, j’adore réaliser des collages… Je n’ai jamais pu résister à l’envie de découper les images expressives qui m’appellent au fil des pages d’un magazine, qu’il soit consacré à l’art contemporain, aux loisirs créatifs, ou à la vie en van, qu’il soit une simple brochure de l’office de tourisme du coin ou un catalogue de vente de vêtements hypra colorés d’une marque suédoise que j’affectionne tout particulièrement, et dont je me régale à recevoir les catalogues papier dans ma boîte aux lettres. Je collectionne les jolies boîtes remplies de silhouettes, de fleurs et de motifs de toute sorte, que je garde toujours sous la main au cas où une furieuse envie de collage me submergerait. Je découpe plus que je ne colle, à bien y réfléchir. Me régalant très sporadiquement, comme un moment aussi rare que précieux, à composer des atmosphères oniriques avec mes petits découpages, et à les compléter ensuite de formes dessinées jaillissant alors de mon imaginaire comme par magie. Ca fait un bien fou ! D’ailleurs, je me contente même parfois de simplement les déchirer, pour donner un effet supplémentaire à mes carnets de voyage. Dans lesquels je vais jusqu’à coller des sachets de thé infusés, comme s’ils allaient raconter tout ce qui s’est dit autour des tasses fumantes.

J’osais moins me lâcher autrefois dans les motifs découpés, car la jeune mère de famille que j’étais alors choisissait uniquement ce qui pouvait servir à agrémenter les albums qu’elle confectionnait joyeusement avec les innombrables photographies argentiques ramenées de ses vacances familiales, pour enjoliver les souvenirs de ses enfants. Rien de tel que coller un chapeau rigolo sur la tête d’un accompagnateur de randonnée qui nous a tous fait suer, pour transformer l’épopée épuisante en réminiscence hilarante. Mais trêve de plaisanterie. Je ne suis pas là pour vous parler de scrapbooking, même si je serai ravie si j’ai pu vous donner des idées, mais bien d’art moderne et contemporain. Car si l’on en croit Judicaël Lavrador, autrice d’un article passionnant consacré à l’art du collage dans le Beaux Arts Magazine de février, les premiers à le pratiquer furent Georges Braque et Pablo Picasso, au début du XXe siècle, Juan Gris n’étant toutefois pas en reste.

Comme le précise la journaliste en préambule, nous sommes face à « un art à la définition floue, dont les images et les éléments, une fois juxtaposés, révèlent une autre histoire, délivrent un autre discours. » Elle nous offre donc un « regard sur la création d’aujourd’hui ». En commençant par la liste non exhaustive de tous les matériaux, objets ou images qui se sont retrouvés fichés sur un tableau. Et que je vous rapporte ici, toujours dans l’éventualité de vous donner des idées. « De la ficelle, du carton, des pages de journal, du fil de fer, du grillage à poule, des tickets de bus, du bois, des clichés de stars découpés dans des magazines, des pans de tissu, des assiettes, des photocopies, des toiles peintes ou sérigraphies… Le matériel est à portée de main du colleur ou de la colleuse – le féminin étant de mise puisque vient d’être publié l’Art du collage au féminin et que l’ouvrage de référence, Vitamin C+, fait opportunément aux artistes femmes une large place dans ce panorama de la création contemporaine », écrit la journaliste. J’aimerais bien savoir au passage quelles sont les différences entre le collage au féminin et le collage au masculin, mais cet article n’est visiblement pas écrit pour ça puisque je n’y ai trouvé aucune réponse à cette question.

Nous y apprendrons toutefois avec intérêt que depuis l’époque pionnière de l’art du collage, « des dadaïstes jusqu’aux conceptuels, en passant par le pop art, le collage est demeuré une marotte des artistes ». La notion de « marotte » trimballant toutefois avec elle davantage l’idée d’une manie, d’une gentille passion obsessionnelle, que d’une création artistique, on imagine sans mal que sa définition n’a jamais fait consensus. Comme l’écrit Judicaël Lavrador, « est-ce une simple technique (ou plutôt un panel de techniques) ? Un art en soi, au même titre que la peinture ? Ou bien une stratégie qui vise à accoler, à rapprocher, à mettre sur un même plan des éléments disparates ? Dès lors, une sculpture comme Brandt/Haffner (1949) de Bertrand Lavier (un frigo posé sur un coffre-fort) relèverait de cette catégorie. Car après tout, non seulement le collage attrape tout, mais il s’invite partout. Sur un tableau certes, mais aussi sur une sculpture, voire à même les murs d’un lieu d’exposition et jusque dans une musique ou un film, trouvant dans les outils numériques une nouvelle vigueur. Souple et agile, le collage se faufile dans les autres pratiques, les bouscule un peu. Sans non plus renverser les tables, il y crée souvent un léger désordre, chamboulant par là même les représentations habituelles du réel, du monde et des êtres. »

C’est bien ce qui nous plaît dans le collage. Le pas de côté qu’il nous permet de faire. Que l’on soit artiste, amateur d’art… ou dilettante en mode carnet de voyage et albums photos. Le collage chamboule les représentations. Il décale. Il augmente. Alors pour tenter de cerner un peu « les contours, les ressources plastiques et conceptuelles de cet étrange animal » qui a envahi le champ du marché de l’art contemporain, la journaliste de Beaux Arts Magazine s’est rattachée à quelques genres artistiques plus solides : le portrait, le paysage, la nature morte et la représentation de l’histoire, « même s’il apparaît que les collages des créateurs contemporains les mélangent allègrement ». A commencer par John Stezaker, qui colle des cartes postales de paysages pittoresques sur des photographies de stars de cinéma des années 1940 et 1950. Ayant l’art de réunir et de séparer à la fois, le collage peut par exemple critiquer le règne de la consommation et des corps objectivés, à la façon de Linder, cette artiste britannique qui compose des photomontages à partir d’objets de désir humains et matériels. Le collage permet donc aussi de troubler l’uniformité des corps, la stabilité de l’identité : l’Américaine Deborah Roberts en profite pour créer des personnages pétris des vicissitudes de l’histoire des Africains-Américains et des figures héroïques ayant entamé le combat pour les droits civiques.

Quant aux œuvres d’art à vendre de Tschabalala Self, peuplées de femmes noires articulées comme des pantins de fête foraine, ou de Kader Attia, n’hésitant pas à faire se côtoyer masques africains grimaçants et poilus à la gueule cassée, elles puisent également dans le collage toute l’énergie de rendre visible ce qui ne l’est pas, de braquer les projecteurs sur ceux qui restent dans l’ombre. Mais le collage permet aussi de renverser la représentation du temps et de l’histoire, comme le prouve l’Italien Simon Moretti capable de greffer une publicité pour des montres de luxe et des grilles de sudoku sous la reproduction d’une sculpture égyptienne coiffée d’un mécanisme d’horloge du XIXe siècle. Les pages de l’article de Beaux Arts Magazine sont parallèlement illustrées d’œuvres d’art signées Aline Helmcke, Julien Pacaud, Caro Mantke, Thomas Hirschborn, Isabel Chiara, toutes composant des saynètes se jouant de toute crédibilité et n’hésitant pas à basculer allègrement dans le monstrueux ou le grotesque. Et puis, à l’heure du digital, ils sont nombreux les artistes prouvant que le « copier-coller » est devenu un prolongement naturel de nos modes d’agir. Donc de créer aussi. Il n’est que de voir l’œuvre de Camille Henrot, interrogeant ce que l’on peut réellement savoir quand tout le savoir est à portée de main… pour se demander si le collage n’est pas là pour aider les humains à se remettre un jour la tête à l’endroit…

 

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : L’art du collage au féminin - Rebeka Elizegi
Gallimard, Alternatives, 2023

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