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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Bernard Gaube se regarde en face
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Avril 2024 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Hunimalité » à voir jusqu’au 22 mars 2024 à L’ahah #Griset à Paris.

On dit de ce peintre qu’il est rare. Et même si ce qualificatif, à mon goût, n’est lui-même pas suffisamment rare pour être cher, il mérite qu’on s’y attarde dans le cas de Bernard Gaube. Oui, ce peintre né au Congo en 1952 est rare. Pas seulement parce que ses œuvres d’art à vendre paraissent plus souvent des œuvres en cours que des tableaux achevés, pas seulement parce qu’il apprend tous les jours, mais aussi parce qu’il est discret. Ils ne sont pas rares les artistes en exploration perpétuelle. Mais honnêtement, vous avez souvent entendu parler de Bernard Gaube ? Et pourtant ce Belge installé à Bruxelles travaille depuis plus de 40 ans. Il est l’auteur de quelque deux mille tableaux, complétés depuis 2012 de dessins sur iPad et de courtes vidéos conçues comme des haïkus visuels, à retrouver notamment sur Youtube. Je suis bien entendu aller en voir après avoir lu l’entretien dont je vais vous parler aussi, paru dans le numéro de février du magazine d’art contemporain Artpress. Troublant.

Depuis qu’il a participé pour la première fois à la Foire de Bâle en 1982, Bernard Gaube n’a plus cessé de faire des expositions et de vendre ses œuvres d’art en Belgique et à l’étranger, collectionnant également les récompenses les plus prestigieuses. Pourtant, effectivement, vous n’en aviez peut-être encore pas ou peu entendu parler. Les artistes qui ne se répandent pas aujourd’hui sur les réseaux au prétexte qu’ « il faut bien communiquer maintenant pour exister » sont rares. C’est un fait.

Une exposition lui est actuellement consacrée à L’ahah #Griset à Paris : « Hunimalité ». Autrement dit dans les locaux du siège social de l’association, laquelle a été créée en 2017 pour participer au soutien de la création contemporaine et au développement de la recherche en arts, sous forme de compagnonnage. Un mot qui prend ici tout son sens puisque L’ahah retrouve Bernard Gaube pour une seconde exposition personnelle, dont le commissariat a été confié à Camille Debrabant, connue pour avoir récemment travaillé sur les rapports qu’entretiennent pratiques picturales et pratiques numériques.

« Hunimalité » pose la question de l’hybridation : images et récits ; figures animales et humaines ; histoires et mémoires ; mythologies personnelles et desseins collectifs ; identités et altérités, de toutes natures et de toutes manières. Il y est fait l’éloge d’une peinture impure, une peinture qui, au contraire de révéler ou dévoiler une quelconque vérité, superpose les voiles, trouble le regard, contrarie l’évidence ; une peinture qui cultive l’équivoque, sur le fond autant que sur la forme, juxtaposant les figures, superposant les plans ; un art des stratifications et des ramifications, qui puise à de nombreuses origines.

L’acte de peindre devient ici un acte de résistance. C’est une célébration de la complexité qui travaille contre les simplifications de toutes sortes. Ce faisant, dans le contexte actuel, la peinture de Bernard Gaube prend une dimension politique particulière. Au travers de la sélection d’œuvres réalisées au cours des dix dernières années se forme un corps provisoire à déployer et à articuler dans l’espace, traversé de questionnements. Deux questions – parmi d’autres - : Les animaux sont-ils dotés de la parole ? Comment dévisager une peinture ?

C’est à Camille Debrabant qu’a été confié le soin d’interviewer Bernard Gaube pour Artpress. Je me souviens que cette commissaire d’exposition, notamment enseignante à l’Ecole nationale supérieure d’art et de design à Nancy, nous avait déjà régalés lorsqu’elle enseignait à Angers avec la monstration qu’elle avait curatée au MASC des Sables d’Olonne en 2021 : « Peinture : obsolescence déprogrammée ». Il m’avait été assuré alors qu’il s’agissait sans doute de l’une des premières expositions en France présentant le lien entre l’art et le numérique ! Il était temps… L’un des questions que Camille Debrabant pose pour Artpress à Bernard Gaube porte bien entendu sur l’intérêt que le peintre porte depuis une dizaine d’années aux outils et aux effets du numérique. Elle lui demande notamment de quelles manières il les importe en peinture.

« Les outils numériques m’apportent différentes possibilités : des fonctions telles que copier, coller, transformer, colorier me permettent de créer plusieurs hypothèses, de faire évoluer différents états de tableaux en cours. Mon intérêt pour l’association, le montage vidéo peut s’épanouir aisément grâce à ces outils. Des logiciels graphiques associés à mon iPad en font un carnet de croquis nomade », répond l’artiste, dont les œuvres d’art à vendre sont passées en ventes aux enchères publiques à de nombreuses reprises, et qui a été représenté à Bruxelles par la galerie d’art Nadine Feront et à Anvers par la galerie d’art Eva Steinen.deviation(s).

Il n’empêche que l’autoportrait reste l’outil essentiel dont Bernard Gaube se sert pour explorer la peinture à l’ère de l’hybridation et du numérique. Quand Camille Debrabant lui demande d’où lui vient cette obsession, l’artiste répond qu’il croit, rétrospectivement, « qu’une telle nécessité me vient d’un puissant désir apparu dans mon enfance : développer les possibilités de dessiner, peindre des têtes, des visages, une altérité ». Et l’autodidacte de se souvenir. « Au début des années 1990, je commence à m’interroger sur la manière de peindre un visage, une tête, la carnation voisine, animé par la volonté de peindre d’après nature. L’autoportrait peut y répondre. Confronté à une nouvelle question en peinture, j’examine les approches de différents peintres et simplifie les moyens picturaux que je mets en œuvre sans me préoccuper de la question de la ressemblance. Un tel exercice produit toute une série de tableaux (…) Je m’attache à placer au plus juste la forme dans l’espace du tableau et laisse visible la narration du comment faire, qui à mes yeux possède un pouvoir poétique. Je suis également soucieux de la relation qui pourra naître entre ce tableau, le spectateur et son propre corps (…) Même si insensiblement mes intérêts et mes enjeux se sont déplacés, me mettre en face du miroir est resté un rituel, est devenu un creuset. »

Quant à ce qui nourrit son imaginaire, Bernard Gaube cite aussi bien le musée de l’Afrique à Tervuren, qu’il a beaucoup fréquenté gamin en rentrant du Congo, fasciné qu’il était par l’animisme allégeant un peu le catholicisme pesant de la Belgique, que la culture littéraire anglo-saxonne, le personnage de Geronimo au cinéma ou les peintres James Ensor, René Magritte, Gustave Van de Woestijn

Pour cet artiste qui estime être « un enfant qui apprend à parler », il est essentiel de se couler dans des genres existants comme le paysage, le portrait, la nature ou la vanité afin de les revisiter et de s’approprier son propre moyen d’expression. Et personnellement, j’adore la réponse qu’il fait à son interlocutrice lorsqu’elle évoque le « temps d’apprivoisement » nécessaire face à ses compositions disparates : « J’ai l’intime conviction que l’art n’est pas le lieu du divertissement ou de la communication tel que nous le propose aujourd’hui la surconsommation culturelle. Je tente de peindre des préludes à penser, non du prêt-à-porter. » Merci Bernard.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

  • Photo : Bernard Gaube, Côte à côte : Hunimalité (détail), 2017. Copyright : Bernard Gaube
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