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Hélène Delprat, dévoreuse d’images
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Mars 2024 | Temps de lecture : 33 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Hélène Delprat – Monster Soup » qui se tient du 20 janvier au 9 mars 2024 à la Galerie Hauser & Wirth à Paris.

La grande classe ! A 66 ans, la plasticienne française native d’Amiens, Hélène Delprat, vient d’intégrer la galerie d’art suisse Hauser & Wirth, dont la succursale parisienne a ouvert ses portes en octobre 2023 au n°26 bis de la rue François Ier, à deux pas de la prestigieuse avenue Montaigne et des Champs Élysées. « Une petite galerie que personne ne connaît dans un quartier mal fréquenté », s’amusait à dire l’artiste Valérie Sonnier, dans le petit discours préparé pour son amie et complice à l’occasion de la cérémonie organisée à l’École des beaux-arts pour le départ de l’illustre professeure vers de nouvelles aventures. « Un cycle de près de dix ans se clôt pour celle qui a enseigné le dessin dans l’établissement, d’abord comme professeure puis, depuis 2019, comme cheffe d’atelier », rappelle la journaliste Anne-Cécile Sanchez dans son très beau portrait d’artiste consacrée en janvier à Hélène Delprat par le magazine d’art L’Oeil.

Évidemment, l’artiste vivant à Paris, où elle a elle-même étudié à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, résidant également comme pensionnaire à la prestigieuse Villa Médicis à Rome de 1982 à 1984, a déjà donné lieu à de nombreuses expositions individuelles. Tout d’abord à la galerie d’art Maeght et à la Galerie Linder, puis depuis 10 ans à la galerie d’art Christophe Gaillard, à Paris ; à La Maison Rouge à Paris ; au Musée des Beaux-Arts de Caen ; à la Kunsthalle Gießen, en Allemagne ; au Musée Marmottan Monet, à Paris (2022) ; au Museu Picasso, à Barcelone… En 2021, le travail de Delprat est présenté dans le cadre de l’exposition collective « Sans titre » organisée par la Collection Pinault à la Punta della Dogana de Venise. La même année, l’artiste est sollicitée pour réaliser la fontaine monumentale extérieure intitulée Marcello Dove Sei ???, à La Résidence – Le Tremblay, située sur la commune d’Orgères en France. En 2023, elle participe à l’exposition collective « À partir d’elle. Des artistes et leur mère », au Bal à Paris, à voir jusqu’au 25 février 2024. Et en 2024, Hélène Delprat participera à la Biennale de Lyon.

Si, comme moi, vous n’aviez malgré tout pas encore pris le temps de bien connaître l’œuvre d’Hélène Delprat, vous avez jusqu’au 9 mars pour visiter l’exposition « Hélène Delprat Monster Soup » à Paris chez Hauser & Wirth, qui vient d’ouvrir le 20 janvier 2024. Organisée avec Olivier Renaud-Clément, Delprat y présente d’ailleurs de nombreuses nouvelles œuvres d’art à vendre, ou à regarder, à travers une sélection de nouvelles peintures, accompagnées de sculptures, vidéos et installations sur les deux étages de la galerie parisienne. Une exposition monographique est également prévue au printemps 2025 à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence.

Depuis quatre décennies, la pratique polymorphe de Delprat interroge la condition humaine, la vie et la mort au fil d’un corpus d’œuvres réalisées à travers des médiums multiples. Après avoir rencontré le succès à son retour de la Villa Médicis entre les années 1985 et 1995 avec une peinture au style primitif particulier, l’artiste s’était tournée vers la vidéo, le théâtre, l’installation, les interviews et les créations radiophoniques. Tout en continuant à peindre... mais sans rien dire ni montrer. Car comme le rappelle la journaliste du magazine L’Oeil : « Au milieu des années 1990, après dix ans de collaboration, Hélène Delprat quitte en effet la galerie Maeght, en plein succès. « Je m’ennuyais », explique-t-elle aujourd’hui. » Évidemment, celle que l’on surnomme souvent « l’enfant terrible de la peinture » n’en a que plus attiré les convoitises. Et qu’importe si elle pensait sincèrement alors ne plus jamais pouvoir supporter le « cirque de l’art » : c’était il y a trente ans… et il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis !

On sait donc gré au galeriste avisé et très convaincant qu’est Christophe Gaillard d’avoir décidé de faire savoir au monde entier qu’Hélène Delprat est « la plus grande peintre française vivante ».

Dans les années 2000, sa pratique picturale, nourrie désormais d’une logique encyclopédique, compile des archives de sources hétéroclites. Les œuvres d’art de Delprat forment une constellation tentaculaire de références à la littérature, au cinéma, à la radio, à la philosophie, aux bases de données Internet, aux récits archivés et à l’histoire de l’art. Elle « navigue constamment entre L’Enterrement de la Sardine de Goya et les films d’horreur de la Hammer Films Production », nous apprend Anne-Cécile Sanchez. Toujours, une chose en amène une autre. « La figure du pendu, récurrente dans ses tableaux, l’a par exemple conduite à s’interroger sur sa présence dans l’histoire de l’art, du Moyen Âge à Cézanne. Les motifs mutent aussi dans son imagination. Celui d’une robe à carreaux vue dans un tableau d’André Derain lui a fourni le quadrillage orangé qui revient ici et là dans ses toiles. »

Le titre de l’exposition, « Monster Soup », reflète bien cette approche multidimensionnelle, faisant référence à une variété de sources populaires et culturelles. L’affiche de l’exposition conçue par l’artiste elle-même traduit d’ailleurs ce syncrétisme : l’image reprise d’une gravure anglaise de William Heath des années 1820, montrant une femme horrifiée par le contenu monstrueux d’une goutte d’eau de la Tamise agrandie à la loupe, coexiste avec des personnages issus des tableaux de Delprat. À la manière d’une iconologue, Delprat distille des sources d’inspiration éclectiques et constitue un atlas inquiétant – un monde habité à la fois d’éléments fortuits et délibérés, beaux et grotesques, où les notions de mémoire, d’identité, de trace et d’héritage se rencontrent et nous invitent à réfléchir sur la nature fabriquée du passé et le caractère éphémère du présent.

« Intellectuellement, je pars de tout ce que je vois », explique-t-elle, « […] Il n’y a pas vraiment de travail préparatoire, sauf toutes ces lectures, toutes ces curiosités, ces journaux que je feuillette et ces informations que j’écoute, toutes les photos que je fais ou que je découpe. La préparation c’est juste ce que je vis. »

Certaines œuvres de Delprat présentées dans l’exposition, en particulier ses peintures, peuvent être rattachées au concept de serio ludere, un terme qui remonte à la Renaissance et signifie « jouer sérieusement », dans lequel l’imagerie tragique et les allusions à la mort sont travaillées avec un certain sens du comique et de l’absurde. Et personnellement, c’est vraiment ce qui m’intéresse dans son travail d’ailleurs. « Hélène Delprat prétend ne pas être très douée pour traiter de « la gravité des situations qu’on vit ». Mais, comme elle le soulignait elle-même en préparant son exposition au Musée Marmottan Monet en avril 2022, « pense-t-on à la guerre 14-18 en regardant Les Nymphéas ? » », rappelle la journaliste du magazine L’Oeil, avant de préciser qu’effectivement, il s’agit pourtant bien là des « grandes décorations » que Claude Monet offrit à Clémenceau pour fêter la victoire…

Des surfaces texturées abstraites peuplées d’images partiellement cachées et de formes fantasmagoriques - goules, fleurs anthropomorphes, ou papillons de nuit - coexistent ainsi dans des toiles telles que Peinture – catastrophe (2023), composée de pigments, liant acrylique et paillettes sur toile, technique fréquemment utilisée par Delprat. Composant un espace où fiction et documentaire s’entremêlent, les peintures aux multiples strates de Delprat révèlent un territoire anachronique. Ses personnages et objets insaisissables échappent au contexte et résistent à toute narration unique et organisée. L’artiste utilise et satirise souvent les représentations et images de la guerre dans ses peintures, notamment dans Il n’y a plus rien à faire (2023) où des portraits de soldats nazis et des bottes militaires en lévitation, inspirés des dessins du caricaturiste et illustrateur français Jean Sennep, coexistent avec des visages déformés de cartoons de propagande.

Le motif du drapeau, récurrent dans l’œuvre de Delprat, apparaît également comme une allusion à la guerre et une métaphore de l’acte de peindre comme une bataille. On le retrouve flottant dans ses peintures, tenu par ses personnages étrangement inquiétants, ou encore dominant l’espace d’exposition sous ses 4 mètres de haut en acier et verre soufflé. Les tapis réalisés par l’artiste et installés au premier étage, habillés de motifs graphiques rappelant les protections ornementales apposées sur les vitrines des magasins parisiens pour les protéger des bombardements pendant la Première Guerre mondiale, invoquent à leur tour le spectre de la guerre.

Une imagerie similaire évoquant la tragédie et la mort est visible dans Judas (2023), une peinture sur papier marouflé sur toile, qui représente une silhouette suspendue au nœud coulant d’un pendu, les entrailles béantes, en compagnie d’une créature ailée menaçante, inspirée de l’œuvre de Giovanni Canavesio à la Chapelle Notre Dame des Fontaines.

Les personnages qui peuplent ses travaux récents, entités animales ou humaines, flottent sur des fonds brumeux et multicolores, parfois mouchetés d’or, traversés de coulures ou d’une efflorescence de motifs alambiqués ou géométriques. Ces figures évoluent au sein de compositions oniriques qui évoquent la façon dont les souvenirs apparaissent, s’estompent et ressurgissent, mus par leur propre logique illogique. On l’a vu, ses créations se nourrissent continuellement de sa curiosité infinie et de son appétit pour la collecte d’informations des mondes d’hier et d’aujourd’hui. Cette démarche transparaît également dans des œuvres filmiques telles que Strictly Personnal (2023) ou Hammer Song (2007), où l’artiste recrée des scènes et des images de films produits par Universal ou Hammer Productions. Bricolé dans son atelier, le film est un hommage amusé aux films de série Z, reprenant des tropes cinématographiques tels que les éclairs, les soucoupes volantes, les tempêtes, les cris, les monstres et les araignées géantes. Comme le dit l’artiste, « J’aime les choses rugueuses, grinçantes, un peu monstrueuses ou extravagantes. »

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Hélène Delprat, Peinture catastrophe, 2023
© Hélène Delprat, Hauser & Wirth

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