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Chana Orloff, la sculptrice déterminée
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Février 2024 | Temps de lecture : 25 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Chana Orloff. Sculpter l’époque », à voir jusqu’au 31 mars 2024 au musée Zadkine, à Paris.

Elle excelle dans un art réputé masculin, elle est la coqueluche de l’élite parisienne dans l’entre-deux guerres, elle est née en Ukraine, elle est libre, indépendante, elle se fiche pas mal des canons classiques, elle a élevé toute seule son fils de santé fragile, elle a tout appris toute seule aussi, et gagné son indépendance économique uniquement avec la vente de ses œuvres d’art… la sculptrice Chana Orloff (1888-1968) est forcément une héroïne d’aujourd’hui ! N’empêche que jusqu’à cette exposition au musée Zadkine, à Paris, on n’en entendait bizarrement guère parler… Comme tant d’autres femmes, elle aussi a été peu à peu oubliée en Europe. Mais dans son cas, il faut ajouter que la guerre, l’Occupation et le pillage de son atelier sont passés par là. Heureusement, les musées ont conservé ses sculptures : il n’aurait plus manqué que ça !

J’avoue qu’à titre personnel, je suis moins sensible aux sculptures parfaitement lisses d’aspect extérieur, qu’à celles qui ont l’air d’être écorchées vives. Il n’empêche que l’œuvre de Chana Orloff m’intéresse beaucoup. Et que j’ai bien l’intention d’aller un jour poser ma roulotte aux abords des Ateliers-musée Chana Orloff, près du parc Montsouris à Paris, pour assister à une visite-conférence menée par Ariane Tamir ou Éric Justman, les petits-enfants de l’artiste, comprenant une présentation de la vie et de l’œuvre de Chana Orloff, ainsi que la découverte des Ateliers-musée, construits par Auguste Perret pour Chana Orloff, qui abritent, là où elle a vécu et travaillé à partir de 1926, la plus grande collection de ses œuvres. Après avoir plongé dans l’article de Marie Zawisza pour le magazine d’art L’Oeil, j’ai quand même aussi très envie de vous raconter tout de suite l’itinéraire incroyable de cette couturière qui a fait vivre toute sa famille, et dont l’œuvre a été spoliée.

L’exposition parisienne du musée Zadkine, « Chana Orloff. Sculpter l’époque », à voir jusqu’au 31 mars 2024, rassemble principalement les œuvres d’avant-guerre de Chana Orloff, dévoilant une figure féminine forte et libre, qui marqua son époque et le mouvement de l’Ecole de Paris. Conçue en partenariat bien sûr avec les Ateliers-musée et avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, elle met en avant les grands thèmes chers à Chana Orloff : le portrait grâce auquel l’artiste s’est fait connaître mais aussi la représentation du corps féminin et de la maternité. L’exposition offre également un aperçu du bestiaire sculpté par Chana Orloff, nourri par la symbolique et la culture juive. Elle se termine, dans l’atelier du jardin, par une évocation de l’œuvre d’après-guerre et la réalisation de grandes commandes monumentales pour l’État d’Israël. A ne pas manquer non plus, parallèlement, l’exposition « L’Enfant Didi, itinéraire d’une œuvre spoliée de Chana Orloff, 1921-2023 », au très beau musée d’art et d’histoire du judaïsme, rue du Temple à Paris, jusqu’au 29 septembre 2024.

Car « parmi les 140 sculptures pillées le 4 mars 1943 dans l’atelier-logement de Chana Orloff, à Paris, l’une des plus belles représentations est celle d’Elie (Didi), le fils unique de l’artiste, né en 1918 », écrit la journaliste de L’Oeil. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il aura fallu attendre le 26 janvier 2023, soit 60 années, pour que l’œuvre fasse son retour à l’atelier. Réapparue dans une vente à New York en 2008, elle a été restituée aux petits-enfants de l’artiste au terme d’une négociation de 15 ans. Entre quelles mains est-elle passée entre 1943 et sa découverte ? On l’ignore.» C’est complètement dingue… A ce jour, seules quatre des 140 sculptures volées ont été retrouvées. « Chana Orloff croyait que ses œuvres avaient été détruites. Aujourd’hui, nous avons l’espoir qu’elles seront retrouvées un jour, comme celle-ci », témoignent Eric Justman et Ariane Tamir, les petits-enfants de l’artiste.

Comme le rappelle Marie Zawisza, l’ascension artistique de Chana Orloff à Paris au début du XXe siècle fut fulgurante. Beaucoup plus rapide d’ailleurs que celle de nombre de ses confrères masculins. L’artiste ne s’en étonnait pas outre mesure. « Les femmes réussissent mieux certaines œuvres d’art », disait-elle en 1961 quand on l’interrogeait à ce sujet à la fin de sa vie. « J’ai sculpté beaucoup de figures féminines : femme enceinte, veuve, mère et enfant, etc. Pourquoi sont-elles meilleures que celles de mes collègues masculins ? Parce qu’une femme sent tout cela dans son corps, dans sa chair et dans son sang ! » Comme l’écrit la journaliste, « aujourd’hui, le musée Zadkine nous entraine à la rencontre de cette artiste dont la vie de chair et de sang fut marquée par les drames du XXe siècle. »

Cette vie commence donc le 12 juillet 1888 à Tsaré-Constantinovska, petite ville d’Ukraine. Chana Orloff est la huitième d’une famille de neuf enfants. Sa mère et sa grand-mère sont sages-femmes, son père instituteur… jusqu’à ce que les juifs ne soient plus autorisés à exercer ce métier. Il devient alors commerçant. Chana a vu les mariages arrangés de ses sœurs, et décidé très tôt qu’elle ne suivrait pas leur exemple, mais celui de ses frères, qui faisaient des études. Elle a donc appris à lire et à écrire avec eux, et même à parler russe, alors qu’en famille en ne parlait que yiddish. Devant tant d’obstination, son père cédera, et finira par l’envoyer à l’école avec les garçons. Elle obtiendra également d’être placée à 12 ans chez une couturière pour apprendre un métier, avec lequel elle compte bien gagner un jour son indépendance. En 1905, alors que les pogroms balaient la Russie, la famille émigre en Palestine. Le père et les garçons cultivent la terre pour des salaires misérables, et c’est Chana qui fait bouillir la marmite avec ses travaux de couture.

A 22 ans, la jeune femme est bien décidée à aller découvrir la « capitale de la mode ». En 1910, Chana arrive donc à Paris et devient apprentie dans la maison de haute couture Jeanne Paquin, l’équivalent en ce début de siècle d’une Coco Chanel ou d’un Christian Dior. L’année suivante, elle est reçue deuxième au concours d’entrée de l’École des arts décoratifs, dessine beaucoup, fréquente l’Académie Marie-Vassilieff… et commence à sculpter. Elle rencontre aussi de nombreux artistes d’avant-garde, dont Picasso, Foujita, Apollinaire, Modigliani, Zadkine, Soutine… et surtout, elle réalise sa première sculpture : un portrait de sa grand-mère, d’après photo. Au Salon d’automne de 1913, elle présente deux œuvres : le succès est immédiat. Dès lors, et jusqu’à la fin de ses jours, elle ne vivra plus que de ses œuvres d’art à vendre. Devenant notamment la portraitiste attitrée de l’intelligentsia parisienne qui achète ses œuvres d’art, tels Sonia Delaunay, Auguste Perret, Jean Paulhan ou Lucien Vogel. Elle épousera en 1916 le poète polonais Ary Justman, dont elle était tombée follement amoureuse un an plus tôt, et qu’elle ne remplacera jamais quand il mourra en 1919 après lui avoir donné un fils.

Ayant échappé in extremis à la rafle du Vél’d’Hiv’ en juillet 1942, elle se réfugiera à Genève jusqu’en 1945. Et pendant les vingt dernières années de son existence, elle partagera son temps entre Paris et Tel-Aviv, participant dès 1948 à l’édification de l’Etat d’Israël en sculptant des monuments commémoratifs. Chana Orloff n’a pourtant toujours pas sa place aujourd’hui dans les manuels officiels ni dans l’histoire de l’art d’Israël…

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

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