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La peinture vivante de Najia Méhadji
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Février 2024 | Temps de lecture : 26 Min | 0 Commentaire(s)

A l’occasion de l’exposition « Najia Mehadji – Lignes de vie » à la galerie d’art 110 Véronique Rieffel à Paris jusqu’au 31 décembre.

Dans la série Woman & War, ou dans Liberté j’écris ton nom (des œuvres d’art commandées pour une exposition contre la peine de mort au MACMA de Marrakech), elle manie si bien la sérigraphie alliée à la peinture sur toile que le tourbillon qui nous emporte face à la toile est de mon point de vue particulièrement bluffant. Mais dès les années 1980, l’œuvre d’art s’est faite mouvement dans le travail de Najia Méhadji. Si les volutes s’élancent aujourd’hui en majesté de son pinceau coréen imbibé de peinture acrylique, on retrouvait déjà le flux vital dans les dessins abstraits en noir et blanc, au fusain et à la craie de ses débuts, comme dans ses figures aux couleurs irradiantes de son stick à huile, qu’elles soient géométriques ou floralement ondoyantes. Grâce à la visite de la journaliste Elisabeth Couturier dans l’atelier de l’artiste franco-marocaine pour le magazine Connaissance des arts, je me suis régalée d’avoir pu faire mieux connaissance avec Najia Méhadji, née en 1950 à Paris, devenue une artiste peintre majeure de la scène de l’art contemporain au Maroc mais ayant aussi fait l’objet de belles expositions dans les musées français. D’où l’envie de vous en faire profiter ici.

« Finalement j’ai mis trente ans à toucher une toile avec un pinceau ! » s’amuse-t-elle à constater en échangeant avec la journaliste dans son atelier niché à Ivry-sur-Seine, déambulant dans ce vaste espace de deux cents mètres carrés qui fut autrefois une usine à pigments, pour montrer d’immenses toiles réalisées à différentes époques, souvent posées à même le sol. Elle s’est installée dans ce lieu calme et clair en 2001, qu’elle a pu acheter pour une somme modique grâce aux indemnités versées par la Ville de Paris aux victimes de l’incendie ayant ravagé en 1990 les Magasins Généraux du canal de l’Ourcq, où elle louait à l’époque son atelier. Quant à son rapport avec la peinture qui ne s’est imposé qu’avec le temps, elle en trouve l’origine dans le « parcours atypique et la proximité que j’ai longtemps entretenue avec la performance, le théâtre, la danse et la musique d’avant-garde, et aussi dans le vif intérêt que j’ai porté au mouvement Supports/Surfaces. L’idée d’aller chez le marchand de peintures me semblait dépassé », analyse Najia Méhadji avec le recul. C’est donc seulement au début des années 2000 que la peinture arrive dans son œuvre. Une impérieuse nécessité, comme on peut le constater avec la sublime série Mystic Dance, où d’un seul geste sûr, vif et fluide, elle trace de son pinceau une large arabesque aux contours aléatoires. Une fulgurance. Le motif a beau être minimaliste, il raconte mille histoires.

J’aurais d’ailleurs adoré repérer les œuvres d’art à vendre de cette série quand elles étaient encore abordables ! Elles se retrouvent aujourd’hui aussi bien chez les collectionneurs que dans les galeries d’art et les musées. En 2020, une splendide Mystic Dance rouge sur noir provenant de la collection Claude et France Lemand, était attribuée à 4000 € chez Christie’s, vendue au profit des artistes du musée de l’Institut du monde arabe. Mais en 2022, une Blue Wave dépassait déjà les 9000 euros dans une vente d’œuvres d’art à Marrakech. Pas besoin d’être devin pour affirmer que la cote de Najia Méhadji n’a pas fini de monter sur le marché de l’art, et c’est tant mieux pour elle… même si c’est tant pis pour moi !

« La série Mystic Dance évoque aussi bien le rituel des derviches tourneurs effectuant des rotations sur eux-mêmes dans le but d’atteindre une sorte d’extase, que Loïe Fuller, danseuse filmée en 1897, quand elle agitait avec ses bras un immense tissu comme s’il s’agissait d’ailes de papillon, hommage vibrant au rêve d’Icare. On pense aussi à la fameuse Vague envahissante d’Hokusai ou aux sinuosités de la calligraphie arabe », écrit Elisabeth Couturier dans son article pour Connaissance des arts. Devant la série Lignes de vie, je pense quant à moi aussi beaucoup aux œuvres d’art de Fabienne Verdier, cette artiste peintre française formée auprès de maîtres de calligraphie chinois, qui travaille avec des pinceaux gigantesques formés d’une trentaine de queues de cheval et chargés de 60 kilos d’encre, qu’elle suspend au faîte du toit et qu’elle déplace avec un guidon de vélo.

La récente collaboration de Fabienne Verdier avec la maître-verrier Flavie Serrière Vincent-Petit lui a d’ailleurs permis de s’approprier aussi l’art du vitrail, et après avoir sillonné le département de l’Aube pour s’imprégner de l’âge d’or du vitrail au XVIe siècle, les deux artistes ont ainsi pu en 2016 réaliser les vitraux de l’église Saint-Laurent de Nogent-sur-Seine. J’ai eu la chance en 2022 de voir la splendide exposition « Fabienne Verdier, alchimie d’un vitrail » qui faisait écho à ce formidable travail, au musée Camille Claudel à Nogent-sur-Seine. Dans laquelle Les Forces tourbillonnaires de Fabienne Verdier se mêlaient aux couples enlacés de Camille Claudel. Le vitrail hommage aux sculptures de La Valse a d’ailleurs pris place dans les collections permanentes du musée, que je vous recommande chaleureusement de visiter. Tout comme d’autres œuvres en mouvement de Fabienne Verdier dont la vitalité du trait de pinceau rappelle le tournoiement des valseurs. Difficile vous en conviendrez de ne pas associer, au moins en pensée, ces deux formes de peinture arabesque aux allures d’élan vital ! Même si en ressentant toute l’énergie qui jaillit des tableaux de Najia Méhadji, me viennent aussi à l’esprit les images de la Bataille de Cascina ou de la Bataille des centaures, cette fresque et cette sculpture de Michel Ange dont les motifs réalistes n’étaient au fond pour l’artiste que prétexte à représenter le mouvement.

De toute façon, tout nourrit le travail de Najia Méhadji. Surtout les différences culturelles et artistiques, qu’elle vit comme une seconde nature depuis qu’elle est née d’un père marocain et d’une mère française, passant régulièrement de Paris à Fez, et désormais d’Essaouira à Paris avec son mari, l’écrivain et critique d’art Pascal Amel. Après son bac obtenu en 1968, elle a étudié à la Sorbonne et aux Beaux Arts en croisant les enseignements du peintre de l’abstraction lyrique Michel Carrade (1923-2021) avec ceux du metteur en scène Serge Ouaknine, disciple de Grotowski, tout en assistant aux conférences de Gilles Deleuze… Un véritable rêve éveillé. Qu’elle revit à volonté en ressortant les trésors précieusement conservés dans la petite bibliothèque de son atelier, comme les exemplaires de la revue Sorcières dont, en féministe convaincue, elle a réalisé plusieurs couvertures, un catalogue de l’exposition Deadline organisée en 2010 par le musée d’Art moderne de la Ville de Paris qui avait réuni les dernières œuvres d’artistes contemporains avant leur mort, une carte postale de Simon Hantaï au milieu de ses toiles, la reproduction d’un tableau de Manet très symbolique pour elle, un livre sur Paul Cézanne, auquel elle a consacré son mémoire de maîtrise… On croit volontiers Najia Méhadji quand elle dit qu’elle adore venir dans son atelier…

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Najia Mehadji

Vague 3, 2018
Acrylique sur toile

100 x 100 cm

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