Remonter
L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
Current locale language
Le XVIIIe siècle dans l’œuvre de Berthe Morisot
le-xviiie-siecle-dans-loeuvre-de-berthe-morisot - ARTACTIF
Février 2024 | Temps de lecture : 26 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Berthe Morisot et l’art du XVIIIe s/Watteau, Boucher, Fragonard, Perronneau », à voir jusqu’au 3 mars 2024 au musée Marmottan Monet à Paris.

On n’aura finalement jamais fini de s’intéresser à Berthe Morisot, la fameuse « première femme impressionniste ». A ses œuvres d’art, mais aussi à sa vie, comme tous les grands personnages ayant marqué leur temps. Les biographies abondent, les expositions qui lui sont consacrées attirent un public de plus en plus nombreux, en ces temps où est largement débattu et revalorisé le statut des femmes artistes oubliées par l’histoire de l’art. On se souvient de l’exposition, énorme, du musée d’Orsay à Paris en 2019, qui ne réunissait pas moins de 75 tableaux de la peintre ayant si longtemps été désignée comme la simple « muse et amie d’Edouard Manet », ou « belle-sœur d’Edouard Manet »…

Effectivement, Berthe Morisot (1841-1895) a assidûment fréquenté le célèbre Edouard Manet (1832-1883), effectivement il l’a peinte à plusieurs reprises, mais c’est parce qu’ils étaient justement peintres tous les deux, parce qu’ils partageaient la même passion artistique, qu’ils s’étaient ainsi rapprochés dès 1868, au point qu’elle épousera son frère Eugène en 1874, sans jamais signer autrement que par son nom de naissance. Je me souviens d’ailleurs que l’exposition d’Orsay m’avait laissé penser que pour ce qui est des passions charnelles, Edouard, déjà marié à Suzanne depuis 1863, et Berthe auraient également eu beaucoup à partager, et que le cher Eugène n’aurait jamais été dupe, se consacrant tout entier à l’épanouissement artistique de son épouse et de son frère au point de contribuer au financement des expositions des impressionnistes. Ceci est un autre débat… et peut-être un autre mythe.

Car en 2019, on disait également que Berthe Morisot était une descendante de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) ! Sa mère, Marie-Joséphine-Cornélie, aurait été l’arrière-petite-nièce de l’illustre représentant du style rococo français. Ce qui aurait soi-disant expliqué ce « faux air XVIIIe siècle » nimbant les portraits et scènes de genre de la peintre impressionniste. Mais ce mythe-là n’est plus. A l’occasion de l’exposition « Berthe Morisot et l’art du XVIIIe s/Watteau, Boucher, Fragonard, Perronneau », à voir jusqu’au 3 mars 2024 au musée Marmottan Monet à Paris, l’attachée de conservation du musée et historienne de l’art, Claire Gooden, et le généalogiste Antoine Lefort, ont croisé les sources et poussé les études beaucoup plus loin, pour finalement pouvoir affirmer qu’il n’existe en réalité aucun lien de parenté entre les deux familles. Il n’empêche qu’on ne peut effectivement nier l’influence de la peinture du XVIIIe siècle sur l’œuvre de Berthe Morisot. « Une pointe de XVIIIe siècle exaltée de présent », comme l’écrivait à son propos Stéphane Mallarmé. Et pour cause ! La jeune femme a grandi dans une société bourgeoise où l’art du XVIIIe siècle donnait le la, ayant notamment baigné une grande partie de sa vie dans l’atmosphère de l’hôtel particulier de Léon Riesener, petit-fils de l’ébéniste de Louis XVI, décoré dans le plus pur style du Siècle des Lumières et où elle posera par exemple pour la femme artiste Marcello.

Berthe nait à Bourges, deux ans après sa sœur Edma née à Valenciennes, et trois ans après leur sœur aînée prénommée Yves, dans une famille de bonne bourgeoisie, assez fortunée. Une famille intéressée par les arts aussi : leur père n’est autre que Edmé Tiburce Morisot, ancien préfet, ayant beaucoup œuvré pour la création des musées de Limoges. La mère fait très vite donner à ses filles des leçons de dessin, puis de peinture. Berthe a 11 ans quand la famille s’installe à Paris après la nomination du père à la Cour des Comptes. Avec Edma, elle va au Louvre faire des copies et les deux sœurs y rencontrent d’autres copistes, des élèves de l’Ecole des beaux-arts, comme Henri Fantin-Latour, ou Edouard Manet. Ecole où elles ne peuvent évidemment pas être admises en raison de leur sexe, étant entendu qu’il en sera ainsi jusqu’au début du XXe siècle… En 1857, les jeunes filles reçoivent leurs premières leçons du peintre de style néo-classique Geoffroy-Alphonse Chocarne, mais celui-ci ne leur plait pas du tout...

Comme Edma et Berthe souhaitent néanmoins poursuivre leurs leçons, leur mère leur trouve donc un autre professeur, Joseph Guichard, ancien élève d'Ingres ayant la réputation d'être un excellent pédagogue. Reconnaissant le véritable talent d'Edma et Berthe, le peintre lyonnais affirme d’ailleurs bientôt à leurs parents : « Vos filles ont de telles inclinations… elles deviendront peintres. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Dans votre environnement de classe moyenne supérieure, ce sera une révolution, je pourrais presque dire une catastrophe. Etes-vous sûr de ne jamais maudire le jour où l'art deviendra le seul maître du destin de vos deux enfants ? » Il faut croire que non, puisqu’Edmé-Tiburce leur construira même un atelier dans le jardin, et que Marie-Joséphine-Cornélie les encouragera toujours à exercer leur œil en allant visiter des expositions.

Berthe a 19 ans lorsqu’en 1860, par exemple, trois cents œuvres d’art d’Antoine Watteau, Jean-Baptiste Greuze, Maurice-Quentin de La Tour, Jean-Honoré Fragonard, Jean-Siméon Chardin et bien d’autres peintres du XVIIIe siècle sont exposées à la galerie d’art Martinet à Paris. Jugé frivole et décadent juste après la Révolution française, cet art fait alors un retour en force, y compris sur les cimaises des musées. Il est inimaginable que la jeune femme ne soit pas allée les voir.

A l’époque des copies au Louvre, Fantin-Latour ne tarie pas d'éloges sur la peinture de plein air, et les deux soeurs font vivement faire part à leur professeur de leur envie de découvrir cette technique. Guichard les confie alors aux bons soins de Jean-Baptiste-Camille Corot. Et dès 1861, la famille Morisot loue une maison à Ville-d’Avray pour permettre aux jeunes filles de travailler auprès du célèbre peintre paysagiste. Celui-ci deviendra également un familier de la famille, comme la famille Manet, Charles-François Daubigny, Honoré Daumier ou encore Émile Zola, qu’ils recevront à leur domicile situé rue Franklin, à Paris. Edma et Berthe bénéficient pleinement des conseils du maître, de son goût pour les paysages réalisés à touches rapides et larges, pour son extraordinaire travail sur la lumière et on reconnaitra d'ailleurs fortement son influence dans le style des deux sœurs.

Le professeur trouve ses deux élèves très douées, mais à la lecture de la biographie de Berthe Morisot par Dominique Bona, on découvre qu’il marque toutefois une certaine préférence pour Edma, qu'il trouve « plus appliquée et d'un caractère plus facile »… Trop facile visiblement pour continuer de mener une carrière artistique après avoir épousé un officier de Marine... Oui, les deux sœurs sont sans doute aussi talentueuses l’une que l’autre, mais il faut croire que l’une est plus passionnée. Car si Edma abandonnera sa carrière artistique en 1869 pour se consacrer à sa vie de famille, comme d’innombrables femmes de l’époque auxquelles l’art était enseigné comme un loisir de bon ton, Berthe ne lâchera jamais son pinceau. Et même si elle aura une fille avec Eugène Manet, je ne doute pas une seconde qu’elle l’avait prévenu qu’elle ne se mariait surtout pas pour abandonner sa carrière de peintre… bien au contraire.

Lorsque Corot séjournera à Saintes, en Charentes, où il rejoindra l'atelier de plein air baptisé « groupe du Port-Berteau » avec Gustave Courbet, Hippolyte Pradelles... Il confiera les soeurs Morisot à son élève, le peintre paysagiste Achille Oudinot, qu'il estime mieux apte que lui à parfaire leur formation. Berthe et Edma Morisot participeront alors aux Salons de 1865, 1866, 1867 et 1868. Mais lorsque l’art de Berthe Morisot aura atteint sa pleine maturité, qu’elle deviendra une égérie de l’art moderne auprès d’Edouard Manet, Claude Monet, Auguste Renoir et tous les autres, qu’elle participera jusqu’en 1886 à presque toutes les expositions des expressionnistes… Edma devenue « Madame Pontillon » ne sera plus que le modèle de certaines de ses œuvres d’art à vendre.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

Discutons !
Personne n'a encore eu l'audace de commenter cet article ! Serez-vous le premier ?
Participer à la discussion
Exemple : Galerie spécialisée en Pop Art