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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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L’importance d’Augsbourg pour la Renaissance
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Février 2024 | Temps de lecture : 26 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Holbein et la Renaissance dans le Nord », au Städel Museum de Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, jusqu’au 18 février 2024.

Non, la Renaissance allemande ne se limite pas à Dürer ou à Grünewald ! C’est amusant : je constate que plus je vieillis, plus j’apprécie de m’intéresser à l’art ancien. Comme si l’art moderne et contemporain ne me suffisait plus maintenant que je deviens moi-même de plus en plus ancienne ! Ca vous fait ça, à vous aussi ? A moins que ce nouvel intérêt ne soit pas du tout lié à mon avancée en âge, mais tout simplement à l’avancée inévitable de ma culture en histoire de l’art au fil du temps, de mes visites, de mes lectures… Mystère ! Quoiqu’il en soit, j’en suis enchantée. Et donc je viens de me passionner pour la Renaissance allemande, à l’occasion de l’exposition « Holbein et la Renaissance dans le Nord », à ne pas manquer au Städel Museum de Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, jusqu’au 18 février 2024.

Saviez-vous que le fils Holbein, jusqu’à la fin du XIXe siècle, avait complètement éclipsé le père dans l’histoire de l’art, au point qu’on attribuait toutes les peintures de Hans Holbein l’Ancien (vers 1464-1524) à Hans Holbein le Jeune (1497/1498-1543) ? Que la cité allemande d’Augsbourg avait été l’une des cinq plus grandes villes européennes en 1500 ? Qu’elle abritait à l’époque « l’homme le plus riche du monde », j’ai nommé le banquier et mécène Jakob Fugger, et donc une remarquable génération d’artistes, qu’il s’agisse des Holbein père et fils, mais aussi de Hans Burgkmair l’Ancien ? Que le célèbre Albrecht Dürer avait même délaissé un temps son fameux Nuremberg pour venir y séjourner de temps en temps ?

Bref… Force m’a été de constater qu’au seul énoncé du mot Renaissance, jusqu’à maintenant, je pensais aussitôt à Florence (l'architecte Brunelleschi, le sculpteur Donatello, les peintres Masaccio, Fra Angelico et Botticelli), Rome (Léonard de Vinci, Raphaël et Michel-Ange) ou Venise (Mantegna, Bellini, Giorgione, Titien, Carpaccio)…  A l’Italie, donc. Ensuite peut-être quand même aux Flamands à Bruges (Jan van Eyck, Hans Memling et Gérard David), Gand, Anvers ou Bruxelles… J’aurais éventuellement même pu aller jusqu’à penser à l’Allemagne, en citant Nuremberg grâce à la maison d’Albrecht Dürer, ou le fameux retable d’Issenheim de Grünewald… Mais ce qui est sûr, c’est que je n’aurais absolument jamais pensé à Augsbourg ! Et pour cause… Puisqu’ici je vous raconte tout, y compris ce qui permet de remettre l’humain au centre de son incapacité à tout savoir : je n’avais même aucune idée de l’existence de cette ville du Souabe, une région du sud-ouest de la Bavière, où tant de choses se sont pourtant jouées !

A la lecture de l’article de Sophie Flouquet, dans le numéro de décembre de Beaux Arts Magazine, j’ai donc été ravie de découvrir cette place forte de la Renaissance du Nord… et même de pouvoir prendre encore un peu de hauteur pour parer aux éternels reproches de marchandisation de l’art toujours faits au marché de l’art contemporain… par ceux qui s’imaginent peut-être que les artistes n’ont pas besoin de se nourrir ou de payer leur loyer. De tout temps en réalité, ils ont peint ou sculpté des œuvres d’art à vendre, et ce sont bien entendu les personnes les plus aisées financièrement qui leur ont permis d’avoir du travail ! Car les artistes d’alors ne travaillaient principalement que sur commande.

Loin de moi l’idée de me réjouir qu’il faille des milliardaires pour faire vivre les artistes… Ca m’énerverait plutôt, même. Il n’empêche. Sans les Médicis à Florence, sans les Fugger à Augsbourg, puis sans les richissimes collectionneurs d’art de tous les temps, ayant fait fortune dans la finance ou ailleurs à la sueur des petites gens, je ne sais pas si beaucoup de chefs d’œuvres seraient parvenus jusqu’à nous…  C’est un fait. Comme l’écrit Sophie Flouquet à propos d’Augsbourg et du début de la Renaissance allemande qui s’y épanouit si brillamment, tous les artistes ont trouvé là « un terreau fertile et une structure solide de commanditaires et mécènes, non sans être concurrents (…) Cité impériale aux origines romaines, de taille équivalente à Anvers, Augsbourg fut en effet prospère dès le XIIIe siècle, comme en témoigne le faste de l’architecture de ses bâtiments civils et de ses églises. Sa richesse provint en large partie de son eau : arrosée par la Wertach et le Lech, la ville avait pu y développer dès le Moyen Âge une importante activité textile. »

Ainsi la maison impériale des Habsbourg, dominant la région, fit-elle de Augsbourg une place majeure, y installant régulièrement la Diète d’Empire, cette institution chargée à l’époque de veiller sur les affaires générales. Forcément, la cité attirait à cette occasion toute une flopée de dignitaires, princes, clercs ou conseillers venus avec leurs épouses, parfois pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois. De quoi doper l’économie locale… mais aussi les commandes d’œuvres d’art. L’empereur Maximilien Ier (1459-1519) se comporta à Augsbourg « en grand mécène de la scène artistique locale, tout comme son conseiller, le collectionneur (d’art, de monnaies et médailles) et humaniste Konrad Peutinger, qui fut même à l’origine de la création d’une fonderie d’où sortirent maint bustes et bronzes. Il faut dire que l’empereur avait trouvé à Augsbourg des financeurs, les Fugger (mais aussi, dans une moindre mesure, la famille Welser), véritables magnats de la ville. » En 1519, ça sera d’ailleurs Jakob Fugger (dit le Riche) qui financera l’élection de Charles Quint, le successeur de Maximilien. De l’or, cette dynastie n’en manquait pas, notamment grâce aux mines d’argent, de mercure et de cinabre…

« Les Fugger ont utilisé l’art comme un instrument politique, un investissement, un symbole de statut, l’expression de leur appartenance à une élite sociale et, ce qui n’est pas le moins important, comme un moyen de promouvoir leur memoria », écrit l’historien de l’art Wolfgang Augustyn dans le catalogue de l’exposition de Francfort. « Ce volontarisme ruissela inévitablement sur les artistes locaux », ajoute la journaliste de Beaux Arts Magazine. « Une autre singularité concernant la ville fut la perpétuation de ses liens avec la péninsule italienne, hérités en partie de son passé romain mais surtout facilitée par sa proximité avec les cols alpins. Les nouveautés du Nord de l’Italie y parvenaient ainsi plus rapidement qu’ailleurs dans l’Empire, qu’il s’agisse des écrits humanistes ou des œuvres d’art. Les artistes n’y furent pas insensibles. »

La preuve : les peintures de Hans Burgkmair dit l’Ancien (1473-1531) eurent beau rester « glacialement éclairées d’une lumière nordique blafarde », on y discerne très tôt des motifs italianisants comme les pilastres, les colonnes ou les grotesques (il fut même le premier sur ce sujet). Il voyagea en Italie, mais également aux Pays-Bas et dans la région du Rhin supérieur, où il rencontra notamment le peintre Martin Shongauer dont le nom ne vous est pas étranger si vous fréquentez le musée Unterlinden de Colmar. Quant à Holbein l’Ancien, à la peinture beaucoup plus austère, auteur de nombreux panneaux religieux  visiblement influencés par le Flamand Rogier van der Weyden, il se mit tardivement au portrait dans une veine hollandaise, mais c’est ce genre qui fut repris avec brio par Holbein le Jeune, lequel fut certainement l’un des plus brillants portraitistes du XVIe siècle.

L’objectif de l’exposition est clair : illustrer cette période de transition entre Moyen Âge et Renaissance, entre tradition et apports italiens, grâce au rôle joué par les puissants mécènes d’Augsbourg. Il est atteint.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Jan van Eyck (ca. 1390-1441)
Lucca Madonna, ca. 1437
Mixed technique on oak, 65,7 x 49,6 cm
Städel Museum Frankfurt am Main, Public Domain

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