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La peinture métaphorique de Dana Schutz
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Janvier 2024 | Temps de lecture : 26 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Dana Schutz. Le monde visible », au musée d’art moderne de Paris jusqu’au 11 février 2024.

La peinture de Dana Schutz ? Des yeux exorbités, des amas de corps déchirés, des bouches immenses, des univers saturés, un humour décalé… et des couleurs, des couleurs, des couleurs… D’autant plus vives et lumineuses qu’elles émergent d’une obscurité habitée. Une peinture expressionniste alors ? Ou une peinture surréaliste ? Un peu des deux. Beaucoup des deux. Une vraie découverte pour moi en tout cas ! Et un gros coup de cœur. Qui me donne forcément très envie de vous parler de cette artiste contemporaine américaine, peintre et sculptrice, née en 1976 dans le Michigan. De remercier au passage le musée d’art moderne de Paris qui lui consacre une très riche exposition : la première de cette ampleur en France. De remercier le magazine d’art contemporain Artpress aussi, qui m’a donné envie d’aller la voir grâce à l’interview très complète qu’il publie dans son numéro de novembre 2023.

Et puis un coup de cœur qui m’ébahit : mais comment ai-je pu passer à côté de ces œuvres d’art jusque-là, alors qu’elles sont tout ce que j’aime, tant elles ont à dire !? Alors qu’elles me bouleversent !? L’essentiel est de les rencontrer un jour me direz-vous. Quelle immense source de joie que l’art, décidément, source intarissable de découverte. D’émerveillement. Ou pas. De sensations paradoxales, innombrables. Et quel bonheur de voir partout ressurgir la peinture et la sculpture dans tout ce qu’elles ont d’humain, en ces temps de hautes technologies et d’intelligence artificielle. Je ne sais pas si vous qui me lisez êtes abonnés à ARTactif pour vendre vos œuvres d’art ou pour acheter les œuvres d’art des autres, mais dans un cas comme dans l’autre, je suis sûre que vous voyez ce que je veux dire. Même si on l’adore, notre petit Genius qui nous offre ici l’opportunité de cibler un genre qu’on aime, sans nous empêcher de faire des pas de côté pour se laisser surprendre !

Bref, Dana Schutz. J’ai cherché dans mes livres d’art, pour voir si elle m’avait malencontreusement échappée, mais je ne l’y ai pas trouvée référencée. Sans doute n’ai-je pas encore assez de livres d’art… Me voilà avec une bonne excuse pour compléter ma collection. Comme l’écrit si justement la critique d’art new yorkaise Eleanor Heartney, qui se charge de l’interview publiée dans Artpress, « Dana Schutz est l’une des principales héritières de l’expressionnisme surréaliste, notamment illustré par des peintres comme Max Beckmann, Philip Guston et James Ensor. Ses tableaux représentent des situations absurdes, dans un style où les innovations de l’abstraction moderne se mélangent avec des références à des symboles de la culture populaire. » Une quarantaine de ses tableaux les plus récents mais aussi des dessins et des gravures, sont déployés au musée d’art moderne de Paris dans l’exposition « Dana Schutz. Le monde visible », le parcours étant également saupoudré de quelques unes de ses sculptures.

Prenez votre temps pour déambuler entre ces œuvres d’art chargées de sens, ces peintures d’une force incroyable, que Klaus Biesenbach avait estimées être un pont jeté entre bande dessinée et réalisme social, tandis qu’il assurait le commissariat de l’une des premières expositions de Dana Schutz à New York en 2001. En silence si possible, plongez vous dans cette peinture qui ne ressemble à aucune autre, tout en ayant de faux airs de Goya aussi bien que de Käte Kollwitz, de Giotto que de Robert Colescott, de Paolo Uccello que de Picasso… Et qui me fait penser également à l’œuvre peint de Clair Arthur, un artiste contemporain vivant dans les Vosges auquel je vous recommande chaleureusement de vous intéresser, avant que ses œuvres d’art à vendre ne soient plus que difficilement accessibles sur le marché de l’art.

« Je m’inspire sans aucun doute de certains artistes, mais la liste change tout le temps », confirme Dana Schutz. « Parfois, je suis surprise. Même chez un artiste dont on pense ne pas vraiment aimer le travail, on trouve parfois des choses dont on ne savait même pas qu’elles nous étaient nécessaires. »

Philip Guston est toutefois l’un des artistes dont elle est sûre d’aimer le travail. « Je viens justement de visiter l’exposition Guston à Washington », confie l’artiste à la critique d’Artpress qui évoque leur affinité particulière. « C’était formidable de voir ses peintures abstraites. Elles sont si belles. J’ai toujours aimé son œuvre tardive, mais il me semble que j’étais un peu passée à côté de ses tableaux abstraits. Quand on voit cette rupture avec ses œuvres figuratives des époques précédentes, on se dit qu’il a dû avoir l’impression de s’envoler. Les œuvres antérieures, avec les enfants masqués, étaient étouffantes, serrées, tandis que les toiles abstraites sont plus sauvages. Les peindre a dû être une expérience exaltante. On sent ça dans sa peinture. Puis, à un moment donné, il s’est senti entravé par l’abstraction. Elle ne lui permettait pas de dire tout ce qu’il avait à dire. Il a donc dû s’en détacher, mais son œuvre tardive est empreinte de cette manière de peindre. »

Je me suis encore demandé comment avait pu m’échapper le travail, ou au moins le nom, de Dana Schutz il y a six ans, alors que l’un de ses tableaux faisait l’objet d’une vive polémique opposant les partisans d’un art engagé pratiqué par tous et pour tous, à ceux d’un art n’autorisant que les artistes issus d’une communauté à dénoncer les souffrances vécues par ladite communauté. L’œuvre Open Casket, une huile sur toile de 2016, s’inspire en effet de la photographie d’Emett Till, l’adolescent afro-américain lynché en 1955 parce qu’il avait parlé à une femme blanche dans le Mississipi. Une photographie de corps supplicié, que la propre mère de Till avait rendu publique pendant les funérailles pour mieux dénoncer les violences racistes aux Etats-Unis. Une photographie qui avait contribué à la naissance du mouvement des droits civiques. Et donc inspiré une peinture à Dana Schutz, alors que le mouvement Black Lives Matter remettait justement sur le devant de la scène cette question des discriminations raciales dans le pays. La controverse explosera lorsqu’elle voudra l’exposer à la biennale du Whitney Museum de 2017 : l’artiste afro-américaine Hannah Black s’y opposera au motif qu’une artiste blanche ne saurait « tirer profit » de la souffrance des Noirs. Le musée tranchera en décidant d’exposer le tableau de Dana Schutz assorti d’un cartel explicatif. Open Casket n’ayant jamais été une œuvre d’art à vendre.

« J’ai peint ce tableau pendant l’été 2016, en Amérique, parce qu’il me posait question. Comment s’y prendre ne serait-ce que pour aborder un tel sujet ? » répond Dana Schutz à Eleanor Heartney quand la critique d’art lui rappelle cette « guerre culturelle », expression utilisée aux Etats-Unis pour désigner les polémiques qui opposent, depuis les années 1980, réactionnaires et progressistes sur des thèmes de société. « Le tableau n’a jamais été à vendre, même avant la biennale. Je n’aimais pas l’idée qu’il circule sur le marché. Mais cette œuvre a fait souffrir beaucoup de personnes. C’était important que je me montre ouverte et que j’écoute ce que les gens avaient à dire. Ce n’est pas seulement le tableau qui était en question. »

Et c’est bien parce que les tableaux de Dana Schutz ne sont pas seulement des images qu’ils parlent autant…

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Mountain Group, 2018
Huile sur toile
Collection Marguerite SteedHoffman
Photographe : Jason Mandella Courtesy the artist and David Zwirner, New York; Thomas Dane, London; Contemporary
Fine Arts,

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