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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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L’esprit de Mike Kelley rôde toujours
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Janvier 2024 | Temps de lecture : 25 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Mike Kelley – Ghost and Spirit » à voir jusqu’au 19 février 2024 à la Bourse de Commerce à Paris.

Je ne risque pas de faire ma maligne en vous parlant de Mike Kelley, tant son art ancré dans la contre-culture de l’Ouest américain, mêlant tous les médiums imaginables, est aussi impossible à synthétiser qu’il supporte mal les interprétations univoques ! Vous inciter à aller visiter l’exposition rétrospective qui lui est actuellement consacrée à la Bourse de Commerce, à Paris, ça oui, je veux le faire. Pour y voir un peu plus clair justement. Ou plutôt non. Pour rester dans le flou artistique, mais pour ressentir plein d’émotions différentes au fil d’œuvres d’art le plus souvent sans queue ni tête. Pour mieux appréhender aussi le réel talent de cet artiste immensément admiré par ses pairs, en s’immergeant dans la profusion d’ensembles conséquents, films et autres raretés constituant le parcours chronologique. Traversé par l’esprit de Mike Kelley.

Mêlant avec un art du décalage parfaitement maîtrisé et une profonde liberté l’univers de la culture populaire aux références érudites de la culture savante, l’œuvre de Mike Kelley prend toutes les formes et mobilise toutes les techniques : dessin, peinture, sculpture, installation, performance, objet hétéroclite, photographie, vidéo, création sonore, etc.

L’exposition « Mike Kelley – Ghost and Spirit » est le clou du cycle proposé par la Bourse de Commerce autour des « Mythologies américaines ». Le show assuré par l’artiste californien né le 27 octobre 1954 et mort suicidé le 31 janvier 2012, prolonge de façon assez éblouissante les belles expositions de Lee Lozano, Mira Schor et Ser Serpas qui se sont précédemment déployées sous la coupole de la prestigieuse rotonde, dévolue à l’art contemporain depuis qu’elle a été achetée en 2016 par François Pinault, homme d’affaires richissime et comptant parmi les plus grands démiurges du marché de l’art contemporain. Elle est organisée en partenariat avec la Tate Modern de Londres, le K21 de Düsseldorf et le Moderna Museet de Stockholm, lieux où elle poursuivra bien entendu sa route après la primeur parisienne.

C’est vrai, Mike Kelley est encore assez peu connu du grand public. Ce qui tout compte fait me semble assez logique, puisqu’on parle ici d’un prince punk de l’underground américain... N’empêche qu’il fut aussi un professeur investi, ayant marqué toute une génération de créateurs, et que ses copains s’appelaient Paul McCarthy, Jim Shaw, Tony Oursler, Cary Loren, Lynn Rovner, ou les Sonic Youth, ce qui prouve bien, s’il le fallait encore, à quel point il était respecté dans le monde de l’art contemporain et de la contre-culture. L’utopie mélancolique de ce plasticien, musicien et performeur inégalé, dont les œuvres d’art peuvent s’inspirer autant de l’enfance que de l’art populaire, de la politique que des philosophes grecs… illumine comme un feu d’artifice le cœur de la Bourse de Commerce, cette rotonde où l’on accède avant le Salon et les galeries supérieures. Déployées comme une nuée multicolore, les maquettes sous cloche que Mike Kelley avait imaginées pour Kandor City, la ville natale de Superman, plongent en effet tout de suite le visiteur dans une autre dimension. Et c’est spectaculaire.

Affleurent aussi dans le parcours ce que Mike Kelley appelait « les histoires mineures » de sa pratique. Dessins, photographies et écrits préparatoires offrent ainsi aux visiteurs le bonheur de suivre la pensée de l’artiste. Et ça, j’adore. Je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne, cheminer dans la pensée d’un artiste contemporain est la seule façon que j’ai trouvée pour élargir la mienne et apprécier ses œuvres d’art à vendre. Pour démêler les innombrables fils qui y sont tirés en même temps. « L’œuvre de Mike Kelley s’est toujours nourri de références sous‑culturelles et d’une tension entre la profondeur de la pensée critique qu’il développait et l’apparente superficialité d’une esthétique pop jouant parfois sur la séduction, ou d’une esthétique trash. Il n’aura cessé de mettre en scène également le rôle de l’artiste et la manière dont celui-ci apparaît ou disparaît », explique Jean-Marie Gallais, conservateur de la Pinault Collection et commissaire de l’exposition de la Bourse de Commerce. « Visionnaire, Mike Kelley aura été un grand explorateur de notions aujourd’hui toujours pertinentes dans le feu des débats contemporains : mémoire collective et individuelle, rapports de genres, de classes sociales… L’artiste originaire de Détroit (Michigan) s’intéresse en particulier à la façon dont la subjectivité individuelle est façonnée par les structures de pouvoir familiales et institutionnelles au sein de la société américaine capitaliste postmoderne. »

Pour Judicaël Lavrador, journaliste à Beaux Arts Magazine, Mike Kelley est bien sûr un « enfant terrible », qui a laissé derrière lui un art comme « un écheveau d’obsessions, d’interrogations, d’intuitions sur l’enfance, l’adolescence et les souvenirs que tous, un par un, mais surtout collectivement, nous en gardons ». Un art « percutant, drôle et aussi tragique que son suicide ». Elle a raison : cette ample exposition de la Bourse de Commerce, macère dans l’atmosphère d’inquiétante étrangeté qu’aimait tant mettre en place Mike Kelley, à l’image du monde si peu rationnel qu’il habitait. « Musiques, maquettes d’architecture, sculptures, installations pétries de croyances surnaturelles, d’une iconographie et de pratiques populaires, de superhéros ou de poupées pelucheuses, d’objets sauvés du rebut ou de tirages sous-exposés, tout ce qui étoffe les œuvres de Mike Kelley vient en même temps les bordéliser. Et y ouvrir des chausse-trappes, des tunnels comme autant de cavernes où se planquent les fantômes parfois comiques de l’inconscient », écrit-elle dans l’article qu’elle lui consacre en novembre.

Celui qui avait été répudié par son père en choisissant de devenir artiste, qui avait commencé à se faire connaître avec des performances néo-Dada aussi absurdes qu’assourdissantes, qui adorait créer des pièces dérisoires et étrangères à l’art, comme ces nichoirs munis d’un mode d’emploi, peindre sur des draps, fabriquer des poupées ou incorporer des objets de pacotille à du ciment, n’en ratait jamais une pour questionner les canons esthétiques, moraux et culturels. Parodiant les leçons de catéchisme, se moquant aussi de la sainte parole de l’industrie du divertissement et de la publicité, Mike Kelley est très vite identifié comme un artiste de la contre-culture West Coast, au même titre que Raymond Pettibon, Tony Ousler, Jim Shaw ou Richard Jackson… « Mais ses poupées, petits fœtus de tissu et de laine rembourrée, restent ses plus fameuses incarnations de l’enfance et de ses projets imaginaires », estime la journaliste de Beaux Arts Magazine. « La série intitulée Half a Man prête à ces doudous un état pitoyable, la faculté de se chamailler et un genre impossible à identifier. Comme s’ils incarnaient un troisième sexe et avaient leur propre vie. » L’enfance de l’art.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Mike Kelley, Kandors

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