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Michael Ray Charles ou l’art de donner à penser
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Décembre 2023 | Temps de lecture : 23 Min | 0 Commentaire(s)

A propos du retour de Michael Ray Charles dans le paysage de l’art contemporain après vingt ans de retrait.

Dans le coin inférieur droit de ses toiles, juste sous la signature, vous discernerez toujours un penny. C’est la façon qu’a Michael Ray Charles de constamment interroger « ce qu’est la liberté ». L’artiste encensé par Spike Lee et David Bowie, qui avait disparu pendant près vingt ans, lassé de sa réputation d’enfant terrible du Sud, des éternelles discussions sur le racisme que provoquaient ses œuvres d’art à vendre alors qu’il aurait aussi voulu parler art et peinture, n’a jamais cessé de créer, réfugié dans le cocon de ses deux ateliers, au Texas et en Belgique. Il vient de faire son retour sur le devant de la scène, braquant à nouveau la lumière peinte de ses projecteurs de théâtre sur une œuvre dérangeante. La galerie d’art Templon lui a consacré en 2022 à Paris l’exposition In the Presence of Light, principalement constituée de récentes œuvres en noir et blanc, puis à New York en 2023 l’exposition Veni Vidi. A State of Mind, dans le nouvel espace de la galerie d’art à Chelsea.

 

Évidemment, l'œuvre de Michael Ray Charles est hautement provocatrice et critique, méritant donc une réflexion sérieuse et approfondie. Il n’empêche que c’est effectivement d’abord une œuvre d’art. L’artiste contemporain américain né en Louisiane en 1967 a toujours principalement concentré son travail sur des questions de race, de stéréotypes, et d'injustice sociale, en particulier à travers le prisme de l'imagerie raciste qui a longtemps été présente dans la culture populaire américaine. Il est finalement le roi du mélange des genres, aujourd’hui à tous les sens du terme. Ses corps quasi arlequinesques, parfois grotesques, ne vous auront sûrement pas échappé au début des années 2000, jambes blanches tête noire, jambes noires bras blancs, masques, accoutrements colorés et hautement symboliques… Mais c’est vrai qu’il est peintre, surtout. Et que se faire étiqueter dès sa sortie de l’université de Houston en 1993 comme l’Afro-Américain qui combat les stéréotypes raciaux a eu de quoi lui donner envie de prendre le temps de la réflexion.

 

Comme l’écrit Julie Chaizemartin dans son article paru dans le magazine d’art contemporain Artpress du mois d’octobre, qualifiant l’artiste d’ « archéologue des stéréotypes noirs », « Michael Ray Charles fait partie de ces artistes à la trajectoire atypique, d’abord incompris, bien souvent parce qu’ils sont en avance sur leur temps, avant que l’évolution de la société finisse par donner un sens renouvelé à leur travail. » Ce qui ne l’empêchera pas de faire une entrée assez fracassante dans le monde de l’art au début des années 1990, même s’il clive très vite les esprits. « On taxe son art de choquant, on fuit du regard ces objets visuels qu’on lui reproche de mettre en pleine lumière alors qu’il est désormais préférable de les ranger sous le tapis », nous rappelle la journaliste et critique d’art.

 

Michael Ray Charles dessinait et peignait en couleurs, dans le style des publicités des années trente, des images d’Africains associés traditionnellement à des produits de consommation (chocolat, cirage). Julie Chaizemartin parle d’ailleurs de « ghetto graphique nauséabond ». La stratégie de réappropriation de l’artiste questionnait la façon dont ces images ont été utilisées pour déshumaniser les Noirs américains. Et remettait en question la responsabilité de la société dans la perpétuation de ces stéréotypes. Utilisant souvent la satire et l'ironie pour aborder ces questions sensibles, l’art de Michael Ray Charles peut être difficile à regarder, et on peut ne pas trouver ses tableaux « beaux ». Quoique. De toute façon, on n’est pas obligés d’être dans la déco. Ces toiles sont là pour pousser le spectateur à remettre en question ses propres croyances et préjugés, ce qui peut être une expérience émotionnelle et intellectuellement troublante. N’empêche que sous le coup des critiques, et du fait des nouvelles tendances de l’art américain, Michael Ray Charles a choisi en 2004 de se retirer pour chercher de quelle manière rester fidèle à lui-même.

 

Ce n’est pas un hasard s’il a choisi l’espace parisien de la galerie d’art Templon, qui le représente, pour revenir en 2022 : en France, on ne le connaît guère. Il a surtout été vu dans les années 1990 aux Etats-Unis, en Belgique, en Espagne et en Allemagne. Ca tombe bien : il est passé au noir et blanc, à l’acrylique et au latex. A une approche plus narrative et plus complexe aussi. Car les nouvelles œuvres d’art à vendre de Michael Ray Charles qui se retrouvent aujourd’hui sur le marché de l’art contemporain ne se contentent pas d’être peintes dans un autre style. Elles le sont surtout avec une autre démarche : ses recherches personnelles sur la formation des identités par la culture et sur l’universalisme de la discrimination.

En outre, le contexte politique a changé : avec l’exposition In the Presence of Light, Michael Ray Charles expose les œuvres réalisées en atelier pendant près de 20 ans, l’après « Black Lives Mater ». Il privilégie les figures de Noirs, notamment dans le domaine du spectacle, soulignant son propre questionnement par la fameuse lumière peinte du projecteur. Oui, ses mises en scène sont spectaculaires et dérangeantes. Oui, elles fascinent et questionnent ceux qui ne sont pas familiers de la culture américaine. Oui, elles sont presque trop lisses dans la forme, avec leur latex acrylique brillant, et trop rugueuses dans le fond, avec leurs corps tronqués au service d’un Grand Siècle. Mais tout leur intérêt réside évidemment dans ce paradoxe. Et aussi dans leur perspective historique qui ne s’arrête pas à l’esclavage.

 

La toile intitulée (Forever free) You Are Because I Am, peinte en 2023, représente par exemple un buste en marbre romain d’homme noir surmonté d’un mocassin blanc, et observé par un masque blanc. Cette forme de vanité détournée témoigne de l’intérêt de l’artiste pour la représentation des Noirs dans l’Egypte et la Rome antique. « Beaucoup d’expériences noires ont été supprimées de l’histoire. La présence des Noirs dans l’Antiquité n’est pas enseignée à l’école », dénonce Michael Ray Charles. Qui questionne aussi le fait que de nombreux artistes noirs représentent le corps noir, rappelant combien la représentation de la figure noire a évolué depuis les artistes de la Harlem Renaissance, et citant Jacob Lawrence, William H. Johnson ou Archibald Motley, les premiers à avoir représenté en peinture la culture afro-américaine.

L'œuvre de Michael Ray Charles reste une contribution significative à l'art contemporain américain et aux discussions sur la race et la discrimination. Elle invite toujours à réfléchir sur des questions sociales cruciales, et à remettre en question les stéréotypes et les préjugés qui persistent dans la société américaine. Puisque l’art de Michael Ray Charles de mêler des images qui n’ont jamais été réunies incite à la réflexion et à l'engagement, cela en fait forcément une contribution importante à la conversation sur ces sujets. Mais ça reste un art.

 

Valerie SussetArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Charles’s “(Forever Free) Veni Vidi” (2022).

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