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« Je suis un peintre, pas un artiste »
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Octobre 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition rétrospective « Neo Rauch, le songe de la raison », visible jusqu’au 15 octobre au MO.CO. à Montpellier.

Les étranges visions du peintre Neo Rauch se sont installées au MO.CO. de Montpellier depuis le 8 juillet et le resteront jusqu’au 15 octobre. Et c’est comme si les compositions déroutantes et anxiogènes de cet artiste né en 1960 en Allemagne de l’Est, un an avant que ne s’érige le Mur de Berlin, se faisaient l’écho d’un monde qui tangue à nouveau…

Il s’agit de la première rétrospective en France du peintre allemand qui a participé au repositionnement de la peinture figurative dans les discours artistiques contemporains internationaux, l’un des chefs de file de la nouvelle Ecole de Leipzig. Neo Rauch est désormais considéré comme l’un des plus grands artistes allemands contemporains, un peintre sur lequel plane un parfum de mystère et de légende. Son œuvre universelle et démesurée a profondément influencé une génération de peintres européens, en particulier français, qui l’ont découverte à l’orée des années 2000.

« Qu’est-ce qui cloche avec les œuvres d’art de Neo Rauch ? » interroge Elisabeth Couturier dans son article pour Connaissances des arts. « Ses compositions figuratives, exécutées d’une main de maître, résistent aux plus fines interprétations alors qu’elles montrent une foule d’événements, de figures et de choses. Elles captent irrésistiblement l’attention mais nous entraînent dans des spéculations vertigineuses qui mènent à des impasses. Un certain malaise s’installe. D’où proviennent ses drôles de personnages issus d’époques différentes, s’adonnant à des actions bizarres, apparemment inutiles, sur fond de zones industrielles obsolètes ou de ternes paysages de montagne ? Pourquoi côtoient-ils des animaux à tête d’homme, des coléoptères géants ou des créatures hybrides ? »

Marqué par son apprentissage artistique en Allemagne de l’Est, de l’autre côté du rideau de fer, associé à l’émergence internationale de la nouvelle Ecole de Leipzig, Neo Rauch développe effectivement depuis trente ans une œuvre singulière, d’apparence narrative mais rétive à toute interprétation immédiate et docile. Ses peintures énigmatiques et équivoques exigent le temps long du regard pour approcher toute la complexité de leur composition, leurs jeux d’échelle et l’abondance des symboles. Elles tissent des liens inattendus entre les époques et les lieux, entre l’histoire et le présent, et s’appuient sur de savantes références à la Renaissance italienne, au romantisme allemand ou encore au réalisme socialiste.

Neo Rauch invente une peinture « comme un rêve » qui emboîte les scènes et les allusions, offrant au spectateur autant de réflexions à sens libres et multiples sur l’histoire, l’héritage, le pouvoir de l’art, le rôle de l’artiste ou les impasses de nos sociétés contemporaines.

« Autre anomalie », soulève Elisabeth Couturier dans Connaissance des arts : « star en son pays, bénéficiant d’une réputation mondiale, l’artiste allemand jouit seulement aujourd’hui de sa première exposition monographique en France. « Pour moi », explique Numa Hambursin, aux commandes des musées d’art contemporain de la métropole du Languedoc, « c’est un des plus grands peintres actuels, une référence absolue pour de très nombreux artistes. J’ai en tête cette exposition depuis très longtemps, mais encore fallait-il en avoir les moyens institutionnels. » Et d’ajouter que « nous sommes souvent paralysés devant cette peinture énigmatique et complexe qui ne se regarde pas en quinze secondes. Neo Rauch déconstruit les repères spatiaux, abolit le sens des proportions et superpose différentes narrations. On ne sait jamais sur quel pied danser. »

C’est vraiment le cas de le dire ! Des actions sans rapport les unes aux autres se partagent l’espace des peintures de Rauch, dont les œuvres d’art à vendre sont gérées sur le marché de l’art contemporain depuis 1993 par la galerie d’art EIGEN+ART Leipzig/Berlin, et par David Zwirner à New York depuis 2000. Dans Platz (Square), par exemple, une peinture réalisée en 2000, deux corps d’usines désertées apparaissent en arrière-plan de trois travailleurs sortis tout droit des années 1950. Une sorte d’orang-outan dont on distingue le visage humain se dresse contre un homme armé d’un bâton, une forme étrange pourrait tout aussi bien être peinte ou dressée elle aussi par un autre homme, tandis qu’une femme au premier plan à droite, armée du même bâton, semble maîtriser un être informe à l’allure visqueuse et au visage humain également. Rituel improbable, déconcertant. Tout autant que Die Wandlung (La Transformation), datant de 2019. Une peinture mettant notamment en scène une jongleuse géante avec des ailes, deux insectes monstrueux à tête humaine et un musicien qui pourrait représenter l’artiste lui-même, dont le piano est un clavier d’ordinateur…

« Au jeu des références, dans ce théâtre de l’absurde », écrit la journaliste de Connaissance des arts, « on repère, entre autres, l’imagerie rétrofuturiste des comics des années 1950, des héros de la grande peinture d’Histoire, les ogres ou les sorcières des contes de Grimm, mais aussi les walkyries de Wagner, le cloporte de Kafka, les machines célibataires de Salvator Dali. » Des influences qui ont forcément imprégné le subconscient de Neo Rauch, surtout lorsqu’au début des années 2000 il lui a vraiment laissé le champ libre en affirmant toute sa singularité vis-à-vis des autres géants de la peinture allemande, comme Georg Baselitz, Sigmar Polke, Gerhard Richter ou Anselm Kiefer. « Mais n’interroge-t-il pas, comme eux, l’innommable ? » se demande finalement Elisabeth Couturier.

À hauteur de l’ambition de l’évènement, l’exposition du MO.CO. réunit une centaine d’œuvres de l’artiste dont plus de quarante toiles, souvent de formats impressionnants. Intitulée Le Songe de la raison, d’après la gravure de Goya, El sueño de la razón produce monstruos dont s’est parfois inspiré Neo Rauch, cette rétrospective s’attache à retracer le parcours singulier du peintre du début des années 90 à nos jours. Après une vaste sélection de dessins et d’aquarelles de 1990 à 2021, la rétrospective déploie sur les trois plateaux du MO.CO. un ensemble de toiles majeures empruntées à de nombreux collectionneurs et musées étrangers, jamais exposées dans notre pays auparavant. Elle est accompagnée d’un superbe catalogue, première publication en France sur Neo Rauch, avec notamment un entretien que l’artiste a accordé à Hélène Trespeuch, maître de conférence en histoire de l’art contemporain.

« Je ne prépare pas mes tableaux : pas d’étude, pas d’esquisse, pas de dessin préparatoire », explique le peintre à son interlocutrice. « A mes yeux, cela atténuerait le charme de l’aventure que je veux vivre à la surface de la toile. Habituellement, je suis d’une nature qui a besoin de sécurité, mais là je veux prendre un risque (…). Une chose en entraîne une autre (…). Des créatures veulent manifestement apparaître sur la toile. Je m’efforce de comprendre quels peuvent être les mobiles de leur installation dans le tableau. Mais, en tout cas, elles plaident en faveur du caractère illimité des possibilités picturales. » Et de préciser dans un autre entretien : « Je pourrais me décrire comme médium. En tout cas, je suis un peintre, pas un artiste. Un peintre s’occupe de représenter des choses indescriptibles et inexplicables, des choses que les mots ne peuvent pas entièrement représenter ».

 

Visuel : Herkunft, 2019 [Origine / Origin]. 100 × 300 cm, Huile sur toile / oil on canvas. Droege Art Collection. © Neo Rauch, ADAGP, Paris 2023. Photo: Uwe Walter, Berlin. Courtesy of the artist, Eigen + Art Gallery, Leipzig / Berlin and David Zwirner

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