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L’art rom déconstruit les clichés au Mucem
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Octobre 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Barvalo – Roms, Sinti, Manouches, Gitans, Voyageurs… », à voir jusqu’au 4 septembre au Mucem à Marseille.

Ce qui fascine est souvent ostracisé. Ainsi en est-il de la communauté Rom, cristallisant depuis neuf siècles les stéréotypes les plus tenaces. En 120 ans d’histoire de la Biennale de Venise, c’était la première fois en 2022 qu’une artiste rom, Malgorzata Mirga-Tas, occupait un pavillon national, celui de la Pologne en l’occurrence. L’exposition « Barvalo » au Mucem de Marseille déconstruit les clichés à merveille, dans un récit historique, social et artistique d’une rare originalité. Et pour cause : ce magnifique voyage dans la culture gitane a été conçu d’un point de vue romani. Pour Beaux Arts Magazine, Natacha Wolinski a fait la visite et rappelle à ses lecteurs que « barvalo » est un mot qui signifie « riche », et par extension « fier » en romani. Exactement ce qu’on a envie d’inviter les Roms à être au sortir du Mucem !

Tout au long de l’exposition, le visiteur est accompagné virtuellement par quatre « guides » appartenant à quatre groupes romani distincts. Leurs récits personnels et familiaux entrent en résonance avec une histoire européenne plus large et partagée. Dans chaque partie, les œuvres d’artistes non-romani côtoient celles de sculpteurs, photographes et peintres romani contemporains afin de permettre aux représentants de ces minorités de donner leur vision de neuf siècles de présence en Europe et d’affirmation culturelle. L’exposition réunit 200 œuvres et documents (imprimés, vidéo et sonores) issus de collections publiques et privées françaises et européennes.

« Cette exposition est née grâce à un anthropologue américain, Jonah Steinberg, qui, en visite au Mucem en 2014, s’est étonné de ne rien trouver sur les Roms qui constituent pourtant la plus importante minorité ethnique d’Europe (entre 10 et 12 millions de personnes) », confie Julia Ferloni, conservatrice au Mucem et co-commissaire de l’événement. « Il nous a écrit, et nous avons alors décidé de monter ce projet. D’autant que nous avions dans nos collections beaucoup d’objets liés au monde romani. » Comme le signale la journaliste de Beaux Arts Magazine, « le fonds du Mucem est en effet nourri en grande partie des collections de l’ancien Musée national des arts et traditions populaires, constituées par le muséologue Georges Henri Rivière, lequel s’est beaucoup intéressé à la culture des Roms d’Europe de l’Est. Intérêt renforcé par l’engagement d’André Malraux, historique ministre des affaires culturelles, qui appelait déjà de ses vœux en 1964 la création d’ « un véritable musée de tout ce qui touche les Tsiganes et les populations analogues ». »

Il n’en demeure pas moins qu’ « en plongeant dans notre fonds, nous nous sommes aperçus que beaucoup de pièces étaient indexées de manière raciste », reconnaît Julia Ferloni. « Pour l’exposition, nous avons renommé celles aux intitulés problématiques en optant pour le terme générique « Rom » qui est accepté par toutes les communautés depuis le World Romani Congress de 1971. Mais nous faisons aussi figurer sur les cartels les anciens titres ou appellations qui recourent à des mots comme « Bohémien » ou « Tsigane », car il nous semble nécessaire de garder trace des terminologies successives. Nous sommes en cours de réévaluation pour l’ensemble du fonds, qui compte 900 pièces. Il nous faudra encore plusieurs années de travail. »

Et lorsque la conservatrice évoque des « pièces », elle parle en réalité de véritables œuvres d’art. Ainsi peut-on admirer au fil du parcours de cette galerie d’art hors du commun un marbre antique incomplet du Louvre, représentant la déesse Artémis, mais que le sculpteur Nicolas Cordier a complété au XVIIe siècle par une tête de « gitane » en bronze, sacrifiant au fantasme de la belle Zingarella. Mais aussi un tableau du peintre anglais Edwin Longsden Long, prêté par le Royal Holloway de Londres, qui évoque l’expulsion des Gitans d’Espagne au XVIIe siècle, en pleine période de purge ethnique et religieuse, ou des estampes de Jacques Callot. Certes, on imagine mal comme ayant un pu être une œuvre d’art à vendre la glaçante pancarte de bois qui menaçait les Roms de passage à l’entrée des villes du Saint-Empire romain germanique : seins coupés, fouet, supplice de la roue, pendaison… Ni le rarissime document d’affranchissement de l’esclavage des Roms roumains datant de 1848.

C’est que l’art et l’histoire se mêlent et s’emmêlent constamment dans cette splendide et passionnante exposition. « L’histoire des Romani est indissociable de celle de l’anti-tsiganisme », explique Anna Mirga-Kruszelnicka. « Ils sont arrivés en Europe du Sud au XIIIe siècle, puis sont remontés vers le nord et ont essaimé sur tout le continent. Avec leurs vêtements orientaux, leur culture riche et attrayante, ils ont été favorablement accueillis, d’autant qu’ils étaient de pieux chrétiens effectuant souvent le pèlerinage à Rome. Mais très vite, dans cette période troublée où l’Europe a connu, entre les XIIIe et XVIIe siècles, les invasions mongoles puis ottomanes, ils ont été perçus comme une menace. Depuis, il y a toujours cette ambivalence dans la façon dont on les perçoit : ils sont associés au romantisme du voyage, mais ils sont aussi identifiés comme des populations indisciplinées, n’obéissant à aucune règle. »

Les photos de Valérie Leray montrant les anciens camps d’internement réservés aux « nomades » de 1940 à 1946 à Arles, Montsûrs ou Mulsanne, les portraits de résistants et de combattants, les témoignages vidéo de personnes internées dans des camps… tout ces documents poignants côtoient des œuvres d’art contemporain roms frôlant tout autant l’insoutenable. Comme la toile en noir et blanc du Polonais Marcin Tas, réalisée d’après une photographie prise au sein du service de santé et d’hygiène du troisième Reich. Quant à l’Autrichienne Ceija Stojka, rescapée de trois camps de concentration, elle représente sur de sommaires cartons les exécutions dans la forêt d’Auswitch… Quatre de ses acryliques sont entrées dans les collections du musée. « Le Mucem a déjà acheté une vingtaine d’œuvres d’art créées par des artistes romani du monde entier, déclare Julia Ferloni. Nous allons continuer cette politique d’acquisition. Il nous paraît nécessaire d’actualiser nos collections en acquérant de nouvelles pièces, moins marquées par une vision ancienne et stigmatisante. »

Car si les communautés roms souhaitent voir reconnues les tragédies de l’histoire, elles sont aussi en quête d’un autre type de reconnaissance, plus positive. Et l’exposition « Barvalo – Roms, Sinti, Manouches, Gitans, Voyageurs… », répond justement à cette préoccupation légitime. Elle valorise magnifiquement des œuvres d’art contemporain, mais aussi des personnalités du monde rom présentées en fin de parcours, dont les portraits sont dessinés par l’artiste Emanuel Barica. La poétesse Papusza, le guitariste Django Reinhardt, l’actrice Alina Serban, l’activiste politique Helios Gomez… tous incarnent la diversité et le dynamisme d’une communauté.

L’artiste Gabi Jimenez aura le mot de la fin avec son « musée du gadjo » installé au cœur de l’exposition, comme un miroir tendu au visiteur non Rom. « Cette installation questionne le rôle du musée de société dans la transmission d’une image stéréotypée et essentialisante de l’autre (…) Je suis influencé par ma culture mais par des milliers d’autres choses aussi. Je n’ai pas envie d’être réduit à ma seule identité gitane. »

 

Illustration : Gabi Jimenez, Caravanes sous deux cyprès, 2001. Huile sur toile © Gabi Jimenez, photo : Mucem / Marianne Kuhn

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