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Lumière sur le mystérieux esclave de Velazquez
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Août 2023 | Temps de lecture : 22 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Juan de Pareja – Afro-Hispanic Painter » visible au Met à New York jusqu’au 16 juillet 2023.

Son visage est familier, ayant traversé les siècles grâce à une huile sur toile dans l’aura de Diego Velazquez (1599-1660), peintre de la couronne espagnole. Mais les zones d’ombre tissent encore son histoire. Le peintre Juan de Pareja n’est en effet pas seulement le sujet d’un célébrissime portrait de Velásquez : il fut l’esclave du maître espagnol pendant vingt ans, avant de se faire un nom en tant qu’homme libre et peintre indépendant. Son incroyable parcours fait, pour la première fois, l’objet d’une exposition au Metropolitan Museum de New York. Et cette exposition offre un regard sans précédent sur la vie et les réalisations artistiques du peintre afro-hispanique du XVIIe siècle Juan de Pareja (vers 1608-1670).

Largement connu aujourd'hui comme le sujet du portrait emblématique peint par Diego Velázquez qui avait fait sensation à Rome en 1650, et qui avait été acquis par le Met en 1971 pour 5,5 millions de dollars, Pareja est né à Antequera, en Espagne, d’une esclave et vraisemblablement d’un esclavagiste. Il a été asservi dans l'atelier de Velázquez pendant plus de deux décennies avant de devenir un artiste à part entière. Cette présentation est la première à tenter de raconter son histoire, mais aussi à examiner les manières dont le travail artisanal asservi et une société multiraciale sont inextricablement liés à l'art et à la culture matérielle de « l'Âge d'or » espagnol. Car on les a trop souvent oubliés, ces talentueux esclaves employés dans les ateliers de peintres, à reproduire à tour de bras des œuvres d’art à vendre au profit de leurs maîtres !

Les représentations des populations noires et morisques (musulmans convertis de force au catholicisme au XVIe siècle) d'Espagne, dans les œuvres de Francisco de Zurbarán, Bartolomé Esteban Murillo et Velázquez rejoignent des œuvres qui retracent l'omniprésence du travail asservi à travers les médias, de la sculpture à l'argent. Le portrait du Met, exécuté par Velázquez à Rome en 1650, est contextualisé par ses autres portraits de cette période et le document original par lequel Pareja a été libéré à son retour à Madrid. L'exposition se termine par le premier rassemblement de peintures rarement vues de Pareja, certaines d'une ampleur énorme, qui s'engagent avec les canons de l'art occidental tout en se répercutant dans toute la diaspora africaine.

Arturo Schomburg (1874-1938), collectionneur et érudit de la Renaissance de Harlem, a joué un rôle essentiel dans la récupération de l'œuvre de Pareja et sert de fil conducteur reliant l'Espagne du XVIIe siècle au New York du XXe siècle, offrant une lentille à travers laquelle voir les multiples histoires qui ont été écrites sur Pareja. Car Juan de Pareja a longtemps été cantonné par les historiens de l’art au rôle de peintre resté dans l’ombre de son « maître », qu’il aurait cherché à imiter sans jamais l’égaler, « tandis que quantité de mythes et anecdotes écrivaient le roman de l’ancien esclave au destin singulier », souligne Daphné Bétard dans son article pour le numéro de Beaux Arts Magazine du mois de juin 2023. « La rétrospective que consacre aujourd’hui le Met à Juan de Pareja n’est donc que le début d’une histoire qui reste à écrire », comme le précisent les commissaires de l’exposition David Pullins, conservateur au Met, et Vanessa K. Valdés, écrivaine et professeure au City College de New York.

« Même si les toiles du génie du Siècle d’or espagnol semblent aujourd’hui parler d’altérité, avec sa manière de traiter pareillement un esclave et un pape, une princesse et un mendiant, celui-ci pratiquait l’esclavage, comme l’ensemble de sa famille », fait remarquer la journaliste de Beaux Arts Magazine. Effectivement, dès les années 1630, le nom de Pareja est mentionné au sein de l’atelier madrilène de Vélazquez. Et l’homme ne se contentait pas de broyer les pigments ni de préparer les toiles, comme la plupart des autres esclaves d’artistes peintres. Il travaillait avec les assistants du maître à des travaux de copie, beaucoup plus valorisants. A égalité avec par exemple Juan Bautista Martinez del Mazo, le propre gendre de Vélazquez. Certes, le peintre du roi devait répondre à de nombreuses commandes de tableaux, et la copie était alors monnaie courante. Copiste d’atelier était un métier à part entière. Comme si aujourd’hui l’œuvre d’art originale d’un artiste contemporain était présentée en galerie d’art ou sur un catalogue du marché de l’art, et que les collectionneurs ou simples amateurs d’art pouvaient en acheter la reproduction à leur guise, peinte en copie conforme par d’autres artistes contemporains restant anonymes.

Il n’empêche que le rôle de Pareja est étrangement si important aux yeux de Vélazquez que c’est lui, l’esclave, que le maître emmène dans son voyage en Italie, financé par la couronne d’Espagne pour acquérir des œuvres d’art à vendre et des moulages en plâtre de sculptures antiques. « C’est pour Pareja une sorte de grand tour initiatique qui commence à Gênes en janvier 1649, se poursuit à Milan, Modène, Bologne, Florence et Parme avant de se terminer à Rome en mai », écrit Daphné Bétard. « Puis Vélazquez exécute le fameux portrait qui éblouit toute la ville et met en lumière l’assistant anonyme qui a, lui aussi, épousé la cause de la peinture, cette discipline que Vélazquez veut voir reconnaître à l’égal des arts les plus nobles. Est-ce l’ultime raison pour laquelle il finit par lui accorder sa liberté ? Quels étaient les rapports entre les deux hommes ? Pourquoi l’avoir choisi, lui, Pareja, pour le voyage en Italie ? Les documents juridiques et administratifs coupent court à toute élucubration. Mais à son retour à Madrid, après les quatre années qu’il doit encore à Vélazquez en tant qu’esclave, Pareja passe enfin du statut de copiste d’atelier à celui d’artiste indépendant. »

Et contrairement à ce que firent courir les mauvaises langues de l’histoire de l’art, Juan de Pareja ne fit pas du « sous-Vélazquez ». Il s’inscrivit dans le courant d’art contemporain de son époque, cette Ecole de Madrid portée par les peintres de cour Francisco Rizi, Claudio Coello et Juan Carreno de Miranda. « Une sorte de nouvelle version du baroque espagnol avec des compositions exubérantes et rythmées, une palette lumineuse, réinterprétant la peinture vénitienne d’un Titien et d’un Véronèse, avec aussi une petite touche flamande à la Rubens », décrit la journaliste de Beaux Arts Magazine. « Pareja soigne les textures des étoffes, les contrastes des expressions, les mouvements des corps. Il porte une attention particulière aux paysages des arrière-plans, qu’il élabore savamment. Dans un tableau comme La Fuite en Egypte (1658), on est bien loin de la sobriété de Velazquez avec ces arbres tourmentés par le vent, ces reflets blancs tels des éclairs de lumière, les anges et chérubins roses planant dans les airs ! »

 

Illustration : The Calling of Saint Matthew
Juan de Pareja (Spanish, Antequera 1606–1670 Madrid)

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