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Les voix et les voies de l’abstraction
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Août 2023 | Temps de lecture : 22 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Hilma af Klint & Piet Mondrian – Forms of Life » visible à Londres jusqu’au 3 septembre.

Encore une femme oubliée par l’histoire de l’art me direz-vous ! Aviez-vous déjà entendu parler de la peintre suédoise Hilma af Klint avant que la Tate Modern n’orchestre l’exposition « Hilma af Klint & Piet Mondrian – Forms of Life », visible jusqu’au 3 septembre à Londres ? Peut-être à l’occasion de l’exposition que lui a consacrée en 2018 le Guggenheim Museum de New York ? Ou de celle du Centre Pompidou-Metz en 2017, « Jardin infini », qui lui faisait une place d’honneur ? A moins que vous ne vous souveniez de l’exposition « Traces du sacré » qui l’avait fait découvrir au public parisien en 2008 ? En tout cas, Hilma af Klint est aujourd’hui seulement une star de l’art moderne, alors qu’elle est née le 26 octobre 1862 à Stockholm dans une famille d’officiers de marine, qu’elle est entrée à 20 ans à l’Académie royale des beaux-arts, et qu’elle est morte le 21 octobre 1944 à Danderyd. Cette théosophe et pionnière de l’art abstrait, avant même Kandinsky ou Malevitch, avait en réalité elle-même souhaité que son œuvre abstraite ne soit révélée que vingt ans après sa mort, le stipulant très formellement dans son testament. Aucune oeuvre d’art à vendre dans aucune galerie d’art pendant donc au moins deux décennies... Pas l’idéal évidemment pour passer à la postérité sur le marché de l’art ! Sachant que même de son vivant, très peu d’initiés avaient pu voir le coeur de son travail : Hilma af Klint ne montrait à ses contemporains que ses paysages les plus anodins et ses bouquets les plus naïfs. Or, l’essentiel est ailleurs…

Le problème, c’est que ses dernières volontés ont finalement été si bien respectées qu’il faudra attendre 1986 pour que le Los Angeles County Museum of Art révèle enfin au grand public l’œuvre de Hilma af Klint à travers l’exposition « The Spiritual in Art – Abstract Painting 1890-1985 ». Car c’est bien cette fameuse spiritualité, notamment née de sa passion pour les théories de Rudolf Steiner, qui avait fait refuser par le Moderna Museet de Stockholm le don, en 1970, par le neveu et légataire de l’artiste, de plus de 1300 œuvres et d’une centaine de carnets… Pontus Hulten, alors directeur du musée suédois et fervent soutien des avant-gardes, avait jugé trop ésotérique l’œuvre de Hilma af Klint.

« Alors vraiment, l’abstraction serait née sur une petite île de Suède ? Voilà qui bouscule bien des certitudes et des chronologies… » relève Emmanuelle Lequeux dans son article pour Beaux Arts magazine du mois de juin. « Et pourtant ! En 1905, Kandinsky, Mondrian, Kupka et Malevitch n’ont pas encore ouvert la voie royale, ils en sont à leurs premiers pas sur le chemin qui les éloignent de la figuration. Pendant ce temps, une inconnue ouvre grand la porte : des forces invisibles lui ont donné la clé. Sur ses toiles, elle retranscrit leurs mélodies de formes et leurs géométries. Puis adviennent des décennies de silence. Il faudra attendre 1986 pour que son œuvre sorte pour la première fois du grenier familial. Hilma af Klint entre enfin dans l’histoire de l’art, pionnière parmi les pionniers. Quelque 1300 peintures et dessins, 124 carnets de notes sortent de leur nuit : ils irradient. »

Après ses cinq ans de formation académique, l’Académie royale des beaux-arts met en 1887 un atelier à la disposition d’Hilma af Klint, qui lui permettra notamment de découvrir les expositions d’Edvard Munch ou d’Ernst Josephson proposées par l’institution. Dans cet atelier, elle peint des paysages et des portraits comme autant d’œuvres d’art à vendre dans un style naturaliste assez conventionnel. Jusqu’à ce que sa jeune sœur meure, et qu’elle-même s’engouffre, comme son concitoyen peintre et écrivain August Strindberg, dans la brèche du spiritisme alors très en vogue dans toute l’Europe du Nord. Avec le collectif féminin qu’elle forme alors, elles se retrouvent à cinq artistes à convoquer les morts, pratiquant sous leur dictée l’écriture et le dessin automatiques. Nous sommes trente ans avant le surréalisme. « C’est de cette époque que datent les premiers dessins aux élans botaniques d’Hilma af Klint, inspirés de ses étés passés au cœur de la nature, dans un manoir près du lac Mälaren. Sous son pinceau, apparaissent les symboles (l’escargot, le lys) qui annoncent ses toiles ultérieures », peut-on lire sous la plume de la journaliste de Beaux Arts Magazine.

Et puis, une nuit, Hilma af Klint entend une voix. Celle d’un esprit qui lui recommande avec intensité d’approfondir son dialogue avec les entités de l’au-delà... Il se prénomme Amaliel. Nous sommes en 1905. Amaliel confie une mission à Hilma : celle de réaliser des « peintures pour le Temple », en peignant les aspects immortels de l’homme sur un plan astral. Ainsi naissent les premiers tableaux abstraits sous le titre Chaos primordial (Urchaos) : des formes biomorphiques, des mots cryptés, des signes indéchiffrables… Urchaos, c’est le chaos originel, celui duquel tout naît. C’est la première série abstraite dans laquelle Hilma se lance. Ses premiers pas dans l’abstraction.

Evidemment, Hilma af Klint n’est pas vierge de toute influence. Comme nous le précisions un peu plus haut, grâce à son atelier au cœur de l’institution artistique de Stockholm elle a vu les œuvres d’art de Munch, et celles de Josephson, dont les dessins qu’il a exécutés au cours de crises schizophréniques sur l’île de Bréhat. « Dans son esprit », écrit la journaliste de Beaux Arts Magazine, « ils font écho, sans doute, à ses propres expériences médiumniques. Elle se passionne aussi pour la doctrine ésotérique de la théosophie, sous l’influence du mouvement créé par la Russe Helena Blavatsky (1831-1891), jusqu’à découvrir une autre école de pensée : le philosophe Rudolf Steiner est alors très actif en Suède, où il présente lors de nombreuses sessions sa théorie de l’anthroposophie, élaborée dans les années 1910. Moins orientale, plus christique, celle-ci séduit davantage Hilma af Klint. Le gourou a-t-il visité son atelier en 1908 ? C’est possible. Ils se rencontrent en tout cas souvent dans les années qui suivent. »

Ainsi, sans jamais s’être connus, chacun de leur côté et quasiment au même moment, l’une en Suède l’autre au Pays-Bas, Hilma af Klint et Piet Mondrian ont tous deux ouvert la voie vers l’abstraction en s’inspirant des formes de la nature, des avancées scientifiques, de la spiritualité et de la philosophie. D’où l’exposition qui réunit actuellement leurs œuvres d’art à la Tate Modern.

 

Illustrations :

À gauche : Hilma af Klint The Ten Largest, Group IV No.2, Childhood 1907 Hilma af Klint Foundation
À droite : Piet Mondrian Composition with Red, Black, Yellow, Blue and Grey 1921 Kunstmuseum Den Haag

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