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Que justice soit rendue à Rombouts !
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Juin 2023 | Temps de lecture : 23 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’œuvre caravagesque de Theodoor Rombouts et de l’exposition monographique qui lui a été consacrée au musée des beaux-arts de Gand.

« Les dieux de la peinture sont parfois cruels. Il faut en effet être retors pour faire naître un brillant artiste dans la même ville et à la même époque que Rubens et Van Dyck. » Comme l’écrit Isabelle Manca-Kunert pour le magazine L’Oeil dans son numéro du mois d’avril, « difficile, même pour le peintre le plus talentueux, de ne pas voir son étoile éclipsée par ces deux géants, a fortiori dans une tradition historiographique qui a longtemps privilégié les récits biographiques et hagiographiques. Ainsi, en dehors des amateurs les plus aguerris de la peinture du XVIIe siècle, qui connaît encore l’oeuvre de Theodoor Rombouts ? » Il n’empêche que de son vivant, le principal représentant du caravagisme flamand n’avait aucune difficulté à trouver preneurs pour ses œuvres d’art à vendre ! Van Dyck lui-même louait son talent de « peintre des figures humaines anversoises ». Mais même si sa peinture fut hautement appréciée durant sa courte vie, son héritage artistique a rapidement été oublié après sa mort précoce.

 

Il aura donc fallu cette grande exposition venant de s’achever au musée des beaux-arts de Gand, en Belgique, pour que Theodoor Rombouts revienne (un peu) dans le feu de l’actualité. « Ce manque de notoriété n’est au demeurant pas nouveau, mais il survient rapidement après sa disparition en 1637, à l’âge de 40 ans à peine », note la journaliste. Car même s’il est indéniablement moins connu que Rubens ou Van Dyck, effectivement, ses oeuvres n’en demeurent pas moins majeures dans l’art flamand. En faire la démonstration fut donc l’ambition que s’était donnée le musée des beaux arts de Gand (MSK) à travers l’exposition « Theodoor Rombouts, virtuose du caravagisme flamand », la première exposition monographique qui lui fut jamais consacrée, et qui s’est tenue du 21 janvier au 23 avril 2023. Une belle manière de fêter le 225e anniversaire du musée.

 

Fut enfin offerte une vue d’ensemble de l’artiste, à la fois surprenante et nouvelle. Pour la première fois, le visiteur a pu découvrir l’essentiel du travail du peintre, en dialogue avec des œuvres d’éminents contemporains comme Bartolomeo Manfredi (1582-1622), Valentin de Boulogne (1591-1632) et Hendrick ter Brugghen (1588-1629). Grâce à une disposition thématique et à de nombreux prêts prestigieux, l’exposition a abordé les multiples aspects de la peinture de Rombouts, nous rapprochant ainsi de l’homme qui se cache derrière l’œuvre : un artiste intelligent, qui se laissait volontiers séduire par le talent de ses collègues, ce qui ne l’a pas empêché de développer sa propre identité artistique parfaitement reconnaissable, tant pour sa clientèle de l’époque que pour nous aujourd’hui.

 

Le caravagisme s’est notamment illustré en Flandre à Anvers où beaucoup d’artistes, dont Theodoor Rombouts, ont mis en valeur ce courant pictural issu de l’œuvre du Caravage, caractérisé par le réalisme des représentations et la vigueur des contrastes d’ombre et de lumière. Né à Anvers en 1597, Theodoor Rombouts peint principalement des œuvres profanes ainsi que quelques retables, répondant à de nombreuses commandes civiles. Le marché de l’art contemporain de l’époque est très friand de sa peinture. Ses scènes de genre monumentales peintes sur des toiles horizontales font sensation, dans la lignée, au moins en ce qui concerne les premières, de celles de son maître Abraham Janssens auprès de qui il  a commencé à se former dès 11 ans. Ce dernier fut en effet l’un des premiers artistes flamands à peindre dans un style influencé par le Caravage combiné à de fortes tendances classicistes. Rombouts plie ensuite bagage, direction l’Italie, la Mecque de l’art moderne, et particulièrement Rome, qui laissera sur son œuvre l’empreinte marquante du grand maître italien du baroque, avec lequel il partage le goût du contraste et du clair-obscur.

 

« Fasciné par Caravage et son plus illustre suiveur Manfredi, Rombouts embrasse sans réserve la révolution esthétique du clair-obscur et du naturalisme qui bouleverse l’Europe entière », écrit Isabelle Manca-Kunert. « S’il adopte le style et les thèmes qui font florès, il ne se cantonne toutefois pas à des copies serviles, mais invente une patte personnelle intégrant des accents typiquement rubéniens. Il se distingue surtout par sa virtuosité dans les natures mortes, qui deviennent sa marque de fabrique. Tout comme la palette éminemment personnelle qu’il développe, faisant la part belle à des teintes éclatantes. Ses personnages arborent ainsi de somptueux costumes rouges, violets ou encore bleus. Des détails qui deviennent la signature de ce fils de tailleur flamand dont la clientèle s’arrache alors les toiles… »

 

Rombouts est le premier peintre flamand qui, comme Gerrit van Honthorst dans la République néerlandaise, a peint des musiciens uniques, hommes ou femmes. Dans Le joueur de luth par exemple, une toile peinte en 1625 et qui avait été prêtée par le musée d’art de Philadelphie pour l’exposition de Gand, on reste fasciné devant la représentation fidèles des instruments et des objets, à l’image de la chope et des livres de musique qui occupent ici le premier plan. Ce tableau à vendre a eu tellement de succès en son temps que Rombouts en a réalisé au moins une douzaine de versions ! Il a souvent collaboré aussi avec d’autres maîtres flamands comme Adriaen van Utrecht, pour lequel il rajoute des personnages à ses compositions de nature morte.

©Le Joueur de luth, Michelangelo Merisi, dit Caravage, 1595-1596 - Saint-Pétersbourg, The State Hermitage Museum/P. Demidov

Le Joueur de luth, Michelangelo Merisi, dit Caravage

A propos de personnages, ceux de son Allégorie des cinq sens font tout le succès de la fameuse huile sur toile qu’il a peinte en 1632. Le musée de Gand ne s’y est pas trompé quand il a acheté l’œuvre d’art dès 1860 : elle est devenue l’une des préférées du public ! Il faut dire qu’elle est vraiment d’une originalité sans nom pour une œuvre d’art ancienne : le peintre a en effet remplacé les allégories féminines par des personnages masculins hauts en couleur, dont les attributs illustrent chacun des sens et se veulent porteurs d’une signification morale. Ainsi Theodoor Rombouts, pourtant quasi inconnu aujourd’hui, a-t-il carrément révolutionné le genre allégorique !

 

N’en étant pas à une facétie près, il se dit aussi que le peintre se serait même portraituré sous les traits du charlatan de L’Arracheur de dents, une huile sur toile de 1628 appartenant également aux collections permanentes du musée de Gand, reprenant à la façon Rombouts le fameux sujet de l’arracheur de dents immortalisé par Le Caravage. La nature violente et sanguinolente de l’épisode est donc ici gommée pour donner un caractère plus anecdotique et moins sombre à cette superbe nature morte composée d’instruments de torture et de dents malades. Car comme son illustre maître italien, le Flamand fait son miel des scènes populaires et triviales. S’offrant donc même peut-être au détour de celle-ci un savoureux autoportrait !

 

Illustration :

©Le Joueur de luth, Michelangelo Merisi, dit Caravage, 1595-1596 - Saint-Pétersbourg, The State Hermitage Museum/P. Demidov

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