Remonter
L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
Current locale language
Warhol/Basquiat : le choc des titans
warholbasquiat-le-choc-des-titans - ARTACTIF
Juin 2023 | Temps de lecture : 21 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Basquiat, Warhol, à quatre mains », visible à la Fondation Louis Vuitton à Paris jusqu’au 28 août.

Il aura fallu attendre 25 ans pour que les œuvres d’art réalisées en commun par Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat retiennent enfin l’attention du marché de l’art ! Incroyable mais vrai : leur exposition de 1985 à la galerie d’art de Tony Shafrazi à New York avait fait un gros flop ! Non seulement leurs œuvres d’art à vendre n’avaient pas trouvé preneurs, mais en plus la critique les avait éreintées. Aussi bien dans le New York Times que dans le New York Times Magazine, les journalistes n’avaient vu en Basquiat qu’une sorte de mascotte vampirisée par Warhol… Leur amitié ne se relèvera jamais de ce K.O.

Les deux artistes avaient pourtant pendant deux ans été complètement transportés par leur enthousiasme créatif, se retrouvant chaque jour à la Factory pour travailler ensemble de 1983 à 1985. Ils avaient ainsi donné naissance à plus de cent soixante toiles, dont de très grands formats, et le marchand d’art suisse Bruno Bischofberger, qui leur avait permis de se rencontrer dès 1982, avait immédiatement souhaité organiser cette exposition en découvrant l’ampleur et le génie de ce travail à quatre mains. Avec une affiche montrant Warhol et Basquiat en boxeurs prêts à s’affronter sur le ring de l’art, tant le visionnaire y voyait déjà le choc des titans. Las. Si ce n’est quelques présentations timides dans des galeries d’art, le corpus de ces incroyables œuvres de collaboration restera ensuite dans l’ombre jusqu’à ce qu’en 2011 le musée d’art moderne du Danemark ne le remette à l’honneur. L’historien d’art et conservateur autrichien Dieter Buchhart était déjà co-commissaire de l’exposition danoise. Comme il l’est de celle qui est aujourd’hui présentée à la Fondation Louis Vuitton à Paris, dont l’ampleur dépasse tout ce qui a été fait précédemment autour de cette collaboration unique dans l’histoire de l’art. Pas moins d’une centaine d’œuvres, la plupart n’ayant jamais été présentées en Europe, sont actuellement réunies sur les cimaises de la fondation d’entreprise. Et c’est l’événement de l’année.

Ils avaient pourtant eu bien du mal à se rencontrer, ces deux-là. Bien entendu, le jeune Basquiat idolâtrait Warhol, comme tout le monde à l’époque, et il avait même réussi à lui vendre un de ses collages au format carte postale en 1979. Mais la mayonnaise n’avait pas pris. L’underground noir faisait encore peur au pape du Pop art, dont l’aura commençait d’ailleurs à faiblir. Au point que la question se pose sérieusement avec le recul de savoir lequel a finalement vraiment eu besoin de l’autre ! Le hip hop et le rap scandaient les coups de pinceau de Basquiat qui couvrait à l’époque les murs de SoHo de ses graffitis en compagnie d’Al Diaz. Son énergie débordait quand celle de la star s’essoufflait. Mais il faudra que leur galeriste commun les présente pour que le déclic se fasse.

« A l’automne de 1982, j’ai emmené Jean-Michel chez Andy Warhol à la Factory », se souvient Bruno Bischofberger. « J’avais un accord ferme de Warhol, qui m’autorisait à proposer pour Interview – un magazine que nous avions fondé ensemble en 1969 – des articles sur de jeunes artistes qui me paraissaient intéressants. (…) Warhol a photographié Basquiat avec son Polaroid spécial portrait. Jean-Michel lui a demandé s’il pouvait également le photographier ; il a pris quelques clichés et m’a demandé de prendre des photos de lui avec Warhol. Nous devions ensuite aller à côté pour le traditionnel buffet froid, mais Basquiat n’a pas souhaité rester (…). Nous avions à peine terminé le déjeuner (…) que l’assistant de Basquiat est apparu avec un double portrait de Warhol et Basquiat sur une toile de 150 x 150 cm, encore fraîche : on y voyait Andy, à gauche, dans sa pose typique, le menton posé sur sa main, et Basquiat, à droite, les cheveux en bataille, tels qu’il les avait à l’époque. Le tableau s’intitulait Dos Cabezas. »

Andy Warhol a 55 ans et Jean-Michel Basquiat 23 ans lorsque le marchand d’art et galeriste suisse les réunit à nouveau à l’automne 1983, avec également Francesco Clemente, alors 31 ans, artiste peintre italien qu’il représente aussi sur le marché de l’art. Son idée est celle de leur faire réaliser une sorte de cadavre exquis, en faisant tourner les toiles entre leurs trois ateliers, chacun répondant à la proposition du précédent. Et c’est à ce moment-là que Warhol et Basquiat vont parallèlement commencer un autre travail ensemble, à quatre mains et en toute indépendance de ce projet initial si l’on en croit l’article de Véronique Bouruet-Auberto paru dans l’exemplaire du mois d’avril de Connaissance des arts. « Il (Warhol) commençait la plupart des toiles. Il mettait quelque chose de très concret ou reconnaissable comme un titre de journal ou un logo et ensuite je le défigurais en quelque sorte et je retravaillais dessus », explique Basquiat en 1985. « Une véritable collaboration s’engage au sens où chacun reste fidèle à lui-même et réagit à la proposition de l’autre en une sorte de dialogue permanent », souligne Dieter Buchhart.

Et c’est bien ce qui est passionnant dans cette exposition. Ressentir devant chaque tableau l’énergie mêlée de deux hommes que tout opposait. Leur génération, leur milieu, leur style de peinture, leur répertoire iconographique, l’étape de leur évolution personnelle, leur physique… tout s’est superposé, enchevêtré, et leur apport a clairement été mutuel, même si cela n’a pas été compris à l’époque. En plus de lui redonner le goût de peindre, Basquiat a notamment ouvert Warhol aux préoccupations politiques de son temps, jusqu’à en faire un artiste engagé… et ça, ce n’est pas rien ! « Le radicalisme de la collaboration Warhol/Basquiat n’a toujours pas été digéré par le monde de la culture et de l’art », observe Tony Shafrazi, l’artiste et galeriste américain d’origine iranienne qui avait exposé le résultat de ce travail impressionnant en 1985. Quand on pense que les œuvres d’art à vendre dans sa galerie de New York n’avait pas du tout été prisées, alors qu’on n’ose même pas imaginer la cote qu’elles doivent avoir aujourd’hui sur le marché de l’art, on mesure le recul qu’il faut parfois prendre pour apprécier les œuvres d’art à leur juste valeur…

 

Illustration : Michael Halsband, Andy Warhol and Jean-Michel Basquiat #143 New York City, July 10, 1985
© Michael Halsband

Discutons !
Personne n'a encore eu l'audace de commenter cet article ! Serez-vous le premier ?
Participer à la discussion
Exemple : Galerie spécialisée en Pop Art