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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Toute la lumière sur Anna-Eva Bergman
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Juin 2023 | Temps de lecture : 23 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Anna-Eva Bergman – Voyage vers l’intérieur » à voir jusqu’au 16 juillet 2023 au musée d’Art moderne de Paris.

Dans son article paru dans le numéro d’avril de Beaux Arts Magazine, Daphné Bétard surnomme Anna-Eva Bergman « l’alchimiste aux mains d’or ». Cette artiste peintre née à Stockholm en 1909, morte à Grasse en 1987, « qui a élaboré une œuvre profonde et poétique en explorant les voies de l’abstraction, guidée par la lumière surnaturelle du soleil de minuit de son pays, la Norvège » a en effet longtemps été éclipsée par son illustre mari Hans Hartung (1904-1989), l’un des plus grands représentants de l’art abstrait, qui lui a de surcroît survécu. Le musée d’Art moderne de Paris met enfin tout spécialement en lumière l’œuvre lunaire et poétique d’Anna-Eva Bergman, à travers une riche rétrospective qui rassemble quelque deux cents peintures, gravures et dessins racontant le parcours de cette artiste en quête d’absolu, qui peignait à la feuille d’or, d’argent ou de cuivre des paysages abstraits envoûtants.

Malgré, ou à cause, d’une enfance marquée par la peur des brimades après que sa mère célibataire l’ait confiée très tôt à sa tante et à son oncle militaire pour pouvoir travailler, Anna-Eva Bergman est remarquée dès son plus jeune âge par le don qu’elle déploie dans le dessin. Le lieutenant autoritaire se détend effectivement en peignant, et la petite-fille trouve son seul réconfort dans cette pratique. Ce qui lui permettra dès qu’elle sera autorisée à rejoindre sa mère à Oslo de fréquenter l’Académie des Arts Appliquées avant de poursuivre sa formation à l’École des Beaux-Arts d’Oslo à 18 ans. « L’art académique des peintres norvégiens l’ennuie », constate la journaliste de Beaux Arts Magazine. « Elle leur préfère Klimt, Munch, dont elle imite le style symboliste, et Turner pour sa facture fougueuse. »

Elle continue son apprentissage en suivant des cours à Vienne où elle a suivi sa mère, à la Kunstgewerbeschule auprès du professeur Eugen Steinhof, lequel l’enchante avec ses méthodes atypiques. Proche du Bauhaus, Steinhof pousse ses étudiants vers une peinture non-figurative et les incite à trouver leur propre voie dans une totale liberté d’inspiration. « Anna-Eva s’y emploie tout en étant rattrapée par des crises de colites aigües qui la feront souffrir toute sa vie et l’obligeront à être hospitalisée régulièrement, comme lors de ce séjour à Vienne », rappelle Daphné Bétard. La voilà donc ensuite partie reprendre des forces sur la Côte d’Azur avant d’aller s’installer à Paris et de devenir cette fois l’élève du peintre et graveur André Lhote. C’est là, à l’occasion d’un bal donné par un ami, que son chemin croise celui d’Hans Hartung. Coup de foudre et mariage dans la foulée. Le couple s’installe à Dresde et multiplie les voyages.

Bien qu’elle expose à la Galerie Heinrich Kühl de Dresde et à Oslo ses œuvres en 1931, son mariage avec Hans Hartung marque une rupture dans sa carrière, car après avoir voyagé en Europe, à son retour en Norvège en 1939, Anna-Eva abandonne la peinture, du fait de sa santé, pour le journalisme et l’illustration. « Pour vivre, elle vend des dessins d’illustration aux quotidiens viennois, où d’un coup de crayon acide elle croque les travers de ses contemporains, dans un style proche de George Grosz et la Nouvelle Objectivité », rapporte la journaliste. « Sur son chevalet apparaissent de premiers paysages inspirés de ses voyages dans le Sud de la France mais aussi dans les fjords de Norvège. La puissance de la roche, le vertige des côtes escarpées, l’éblouissement de la lumière sur l’eau glacée font vibrer en elle un sentiment nouveau. Il faudra patienter une quinzaine d’années pour qu’il se révèle pleinement sur la toile. »

Si les premières œuvres d’art à vendre d’Anna-Eva Bergman sont très marquées par le réalisme magique des artistes expressionnistes de l’école allemande de la Nouvelle Objectivité, ses peintures et aquarelles montrent son intérêt pour le nombre d’or ou l’architecture et annoncent les formes simples, construites, de son travail futur. Son retour à Oslo et à la peinture en 1940, deux ans après son divorce avec Hans Hartung qui la voulait toujours à ses côtés sans comprendre son désir d’autonomie, souligne encore davantage cette simplification ; elle s’attache à travers une expression dépouillée à retranscrire les paysages de son pays natal. C’est ainsi qu’associant l’utilisation de tons sombres et de feuilles d’argent et d’or, qu’elle utilise comme des couches picturales, son art tend vers l’abstraction. Cette utilisation de feuilles de métal, véritable signature de l’artiste est en réalité une volonté d’évoquer la lumière tout en produisant une illusion de profondeur et de relief. Son art évolue vers davantage d’abstraction et ce qui était à l’origine des fjords et des arbres devient des montagnes, des bateaux et des horizons. Les horizons qui sont figurés par des motifs géométriques se détachant sur le fond de la toile, signifient pour l’artiste l’éternité, l’infini, le par-delà du connu, et la fascineront jusqu’à la fin.

En 1944 elle épouse un ingénieur et peintre amateur, Frithjof Lange, le fils de son ami l’architecte Christian Lange. Lequel joue un rôle déterminant dans sa carrière. Restaurateur de cathédrales, c’est en effet lui qui va initier Anna-Eva Bergman à la technique de la feuille métallique d’or, d’argent, d’étain, de bronze, d’aluminium ou de cuivre, et réveiller son intérêt pour le nombre d’or. Au lendemain de la guerre, elle est prête. « Il nous faut quitter notre vieux monde pour entrer dans le nouveau. C’est un saut périlleux. L’art abstrait », note-t-elle dans ses carnets. En 1950, l’artiste réalise une nouvelle exposition à la galerie d’art Blomqvist d’Oslo. Mais c’est avec son complice de toujours qu’elle a envie de partager cette exaltation, cet « état de félicité intranquille ». Anna-Eva Bergman et Hans Hartung reprennent donc une correspondance pour échanger sur tout ça. Et il veut la revoir. Accaparée par son art, cette fois elle prend son temps.

Elle retourne à Paris en 1952… et retombe dans les bras d’Hans Hartung. Lui aussi s’était remarié, avec l’artiste Roberta Gonzalez, fille du sculpteur Julio Gonzalez. Tant pis. Ils divorcent tous les deux de leurs conjoints respectifs et se remarient ensemble. Le succès de Hans est devenu international, celui d’Anna-Eva est resté plus modeste. « Mais lorsqu’elle révèle chez Louis Carré, en mars 1955, ses tableaux changeant de matière selon la luminosité, c’est un éblouissement », écrit Daphné Bétard. « Elle intègre ensuite la prestigieuse Galerie de France où les peintres Pierre Soulages et Michel Seuphor viennent admirer ses œuvres. » Le couple jettera son dévolu sur Antibes pour ériger sa maison-atelier. Ils s’y installeront en 1972 après douze ans de travaux. Et ils y disposeront chacun de leur propre atelier. Depuis 1994, ce lieu paradisiaque est une fondation garante de leurs œuvres respectives. Anna-Eva Bergman a eu du mal, mais elle aura malgré tout réussi à gagner son autonomie artistique et sa propre renommée.

 

Illustration : © Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023. Photographie © Laurent Chapellon — Key Graphic

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