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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Le street art au pied du mur
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Juin 2023 | Temps de lecture : 22 Min | 0 Commentaire(s)

A propos du grand tournant qu’est en train de prendre le mouvement street art.

Depuis la menace des ours préhistoriques jusqu’à celle des chiens policiers, rien n’a jamais empêché l’être humain de recouvrir l’espace public. De peindre, de dessiner, de graver partout où il réussissait à accéder. De laisser une trace. Quitte à s’arc-bouter ou à escalader. Quitte à devoir déguerpir à toutes jambes en laissant l’œuvre inachevée. Et puisque dans les ateliers de peinture il aura fallu attendre le XVIIIe siècle pour que les artistes commencent à signer leur travail, rien d’étonnant à ce que dans la rue, les signatures ne soient pas apparues avant le XXe. Au point que la question se pose au XXIe siècle : maintenant que le street art produit des œuvres d’art à vendre et des artistes qui affolent le marché de l’art contemporain, qu’il répond à des commandes publiques pour devenir un outil de gentrification, qu’il envahit les galeries d’art… peut-on encore le considérer comme étant vivant ? En partant du postulat de départ définissant le street art comme un art instantané, rapide, hors la loi et dont le but est de faire passer un message sans autorisation, Beaux Arts Magazine est catégorique dans le titre de son enquête ce mois-ci, assumant le point d’exclamation plutôt que celui d’interrogation : « Pourquoi le street art est mort ! »

Il n’empêche que le journaliste prend aussitôt le contrepied de ce titre provocateur. « A force d’être devenu un objet de marché ultramédiatisé et alors que les artistes majeurs ne veulent plus être associés au mouvement, le street art aurait-il perdu son âme au point de disparaître ? Pas si sûr », écrit Hugo Vitrani. « Retour aux graffitis et aux peintures dans le métro, féminisation et repolitisation des messages… Tous les ferments d’un renouveau sont là. » Et de développer ensuite sur douze pages un état des lieux particulièrement complet. Car « plus de soixante ans après son surgissement flamboyant, naïf et libertaire, le mal nommé street art est omniprésent. » Sauf que de la même façon qu’il ne « suffit pas d’être subversif pour être dada, ni de répéter des Marilyn pour être pop », ou d’utiliser le clair-obscur pour être un peintre baroque italien… il ne suffit sûrement pas de travailler dans la rue pour appartenir au mouvement street art.

Alors certes, on l’a vu, « l’homme est né tagueur ». Et le mur n’est pas une surface innocente. « Il est le tableau noir de l’école buissonnière », affirmait Brassaï, ce photographe français d’origine hongroise ayant immortalisé les graffitis de Paris dès 1930, incitant les passants à « développer l’état sauvage de l’œil, pour mettre à mal l’idée même de beaux-arts ». Loin de considérer comme du vandalisme ces signatures et ces dates gravées un peu partout, Brassaï y voyait même plutôt « l’instinct de survie de tous ceux qui ne peuvent dresser pyramides et cathédrales pour laisser leur nom à la postérité ». C’est sans doute ce qui incita aussi « les pionniers du graffiti de Philadelphie, de Los Angeles et de New York à évangéliser le métro et les murs avec une nouvelle croyance : la religion du nom », écrit Hugo Vitrani. Le journaliste de Beaux Arts Magazine s’est plongé dans le texte fondateur de Norman Mailer, The Faith of Graffiti, publié en 1974 dans la revue Esquire. « Un texte essentiel pour comprendre ce qui se jouait derrière l’apparition du graffiti dans sa version américanisée », estime-t-il.

Après les vagues de répression et de grands nettoyages, le graffiti révélant notamment les failles sécuritaires de l’espace public, certains artistes refusent de se compromettre dans des projets douteux. Parmi eux, Mode 2, peintre réputé pour son style figuratif et ses lettrages complexes, qu’il réalise depuis le début des années 1980. Son travail a marqué les prémices du graffiti européen, estime le journaliste de Beaux Arts Magazine. « Depuis, entre Paris, Berlin et Londres, il a fréquenté et observé les évolutions du mouvement en étant proche de plusieurs grands noms de la nouvelle génération, de Banksy au duo brésilien OSGEMEOS. « Si à la fin des années 1960 des adolescents n’avaient pas écrit leurs noms sur les murs et les trains de Philadephie et de New York, il n’y aurait jamais eu l’engouement actuel que l’on connaît sous les labels de street art ou urban art », affirme Mode 2.

« En 2003, le street art est un ogre qui tenté d’avaler ses origines issues du graffiti », écrit Hugo Vitrani. Dans un contexte de publicité omniprésente dans l’espace public saturé de tags et de graffitis au détour des années 1990, sont d’abord apparus les fantômes de RCF1, les ombres de ZVES, les S logotypes de Stak, les personnages de HONET, de BarryMcGee et d’André, les mosaïques d’Invader, les chevaux de Reminisce, les pochoirs et les installations publiques de Banksy… Une scène qualifiée à l’époque de « post-graffiti » ou de « picto-graffiti ». Aujourd’hui, l’appellation street art divise. Elle s’est imposée au tournant des années 2000, avec l’explosion du marché bien sûr. La formule excite les marchands d’art, les collectionneurs d’art. Elle sonne « pop art ». Mais elle est souvent rejetée par les artistes majeurs de cette scène. La déformation opérée par des galeries d’art spécialisées a enfermé l’art de rue dans son esthétique la plus décorative.

« Ces dix dernières années ont été marquées par des fulgurances artistiques et des impostures », constate le journaliste. « L’année 2023 sonne sans doute la fin des étoiles filantes et le retour aux artistes qui ont marqué l’histoire, ou ses évolutions successives. » Comme RAMMELLZEE, icône trop longtemps oubliée des années 1980, à l’origine d’un langage gothique, futuriste, opaque, en guerre, à qui le galeriste Jeffrey Deitch a récemment consacré une exposition d’envergure à Los Angeles. Avec A-One (Anthony Clark) et Kool Koor, il a beaucoup inspiré Basquiat. Les collectionneurs et les commissaires d’exposition s’intéressent aussi à nouveau aux peintures fantomatiques de Richard Hambleton, aux éphémères de Gérard Zlotykamien, le pionnier du mouvement en France, ancien assistant d’Yves Klein. Le street art cherche à retrouver ses murs porteurs.

Et pendant ce temps, les métros parisiens ne cessent d’être peints malgré les procédures judiciaires très lourdes mises en place pour empêcher ça, et le graffiti s’envoie en l’air sur les toits des villes. Pendant que les muralistes officiels travaillent sur des échafaudages validés par les autorités officielles, une nouvelle génération s’équipe de cordes et de baudriers pour mieux sauter dans le vide. A l’époque de #MeToo, de la crise écologique, des luttes solidaires des minorités, les punchlines des activistes déferlent et interpellent. L’histoire ne dit pas encore si elle retiendra ces nouvelles peintures comme des œuvres d’art. Mais ce qui est sûr, quand on observe le mouvement @douceurxtreme, c’est qu’on est loin du narcissisme du graffiti, car personne ne cherche ici à se mettre en avant. A signer.

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