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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Une biennale qui ne ressemble à aucune autre
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Mai 2023 | Temps de lecture : 25 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de la Kochi-Muziris Biennale qui se tient dans toute la ville indienne de Kochi jusqu’au 10 avril.

La foisonnante biennale de Kochi ne ressemble à aucune autre. Et ça fait du bien de prendre l’air. L’envoyé spécial de Beaux Arts Magazine en Inde s’est visiblement délecté de cet événement unique sur le marché de l’art, qui se tient tous les deux ans dans l’état du Kerala. Exposition internationale d’art contemporain, la Biennale de Kochi (ou Cochin) se distingue en effet par son esprit plus artistique que mercantile. Plus réjouissant pour le monde de l’art contemporain que pour le marché de l’art contemporain. Forcément, c’est rafraichissant. Des œuvres d’art à vendre, certes, il y en a plein partout, mais leurs créateurs ont été choisis par des artistes. Selon Fabrice Bousteau, « outre l’atmosphère unique de la ville et de son architecture, l’originalité de la Kochi-Muziris Biennale (KMB) réside d’abord dans ce qu’elle est la seule au monde dont le président est un artiste (Bose Krishnamachari, le fondateur avec une autre artiste né au Kerala, Riyas Komu) et dont le commissaire est aussi, à chaque édition, un artiste indien ». En l’occurrence Shubigi Rao cette année. Une artiste et écrivaine contemporaine née en Inde et vivant à Singapour, connue pour ses projets multidisciplinaires à long terme et ses travaux d'installation qui utilisent souvent des livres, des gravures, des dessins, des vidéos et des archives.

 

Shubigi Rao a choisi d’intituler « In Our Veins Flow Ink and Fire » cette 5e édition de la biennale née en 2012 et devenue l’une des plus importantes expositions d’art contemporain en Asie. « Dans nos veines coulent de l’encre et du feu » : un titre pour dire le profond engagement des artistes face aux désordres du monde, qu’ils soient environnementaux ou sociétaux. Ils sont 88 invités de 24 nationalités différentes, exposés dans 14 bâtiments historiques de Kochi. « Et cette édition, comme les quatre précédentes que j’ai également eu la chance de visiter », souligne l’envoyé spécial, « démontre la liberté d’un artiste commissaire dans ses choix, comparée à celle d’un conservateur de musée ou critique d’art ». On retrouve en effet à Kochi, au milieu des odeurs d’épices, peu de stars du marché de l’art, ou d’artistes contemporains déjà vus et revus dans les galeries d’art, les institutions, biennales ou autres fondations de la planète. L’occasion est donc précieuse de se refaire un regard neuf. De se laisser surprendre.

 

Cette exposition a été organisée en 2012 par la Fondation de la Biennale de Kochi-Muziris, une organisation à but non lucratif, pour mettre en avant des artistes de différents pays et de différentes cultures, en présentant leurs œuvres d'art dans des espaces d'exposition situés dans toute la ville, y compris des bâtiments historiques, des bâtiments abandonnés et des sites industriels. La biennale de Kochi est depuis reconnue pour son engagement en faveur de la durabilité, de la participation communautaire et de l'inclusion sociale. Elle accueille également divers programmes éducatifs et des événements liés à l'art, tels que des conférences, des projections de films et des ateliers pour les enfants. Devenue une plate-forme essentielle pour la présentation et la discussion autour de l'art contemporain en Inde en particulier, et en Asie en général, la Biennale de Kochi est considérée comme une expérience culturelle incontournable pour les visiteurs intéressés par l'art et la culture.

 

Oui, flâner dans la BKM relève bien de l’expérience. Pas de l’exercice imposé. Encore moins de la visite blasée. C’est un véritable temps de ressenti, un tourbillon de sensations. Impossible d’imaginer à l’avance ce qu’on va découvrir au détour des allées du vaste Aspinwall par exemple. Cette ancienne bourse aux épices, principal lieu d’exposition comptant cinq bâtiments immenses, dont certains face à la mer. Quand la porte s’en est enfin ouverte le 23 décembre dernier, avec dix jours de retard, Fabrice Bousteau a par exemple été littéralement émerveillé de se retrouver face à la gigantesque installation d’Asim Waqif. L’artiste né en Inde en 1978 et basé à New Delhi, dont le travail est influencé par les domaines interdisciplinaires de l'art, de l'architecture, de l'écologie et du design, expose une architecture en bambou spécifiquement pensée pour la biennale. Tel un nid protégé de l’agitation extérieure, entièrement conçue avec des techniques et des matériaux de construction respectant l’environnement dans une volonté de réduire au maximum son empreinte biologique, Improvise est une installation in situ s’enroulant autour de plusieurs arbres, dans laquelle des percussions posées un peu partout permettent aux visiteurs de jouer et d’être des acteurs à l’œuvre.

 

Car c’est l’une des autres spécificités de cette biennale de Kochi, et pas des moindres : même à l’inauguration, absolument tout le monde est invité. De l’étudiant au pêcheur, en passant par le chauffeur de rickshaw qui a notamment accompagné le journaliste de Beaux Arts Magazine dans sa visite après l’avoir conduit sur le site. Lequel journaliste est bien placé pour témoigner qu’il s’agit d’un cas unique dans les biennales d’art contemporain, triant habituellement leurs invités sur le volet. « Notre biennale est une biennale pour les gens », écrit Bose Krishnamachari dans le catalogue. D’ailleurs, des milliers d’Indiens s’y précipitent à chaque édition, « tant la soif d’art grandit ici et tant tout y est fait – notamment en termes de médiation – pour attirer les publics les plus divers », constate Fabrice Bousteau. « Il y règne une ambiance festive parmi les visiteurs (plutôt jeunes et presque uniquement indiens du fait du report de la date), les artistes et les très nombreux bénévoles venus de toute l’Inde. »

 

Il n’en demeure pas moins que le rédacteur en chef de Beaux Arts Magazine estime que cette édition « déçoit par rapport aux précédentes, avec moins d’œuvres marquantes et spectaculaires, notamment à Aspinwall, par son trop grand nombre de vidéos (pour des raisons de budget et de Covid, selon les organisateurs) et peut-être aussi par la faiblesse du propos curatorial ». Pourtant, elle parle bien du monde d’aujourd’hui et de nos modes de vie, en langage artistique. « Dans le film First Rain, Brise Soleil, dont les images tiennent du sublime, Thao Nguyen Phan (Vietnam) montre comment le fleuve Mékong a produit folklore et culture au Vietnam pendant des siècles, mais aussi comment il a été décimé par l’extraction de son sable, destiné aux constructions en béton. » Quant à l’œuvre de Zhanna Kadyrova (Ukraine), elle plonge subtilement le visiteur en plein conflit russo-ukrainien avec Palianytsia, présentant sur une table comme pour un banquet christique de grosses pierres de rivière qu’elle a ramassées dans un village ukrainien avant de les polir et de les découper en tranche, leur donnant l’apparence du « palianytsia », le pain traditionnel. Et montrant autant la difficulté à subsister pendant la guerre qu’une subtile forme de résistance. Avec Brothers, Fathers and Uncles, une huile sur toile splendide et monumentale représentant des silhouettes portant le « mundu », habit traditionnel bordé d’or, l’artiste indienne Devi Seetharam s’intéresse à la socialisation des hommes dans l’espace public, à ce qu’elle dit du patriarcat. Et que dire de l’hallucinant surréalisme de Smitha GS, « une artiste du Kerala qui peint de grands paysages aux couleurs improbables peuplés de microbes et autres créatures inouïes » ! Mais pour l’envoyé spécial, aucun doute : « le chef-d’œuvre absolu de cette biennale vient de l’artiste et cinéaste indien Amar Kanwar, qui lui est, en revanche, mondialement connu ». Such a Morning est un film de 85 mn dont les images, la musique et les sons fascinent tellement le visiteur qu’il ne peut pas quitter la salle avant la fin !

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