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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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L’art contemporain compte désormais avec la photographie africaine
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Avril 2023 | Temps de lecture : 29 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’essor de la photographie africaine sur le marché de l’art international.

« Il me semble que nous vivons un moment extraordinaire d’épanouissement créatif dans la photographie africaine. » Le critique et commissaire d’expositions Ekow Eshun témoigne ce mois-ci dans le magazine d’art contemporain Artpress du formidable dynamisme d’une photographie aussi esthétique qu’engagée dont s’emparent les Africains du continent et de la diaspora. Des photographes africains de plus en plus nombreux utilisent en effet leur art pour explorer les histoires, les cultures et les expériences de l'Afrique, ainsi que pour aborder des questions sociales et politiques importantes.

Le marché de l'art de la photographie africaine contemporaine se retrouve donc en constante évolution, avec une demande croissante de la part des collectionneurs et des amateurs d'art pour acheter les œuvres d’art à vendre de nouveaux talents africains. Il faut dire qu’au vu des photographies reproduites dans le magazine Artpress, on ne peut effectivement qu’être ébloui : qu’il s’agisse de La Nuit des longs couteaux I, d’Athi-Patra Ruga, de la série Emmène-moi au bord de l’eau d’Ayana V. Jackson, du Garçon africain assis devant l’objectif de Hassan Hajjaj ou encore de Ntozakhe II, Parktown, par Zanele Muholi (dont la journaliste Aurélie Cavanna dresse par ailleurs un portrait très complet dans ce numéro d’Artpress)… les œuvres d’art photographiques de cette nouvelle génération d’artistes sidèrent par leur puissance.

Au contraire des générations qui les ont précédés, les photographes africains qui font désormais l’art contemporain ont « la possibilité de montrer leur travail et d’être vus dans le monde entier grâce aux réseaux sociaux », souligne Ekow Eshun. Ce qui bien sûr fut beaucoup plus long et difficile pour des artistes comme Malick Sidibé (1936-2016), Seydou Keïta (1923-2001), Mama Casset (1908-1992), James Barnor (né en 1929) ou Samuel Fosso (né en 1962). Il aura fallu à ces derniers être découverts par des collectionneurs occidentaux et exposer leurs œuvres d’art à vendre dans les galeries d’art occidentales pour attirer l’attention internationale. On pense bien sûr au galeriste parisien André Magnin, surnommé le « faiseur de rois » par Julie Chaizemartin dans Artpress, qui consacre un beau portrait à celui qui fut l’un des grands passeurs de la photographie africaine, rencontrant notamment Malick Sidibé et Seydou Keïta au début des années 1990 à Bamako, mais découvrant aussi par exemple les pictogrammes colorés et encyclopédiques de Frédéric Bruly Bouabré en 1988 à Abidjan, dont on a pu voir une exposition l’été dernier au MoMa à New York...

C’est pendant les Rencontres de la Photographie à Arles en 2012, que le galeriste ayant consacré vingt ans à constituer l’immense collection d’art africain de Jean Pigozzi (l’héritier de la firme Simca) a découvert les portraits de figures noires mêlant esthétique d’un studio de mode et tradition du portrait peint, signés Omar Victor Diop… scotchées aux grilles du boulevard des Lices. Les œuvres d’art du photographe sénégalais sont désormais exposées dans sa galerie parisienne. « La photographie de studio des années 1960 et 1970 a une résonnance énorme aujourd’hui », ne peut que constater Ekow Eshun, tant le travail d’un Omar Victor Diop résonne avec celui de Seydou Keïta, Malick Sidibé et Samuel Fosso.

Devenu célèbre pour ses portraits en noir et blanc, pris en studio et qui capturaient la vie quotidienne des habitants de Bamako, travailleurs, commerçants, familles, musiciens, jeunes mariés ou jeunes filles en tenue traditionnelle, le photographe malien Seydou Keïta, né en 1921 à Bamako, a commencé à travailler comme photographe professionnel dans les années 1940, ouvrant son propre studio en 1948. Son œuvre a été découverte à l'étranger dans les années 1990, lorsque la galerie d’art française MAGNIN-A a organisé une exposition de ses photographies. Depuis, son travail a été présenté dans des expositions du monde entier, et il est devenu l'un des photographes les plus célèbres d'Afrique. En 2001, année de son décès, il a reçu le Prix de la Fondation Hasselblad, l'un des prix de photographie les plus prestigieux au monde.

 

Comme Malick Sidibé, qui a commencé à travailler comme photographe à la fin des années 1950, après avoir étudié à l'Ecole des Artisans Soudanais de Bamako et avant d’ouvrir son propre studio de photographie en 1962, pour devenir finalement le premier photographe africain en 2007 à recevoir le Lion d'Or pour l'ensemble de son œuvre à la Biennale de Venise, Seydou Keïta fait donc partie des « premiers photographes à s’être totalement affranchis du regard eurocentrique et à avoir choisi de ne pas représenter leurs sujets dans le style formel de leurs anciens maîtres coloniaux, mais plutôt comme des personnages pleins de vie, des figures chics et centrales », explique Ekow Eshun. « A titre d’exemple, le photographe marocain Hassan Hajjaj cite Sidibé comme une influence clé sur son travail. Les photographies de Sidibé ont capturé la vivacité et l’optimisme du Mali à l’époque de l’indépendance, et les modèles de Hajjaj sont également engagés dans leur propre forme de lutte pour la libération. Ses œuvres sont caractérisées par une explosion de couleurs, de motifs, de logos et d’objets trouvés. Des signes, des symboles et des personnes du monde entier se côtoient sans hiérarchie ni supériorité présumée d’une vision occidentale du monde. »

 

Ekow Eshun d’évoquer aussi « le travail de la photographe nigéro-britannique Ruth Ossai, qui portraitise régulièrement les communautés nigérianes au sein desquelles elle a grandi, et les dépeint avec empathie, style et intimité affectueuse. Ossai photographie souvent ses sujets en studio, faisant ainsi référence à la lignée des photographes de studio africains ». Auxquels il faut d’ailleurs ajouter le Nigérian J.D.’Okhai Ojeikere (1930-2014), « qui rendait la vie et les aspirations des Africains ordinaires avec un délicieux panache », comme le décrit Ekow Eshun, qui souhaite aussi attirer l’attention sur l’influence de Samuel Fosso, « dont les autoportraits dandifiés des années 1970 font de l’identité masculine une performance perpétuelle plutôt qu’une manière d’être fixée du corps. Les recherches de Fosso sur la nature mouvante du genre anticipent un sujet de plus en plus représenté par les photographes portraitistes noirs. Par exemple, les images de studio fragmentées de Paul Mpagi Sepuya partent du principe que le genre est fondamentalement compliqué et que sa représentation ne peut être que partielle, nuancée et subjective. »

 

Quand on pense que sur les 54 nations africaines, 34 ont mis l’homosexualité hors la loi, et qu’en Mauritanie, au Soudan, dans le sud de la Somalie et dans le nord du Nigeria elle est passible de peine de mort… on comprend que « dans des pays où les identités queer et trans sont considérées comme l’antithèse de la normalité, le travail des photographes tels que Zanele Muholi, Athi-Patra Ruga, Ruth Ossai, Eric Gyamfi et Sabelo Mlangeni joue un double rôle crucial », précise Ekow Eshun. « Il s’agit à la fois d’exprimer une pratique artistique individuelle et d’affirmer politiquement la visibilité des minorités dans des circonstances qui peuvent potentiellement coûter la vie. »

 

Illustration : Athi-Patra Ruga - The Knight of the Long Knives I, 2013

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