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Alix de Rothschild, la mécène altruiste
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Mars 2023 | Temps de lecture : 27 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Collectionneuses Rothschild, mécènes et donatrices d’exception » à La Boverie à Liège (Belgique) jusqu’au 26 février.

Si tous les gens fortunés étaient des mécènes aussi sincères et généreux que l’a été Alix de Rothschild (1911-1982), qui ne suivait que son instinct et sa sensibilité, les artistes auraient vraiment moins de souci à se faire pour gagner leur vie avec leurs œuvres d’art à vendre. Ici, point de spéculation ni de savantes stratégies pour tirer les ficelles du marché de l’art. Aucun sacrifice à l’autel de la mode. Seulement du goût, de l’affect, de la confiance, de l’honnêteté… et une réelle volonté de soutenir les talents émergents. Cette femme qui affirmait ne pas être une collectionneuse d’art a finalement acheté tout au long de sa vie près de deux mille œuvres d’art, qu’il s’agisse de peintures, de sculptures, d’objets populaires ou art africain. Le tout hélas trop largement dispersé après sa mort pour pouvoir en remplir une galerie d’art qui serait aujourd’hui accessible à tous. Dommage. Parce que son truc à elle, c’était vraiment ça. Créer un pont entre l’artiste et le public.

Ses enfants la taquinaient souvent à ce sujet : « Maman laissera la plus grande collection de peintres inconnus ». Et Alix de Rothschild l’avouait humblement : « Je sais aussi que j’ai des œuvres qui ne sont pas toujours les meilleures de grands artistes, c’est que je les ai connus jeunes, que j’ai aimé les commencements qu’il y avait en eux ». N’est-ce-pas là une phrase formidable de grand mécène ? De vrai mécène ? Du genre qui s’est fait une mission de consacrer son importante capacité financière à faire se déployer l’art et ceux qui le font partout dans le monde, sans se préoccuper d’en tirer profit ? De l’argent, la fille du baron austro-hongrois Philipp Schey von Koromla et de la descendante des Rothschild de Francfort, Lili Jeanette von Goldsmith, qui de surcroît avait épousé en secondes noces son lointain cousin parisien et forcément banquier Guy de Rothschild, en avait sûrement de toute façon autant qu’elle voulait. Alors seule sa véritable sensibilité artistique guidait dans ses achat d’œuvres d’art celle qui s’était carrément offert une toile de Raoul Dufy (1877-1953) en visitant l’atelier du peintre à Paris alors qu’elle n’était encore qu’adolescente.

Des œuvres d’art à vendre, forcément, on devait en proposer beaucoup à cette femme riche, connue pour s’intéresser surtout aux jeunes artistes contemporains. N’empêche, quand on voit reproduit dans l’article de Connaissances des arts du mois de janvier le sublime triptyque monumental de Jesekiel David Kirszenbaum (1900-1954), Moïse, Jérémie, Elie, représentant les trois prophètes un peu à la façon d’un Georges Rouault, peint en 1947 spécialement pour Alix de Rothschild, on se dit qu’elle savait quand même bien reconnaître un peintre talentueux. Quoiqu’en disent ses enfants. Pareil avec Avigdor Arikha (1929-2010), ce peintre et graveur franco-israélien dont elle finança l’exposition en 1972 sans s’y tromper. La deuxième Ecole de Paris la passionne. Elle s’intéressera notamment beaucoup aussi au peintre slovène Zoran Music (1909-2005) et au peintre allemand Francis Bott (1904-1998), né comme elle à Francfort-sur-le-Main. Qu’ils soient d’Europe centrale, d’Amérique du Sud ou d’Italie, tous les artistes qui retiennent alors son attention exposent à Paris au début des années 1950. Elle achète par exemple deux tableaux du peintre mexicain Francisco Toledo (1940-2019), mais aussi Le lavoir de Pablo Picasso.

« Je suis évidemment heureuse de posséder des œuvres de Cézanne ou Picasso », confiait la baronne Alix de Rothschild à un critique d’art en 1970, « le lyrisme de Vieira da Silva ou Séraphine me transporte, mais je n’ai aucun mérite à cela. Mon émotion n’a d’intérêt que si elle sert un artiste en contribuant à élargir le cercle de ses admirateurs ou à faire découvrir son travail à ceux qui ne le connaissent pas. » Difficile de ne pas trouver attachante cette grande amatrice d’art qui consacra son existence et son énergie, en plus de sa fortune, à ce formidable engagement altruiste. « Toujours ouverte aux nouvelles expressions en même temps qu’aux identités ancestrales, elle se passionne aussi pour les statuettes amérindiennes ou les masques africains et rassemble des objets d’art populaire, encouragée par Georges Henri Rivière », écrit Valérie Bougault dans Connaissance des arts.

Rien d’étonnant donc au fait qu’Alix de Rotschild soit devenue l’une des personnalités les plus importantes du monde culturel de l’après-guerre. Première femme en 1961 à siéger au conseil d’administration du Musée national d’art moderne, pour lequel elle contribue notamment à l’achat de la Figure debout de Fritz Wotruba (1907-1975), et auquel elle fait même don en 1965 de son dessin Femme nue étendue, de Gustav Klimt, elle devient également en 1962 la présidente des Amis du musée de l’Homme. Normande d’adoption, on lui doit plusieurs dépôts d’œuvres d’art aux musées du Havre, de Caen et de Honfleur, ainsi que la création du Musée de la bourrellerie et outil à Pont l’Evêque. Divorcée en 1956, elle assure également pendant trente ans les fonctions de maire de Reux, petite commune du Calvados où elle s’est alors installée à plein temps dans son château.

Elle y rassemble alors un maximum des œuvres d’art qu’elle a acquises, et qui ont aussi orné son hôtel particulier de l’avenue Foch à Paris. Elle émaille par ailleurs le parc du château de Reux de nombreuses sculptures contemporaines, comme celles d’Henri Laurens, de Cardenas, de Norbert Kricke ou de Slavos. Pour la chapelle du domaine, elle commande à Francis Bott pas moins de huit vitraux abstraits, ce qui contribuera d’une manière décisive à asseoir la notoriété de cet exilé ami de Max Ernst et d’Oskar Kokoschka. Loin du Tout-Paris, c’est finalement sans bruit et dans l’ombre que cette collectionneuse qui pensait ne pas l’être a accompli une œuvre immense.

Chevalier des Palmes Académiques, Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres et du Mérite social, la presse juive de France et d’Angleterre ne semble toutefois la redécouvrir qu’à sa mort. Présidente mondiale de l’Aliyah des jeunes, Alix de Rothschild a pourtant tissé des liens particulièrement étroits avec Israël, et fondé les Amis français du musée d’Israël à Jérusalem. Après sa mort, un Centre Alix de Rothschild pour l’artisanat contemporain a d’ailleurs été créé dans cette ville. Comme l’écrit Valérie Bougault dans Connaissance des arts, « partout où elle est, l’art prend forme ».

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