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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Hommage à Soulages
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Février 2023 | Temps de lecture : 27 Min | 0 Commentaire(s)

Mort le 25 octobre dernier alors qu’il aurait fêté ses 103 ans ce 24 décembre, Pierre Soulages fait l’objet d’un dossier complet ce mois-ci dans Beaux Arts Magazine. Dont la très belle page de couverture annonçant « 24 pages en hommage à Pierres Soulages (1919-2022) » est aussi noire que lumineuse, à l’image de ce que sont les œuvres d’art mondialement connues du créateur de l’ « outrenoir ». Et ces vingt-quatre pages, si on peut malgré tout reprocher aux citations d’être forcément parfois redondantes, permettent de faire un intéressant tour d’horizon d’une œuvre originale qui semblait ne jamais devoir finir. Car le peintre estimant qu’il n’y avait « rien à raconter » sur ses tableaux, juste « à ressentir », n’en a pas moins toujours fait couler beaucoup d’encre… noire bien sûr.

L’occasion est belle pour Fabrice Bousteau, le rédacteur en chef du magazine, en plus de consacrer son édito au second peintre après Georges Braque en 1963 à avoir reçu un hommage national dans la cour carrée du Louvre, de republier son article nous narrant la visite qu’il avait faite en 2009 de la maison du maître sur les hauteurs de Sète, ainsi que l’entretien qu’ils avaient également eu tous les deux en 2019 dans son atelier. La première fois à l’occasion de la seconde exposition Soulages au Centre Pompidou, et la seconde fois, dix ans après, pour préparer la célébration du centenaire du peintre prenant notamment la forme d’une véritable consécration au musée du Louvre. « Ce trésor vivant de la peinture revenait pour nous sur huit décennies de fulgurances picturales et cérébrales », explique Fabrice Bousteau. Toujours avec Colette à ses côtés, cette ancienne étudiante des beaux-arts de Montpellier que le peintre avait épousé en 1942 et qui avait aussitôt renoncé à toute activité artistique personnelle.

On sait. Il est évidemment très facile de douter de la force d’un tableau entièrement noir, et de gloser sur les dérives du marché de l’art en le soupçonnant d’avoir encore monté une œuvre en épingle juste pour affoler le prix des tableaux à vendre… mais uniquement tant qu’on ne s’est pas posté devant une peinture originale de Pierre Soulages. Car là, c’est l’illumination. Que ce soit au musée Fabre, dans l’aile entière et sublime qui lui est consacrée à Montpellier, un peu plus loin dans le musée qu’il a fini par accepter qu’on lui consacre à Rodez, sa ville natale, ou même au détour de l’une des innombrables expositions faisant rayonner Pierre Soulages sur ses cimaises... difficile de rester insensible comme on peut éventuellement l’être devant une reproduction de peinture à vendre ou une photographie, aussi belle soit-elle. Si la démonstration est peut-être moins immédiatement saisissante avec les tableaux de ses quarante premières années, brossés tantôt au brou de noix, tantôt à l’encre, à l’acrylique ou à l’huile mais laissant toujours « crépiter le blanc », le doute n’est plus permis une seconde avec les fameux « Outrenoirs » qui naissent en 1979 sous les brosses, pinceaux et grattoirs du peintre. On a affaire à un génie qui a réussi à trouver la lumière dans les ténèbres.

« La lumière vient du tableau et celui qui regarde se retrouve non plus devant mais dans l’espace de la toile », expliquait Pierre Soulages à Fabrice Bousteau et Solène de Bure en juin 2019. « Plus le format est grand, plus l’effet est évident. Du coup, l’espace de la toile n’est plus sur le mur, comme dans la peinture traditionnelle, ou derrière, comme dans une perspective. Il est devant. C’est une façon qu’a la peinture d’entretenir un rapport différent avec l’espace. » Toute la magie est là en effet. Quant aux grands débats opposant l’abstraction et le figuratif, Pierre Soulages n’en avait plus cure depuis longtemps. « L’abstraction est un concept de critique ; ce n’est pas le mien. Ces querelles, je les ai connues, mais je n’ose pas dire qu’elles m’étaient indifférentes. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui naît de la toile. »

Du jour où l’artiste a compris qu’il travaillait non pas avec du noir, mais avec « la lumière réfléchie par la couleur noire », lui qui utilisait jusque-là le noir comme contraste a soudain tout changé à sa façon de peindre. Et n’est plus jamais revenu en arrière. On était en 1979, l’outrenoir était né. Le voyage au-delà du noir commençait. Et comme l’écrit Emmanuelle Lequeux pour Beaux Arts Magazine, « on aurait tord de croire qu’il s’éloigne de sa voie quand, pour l’abbaye Sainte-Foy de Conques, il compose de 1986 à 1994 d’incomparables vitraux, destinés à remplacer les saynètes médiévales imposées sous Pétain. Sa première œuvre d’art totale. Sur 104 fenêtres, un blanc-gris translucide et toujours changeant, renforcé par des lignes noires, souligne la puissance de l’architecture romane. Avec leur grain singulier, leur verre laiteux et volontairement irrégulier, ces vitraux s’élèvent comme un chant grégorien devenu lumière. » Une métaphore d’autant plus judicieuse lorsqu’on sait que Soulages signifie « soleil agissant » dans le pays d’Aveyron.

Dès sa première exposition en 1947, les jalons étaient posés. Car si l’œuvre abstraite que le jeune artiste propose en 1946 au Salon des indépendants à Paris est refusée, ce qu’il expose l’année suivante au Salon des surindépendants attire immédiatement l’attention de Hans Hartung et Francis Picabia. L’Allemagne, où il expose dès 1948, puis les Etats-Unis, dont le conservateur du MoMA vient lui acheter un tableau dès 1949, feront toutefois une place à Pierre Soulages bien avant la France d’après-guerre où selon le peintre lui-même « la mode n’était pas au noir, mais au jaune, au rouge et au bleu ». C’est la galerie d’art Kootz Gallery qui le représente aussitôt à New York et se charge de ses œuvres d’art à vendre. Mark Rothko, Willem de Kooning ou Barnett Newman sont ses égaux. Franz Kline aussi, l’un des principaux représentants de l’expressionnisme abstrait auquel on associa souvent Soulages, alors que le peintre français  a toujours refusé d’être enfermé dans le moindre mouvement artistique, cherchant obstinément sa propre vérité à la lumière de son propre noir.

Dans les années 1950, quand il se met à écraser son pigment au couteau et que la couleur peut encore faire son apparition en guise de fond dans ses huiles sur toile, le jeune peintre met au point un vernis particulier qu’il expliquera composé de « silice colloïdale aux grains tellement fins qu’ils correspondent à la longueur d’onde de la lumière ». Magique.

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