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A la recherche des œuvres d’art jamais perdues chez Proust
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Janvier 2023 | Temps de lecture : 30 Min | 0 Commentaire(s)

Pas un des romans de Marcel Proust (1871-1922) qui ne soit irrigué d’œuvres d’art ! Cet art qui a accompagné toute l’existence de celui qui s’était littéralement pâmé devant La Vue de Delft de Vermeer en 1902 à La Haye, et qui n’aimait rien tant que visiter musées et galeries d’art partout où il se rendait. A l’occasion du centenaire de la mort du plus célèbre des écrivains français mondains, la BnF (Bibliothèque nationale de France) a l’heureuse idée de présenter une exposition aussi ambitieuse que passionnante sur « La fabrique de l’œuvre ». Tandis que paraît aux éditions Hazan le délicieux livre de Thierry Laget, « Proust et les arts ».

L’un des jalons essentiels d’A la recherche du temps perdu, la fameuse suite romanesque de Marcel Proust, écrite de 1906 à 1922 et publiée de 1913 à 1927 en sept tomes, les trois derniers paraissant donc après la mort de leur auteur, consiste en la visite du narrateur à l’atelier d’Elstir, dans la station balnéaire normande de Balbec. Elstir, la fameuse figure du peintre dans le roman, qui constitue l’une des facettes de l’artiste protéiforme idéal imaginé par Proust, et qui deviendra l’ami de Charles Swann, l’un des personnages principaux de La Recherche, lui-même figure du bourgeois mondain et cultivé en quête d’une vocation, comme l’écrivain l’était lui-même. Elstir, dont l’une des manières s’inspire du Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain, de William Turner, un tableau que Marcel Proust avait découvert chez Camille Groult, collectionneur d’art qui avait fait fortune dans le commerce des pâtes et des farines, et qui s’était épris des œuvres de l’école française du XVIIIe siècle et de l’école anglaise.

Car l’écrivain ne fréquentait pas seulement le Louvre ou la galerie d’art de Durand-Ruel, où il verra notamment les Cathédrales de Rouen, de Monet, prêtées par Isaac de Camondo. Il ne déambulait pas seulement dans les villes d’art et les ateliers d’artistes. Il allait régulièrement boire le thé dans les salons de ses fréquentations amicales, toutes issues de la haute bourgeoise ou de l’aristocratie. Ces membres de la « bonne société », comme on disait à l’époque (sous-entendant clairement qu’il y en avait une mauvaise), suffisamment aisés pour pouvoir investir dans toutes les œuvres d’art à vendre de l’époque, dont ils ornaient ensuite leurs cimaises privées. Ainsi Marcel Proust vit-il pour la première fois chez la princesse de Polignac Un champ de tulipes près de Haarlem, de Monet, qu’il désigna d’ailleurs comme étant « le plus beau tableau » de Monet, et que le commun des mortels peut désormais admirer au musée d’Orsay.

Plus que toutes les autres œuvres d’Elstir citées dans A la recherche du temps perdu, une marine monumentale du peintre inventé par Proust impressionne particulièrement le narrateur, baptisée le Port de Carquethuit. L’immense toile enthousiasme d’ailleurs Swann au point que sa seule analyse prendra deux pages dans la Pleïade ! Il y voit la puissance de l’art « qui ouvre un monde d’extase où la mort apparaît soudain indifférente », écrit Marie Zawisza dans son article de L’Oeil paru en novembre 2022. La journaliste y décrypte six « clés pour comprendre » l’éducation esthétique de Marcel Proust par les arts, en passant par les illustrations de la fameuse Vue de Delft, de Johannes Vermeer (vers 1560) ; Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain, de William Turner (vers 1840) ; Pourpre et rose, de James Abbott McNeill Whistler (1864) ; Cathédrale de Rouen : le portail (soleil), de Claude Monet (1894) ; Autoportrait aux bésicles, de Jean Siméon Chardin (1771) ; et Le Danseur Vaslav Nijinski debout devant le costume des Orientales dans un jardin, d’Eugène Druet (1910). C’est passionnant !

Il ne reste plus qu’un an à vivre à Marcel Proust lorsqu’il a l’occasion de revoir à Paris la Vue de Delft, de Vermeer, grâce à l’exposition de 1921 au Jeu de Paume. Il en fera un malaise. L’épisode de la mort de Bergotte, figure de l’écrivain dans La Recherche, rendant son dernier souffle juste après avoir été ébloui par ce tableau, constitue l’un des plus célèbres passages du livre. « C’est ainsi que j’aurais dû écrire », fait dire Proust à Bergotte. « Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. » Guillaume Fau, chef de service des Manuscrits modernes et contemporains à la BnF, co-commissaire de l’exposition « Proust, la fabrique de l’œuvre », explique que « l’épisode du petit pan de mur jaune exprime ce que doit être l’œuvre d’art, que Bergotte a échoué à réaliser et que le narrateur de Proust va essayer d’écrire ».

La culture esthétique de Marcel Proust est donc bien là qui imprègne tout ses écrits. Mélange de Camille Corot, Edouard Manet, Paul-César Helleu, William Turner ou Alexander Harrison, le peintre Elstir n’est-il pas aussi un peu James Whistler quand il peint des portraits, Gustave Moreau quand il s’attelle à des toiles mythologiques, ou encore Claude Monet, Auguste Renoir ? « Les seuls tableaux d’Elstir que Proust décrit sont ceux qu’il aurait pu peindre lui-même (…). Il use de Harrison, de Vuillard, d’Helleu, de Whistler, comme du carmin, de l’outremer, du lapis-lazuli, de la terre de Sienne brûlée », écrit Thierry Laget dans Proust et les arts (Hazan).

Quant aux artistes contemporains de son époque, et à leurs propositions artistiques radicales, Marcel Proust prouve qu’il les apprécie en étant notamment un grand amateur des Ballets russes de Diaghilev de 1909 à 1920. Il s’émerveille en 1917 de la création de Parade, dont le texte est écrit par Jean Cocteau, la musique composée par Erik Satie, les décors et costumes cubistes imaginés par Pablo Picasso. « Comme Picasso est beau », s’extasie l’écrivain. Sans toutefois ne jamais mentionner dans La Recherche le nom du peintre espagnol, ni celui de Matisse par exemple. L’art moderne n’était sans doute pas encore de bon ton dans cette « bonne société » qu’il fréquentait.

S’il adorait flâner au Louvre devant les chefs-d’œuvre de Mantegna, Fra Angelico, Léonard de Vinci, Rembrandt, Van Dyck, Watteau, Millet, Corot et Manet, s’en inspirant pour camper les personnages et les paysages de ses romans, Marcel Proust considérait en 1920 parmi les plus belles œuvres du musée, trois tableaux de Jean Siméon Chardin (1699-1779) : un autoportrait, un portrait de sa femme et une nature morte. Car si Chardin le fascine tant dans les années précédant sa mort, c’est sans nul doute parce que « ce peintre lui apprend qu’un chef-d’œuvre ne naît pas du sujet représenté, mais du regard de l’artiste », avance Guillaume Fau. Quelle meilleure définition de l’œuvre littéraire de Proust en effet ?

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