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A la lumière de Joan Mitchell
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Décembre 2022 | Temps de lecture : 31 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de la double exposition consacrée à Joan Mitchell par la Fondation Louis Vuitton à Paris jusqu’au 27 février 2022 : « Rétrospective Joan Mitchell » et « Monet-Mitchell ».

A l’heure où le Musée d’art moderne de Paris consacre une importante exposition à Oskar Kokoschka (1886-1980), la Fondation Louis Vuitton rend hommage à l’art éclatant de Joan Mitchell (1926-1992), l’une des plus grandes peintres américaines du XXe siècle qui avait justement été très impressionnée par l’œuvre de l’artiste autrichien, découvert grâce à son professeur d’art à la Francis W. Parker School de Chicago. Deux bonnes raisons donc d’aller arpenter la capitale ! Et même trois, car ce sont plus exactement deux expositions complémentaires qui sont présentées sous l’appellation « Rétrospective Joan Mitchell » et « Monet-Mitchell » dans le 16e arrondissement, l’une retraçant son parcours, et l’autre focalisant sur ses rapports avec l’art de Claude Monet (1840-1926).

Parce qu’évidemment, l’influence des Nymphéas et du fameux « all-over » sur les immenses toiles abstraites de Joan Mitchell saute aux yeux, tant il est évident qu’elle s’inspire du paysage. Ou plutôt de son ressenti du paysage. Ce n’est pas un hasard si le terme d’ « impressionnisme abstrait » lui colle à la peau, depuis qu’il a été imaginé par les critiques d’art pour désigner ceux et celles dont la peinture abstraite reste habitée par les sensations de l’espace paysager. Mais les étiquettes, les « écoles », ce n’est pas son truc, à Joan Mitchell. Même si l’Américaine a forcément scellé sa parenté avec l’impressionnisme et la tradition française en choisissant en 1968 d’acheter une maison à Vétheuil, dans le Val d’Oise, pour en faire son havre de paix et de création avec vue sur une boucle de la Seine, à deux pas de Giverny. Donc à deux pas de la maison, de l’étang et des jardins où Claude Monet a vécu de 1883 à sa mort, et où il a créé la célèbre série des Nymphéas.

« Les rapprochent d’abord une communauté de sujets, à savoir la nature et le paysage, l’eau et ses reflets, son étang pour l’un, la Seine pour l’autre. Mais aussi, une commune utilisation de grands formats exigeant une vraie gestualité », explique Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton et commissaire générale de l’exposition « Monet-Mitchell », répondant à Manuel Jovert qui l’interviewe pour le magazine Connaissance des arts. « Prévalent chez les deux également les jeux de la couleur avec la lumière à travers une grande liberté dans les touches, les techniques et les factures, alternant épaisseurs et fluidités dans une gamme similaire de couleurs où dominent les bleus, jaunes, verts, roses et rouges. Reste pourtant que le motif est toujours présent chez Monet alors que Joan s’affiche franchement abstraite… encore que. Si elle affirme « Ma peinture est abstraite », elle ajoute « mais c’est aussi un paysage ». »

Ce n’est toutefois pas parce qu’elle était installée en France que Joan Mitchell y fut rapidement reconnue. Pas du tout même. « Sa peinture n’y trouva pas plus d’échos qu’en elle la peinture française contemporaine », constate Suzanne Pagé. « Dès lors, elle se forgea une voie propre et imposa une voix unique au XXe siècle. » L’artiste peintre s’enfermait la nuit dans son atelier, avec ses chiens, mettait de la musique, et s’attelait à traduire dans ses tableaux ce qu’elle appelait le « feeling », à savoir ce qu’elle avait ressenti devant un sujet vu dans la journée. Voire à ce qu’avait ressenti le sujet lui-même. A propos par exemple de Two Sunflowers, le célèbre diptyque venu enrichir la collection permanente de la Fondation Louis Vuitton à Paris, Joan Mitchell aimait à dire que ses tableaux devaient « transmettre le sentiment d’un tournesol fanant ». On ne peut que penser à Monet qui composa ses grands Nymphéas à l’atelier, d’après les sensations que la nature avait suscitées en lui.

« Son ardeur, sa fougue toute personnelle, la violence de sa gestualité dans des formats de plus en plus monumentaux, l’intensité de sa palette avec une préférence pour les couleurs complémentaires étaient étrangères à l’Abstraction lyrique d’alors », souligne Suzanne Pagé à propos de Joan Mitchell. Qu’importe. « Etrangère à toute doctrine esthétique, Joan Mitchell a rouvert la peinture à cette irrigation lyrique qui nous importe le plus », écrit Manuel Jover dans Connaissance des arts.

Celle que l’on a aussi essayé de ranger dans la catégorie de la « seconde génération » de l’Ecole de New York, ou de l’Action Painting, même si elle abhorrait toute forme de catégorisation dans l’art, avait 25 ans quand Willem De Kooning en avait 46, Franz Kline 40 et Jackson Pollock 38. On imagine facilement que face aux « vrais héros de cette grande geste virile qu’est l’émergence et le triomphe de la peinture moderne américaine, appelée à conquérir le monde », comme l’écrit si bien le journaliste de Connaissance des arts, la jeune femme a eu un peu de mal à faire reconnaître son travail à sa juste valeur.

Rien d’étonnant à ce qu’elle se soit finalement tournée vers l’Europe en 1955. Elle connaissait Paris pour y avoir passé un an grâce à une bourse d’études obtenue après l’obtention de son diplôme à l’Art Institute School, et après une année passée à New York dans l’atelier de Hans Hofmann, maître de l’art abstrait. Si à New York la jeune artiste de Chicago avait découvert l’avant-garde allant d’Arshile Gorky à Jackson Pollock, elle avait retrouvé à Paris tous les maîtres qui avaient marqué l’enfant visitant le fameux Art Institute de Chicago dans le sillage de ses parents éclairés et fortunés : Monet, Renoir, Van Gogh, Seurat, Matisse... Fille d’une poétesse et d’un médecin artiste amateur, Joan Mitchell a d’ailleurs hésité un temps entre la poésie et les arts plastiques.

Mais riche d’un bagage artistique considérable, forte d’une production originale et à la pointe des recherches formelles de l’époque, Joan Mitchell ne doute pas qu’elle a sa place dans le monde de la peinture. Sa rencontre en 1955 à Paris avec le peintre canadien Jean-Paul Riopelle (1923-2002), qui deviendra son compagnon jusqu’en 1977, scelle une riche collaboration artistique. Ces deux-là ne cesseront de s’influencer l’un l’autre. Et l’une des œuvres les plus ambitieuses de Riopelle sera d’ailleurs finalement une suite de trente tableaux intitulée Hommage à Rosa Luxemburg, qu’il créa en hommage à Joan Mitchell lorsqu’il apprit sa mort en 1992. Quant à La Vie en rose, le tableau peint en 1979 par Joan Mitchell, il est souvent décrit comme étant la représentation de leur rupture abrupte.

La galerie d’art Jean Fournier à Paris, passeuse en France de la peinture américaine des années 1950 à 1980, se chargea longtemps des œuvres d’art à vendre de Joan Mitchell, et les plus grands critiques d’art repérèrent toujours ses expositions, que ce soit aux Etats-Unis ou en France. Le Français Pierre Schneider laisse d’ailleurs dans son sillage l’énigmatique formule résumant à elle seule la sensation indicible, à la vue d’un tableau de Joan Mitchell, d’une conjugaison lumineuse entre intérieur et extérieur : « On a l’impression qu’une ampoule électrique brille en plein jour ».

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