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Première rétrospective française consacrée à Munch
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Novembre 2022 | Temps de lecture : 32 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort » qui se tient au musée d’Orsay du 20 septembre 2022 au 22 janvier 2023.

C’est le genre de peinture qu’on ne peut même pas détester tant elle prend aux tripes. Et puis à force d’utiliser l’émoticône de l’effroi à tout bout de catastrophe ou de voir le masque du film « Scream » à tous les coins de l’horreur, on a l’impression de connaître Le Cri depuis toujours, presque d’avoir grandi avec… Pourtant il s’agit bien d’une œuvre d’art originale. Un tableau dont le peintre norvégien Edvard Munch (1863-1944) a décliné cinq versions entre 1893 et 1917 pour symboliser l’homme moderne emporté par une crise d’angoisse existentielle, sur fond de fjord d’Oslo, vu depuis le quartier d’Ekeberg. Et il s’agit aussi de l’une des œuvres d’art à vendre qui a battu des records mondiaux, puisqu’une version a atteint les quatre-vingt-onze millions d’euros lors d’une vente aux enchères de Sotheby’s en 2012. Bref, Le Cri est une star. Mais Edvard Munch en est-il une ?

« De Munch on ne connaît souvent que Le Cri », reconnaît Claire Bernardi, directrice du musée de l’Orangerie et commissaire de l’exposition « Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort » qui se tient au musée d’Orsay du 20 septembre 2022 au 22 janvier 2023. « C’est un artiste qui s’est effacé derrière une œuvre. Son nom est familier sans l’être, on ne sait comment le prononcer. D’où vient-il, à quel siècle appartient-il ? Son œuvre est foisonnante, puissante, d’une grande cohérence. On est séduit ou pas, mais on est emporté par son univers », ajoute-t-elle dans l’interview accordé au journaliste Jérôme Coignard pour son article dans le numéro de septembre de Connaissance des arts. Le peintre tourmenté qui a inspiré l’Expressionisme allemand avant de devenir l’artiste phare du Symbolisme européen est entré dans la culture populaire sans le faire exprès.

Parce que même s’il a été un pionnier de l’art accessible à tous en montrant le sien dans les rues, les espaces publics et en pleine nature, on ne peut vraiment pas soupçonner Edvard Munch d’avoir été mû par l’idée de séduire en représentant obstinément la folie de la vie et l’angoisse de la mort… Une mort à laquelle il a violemment été confronté très jeune en perdant successivement sa mère puis sa sœur aînée Sophie, toutes deux terrassées par la tuberculose. D’où L’Enfant malade, tableau décisif qu’Edvard Munch peint à l’âge de 22 ans, qui fera scandale au Salon d’Automne d’Oslo de 1886 et dont il peindra six versions jusqu’en 1927. « L’amour, la solitude, la mort tissent désormais la trame d’une œuvre marquée par une vision pessimiste de la destinée humaine », écrit Jérôme Coignard.

Edvard Munch a 16 ans quand il décide qu’il sera peintre malgré la volonté de son père, médecin militaire l’ayant contraint à faire des études techniques d’ingénierie et considérant la peinture comme un loisir. A force d’obstination, le jeune Edvard parvient à suivre les cours de l’école royale de dessin et décroche même une bourse d’étude lui permettant d’être admis en 1885 à l’école royale de design. Il est notamment influencé par les grands naturalistes norvégiens de l’époque, Frits Thaulow (1847-1906) et Christian Krohg (1852-1925), mais aussi par la peintre Oda Krohg (1860-1935) ou le penseur anarchiste et féministe Hans Jaeger (1854-1910), ainsi que par les artistes français Edouard Manet, Paul Gauguin, Henri Matisse, Paul Cézanne, Auguste Rodin, Camille Claudel…  tout autant que par le dramaturge norvégien Henrik Ibsen (1828-1906), le poète français Stéphane Mallarmé (1842-1898), l’écrivain irlandais Oscar Wilde (1854-1900) ou le philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900)… Munch absorbe. Munch digère. Munch cherche.

D’abord « marquées par un réalisme austère, ses œuvres s’éclaircissent sous l’influence de l’impressionnisme dont il adopte aussi la touche, comme en témoigne Heure du soir de 1888 », note le journaliste de Connaissance des arts. Mais dès son Manifeste écrit en 1889, au moment de s’installer à Paris après y avoir fait un premier séjour en 1885, et avant de vivre à Berlin où il fera sensation en 1892 avec l’exposition de cinquante-cinq de ses œuvres, Edvard Munch prend ses distances avec l’impressionnisme. « Nous ne peindrons plus longtemps des intérieurs avec des hommes lisant et des femmes tricotant. Nous voulons peindre des êtres vivants, qui respirent, sentent, souffrent et aiment », écrit celui qui mettra un terme à sa période fébrile de voyages en 1908, pour revenir s’installer définitivement en Norvège.

La mort n’est pas la seule compagne de route de l’artiste. La folie lui rodera toujours autour elle aussi, à l’image d’une autre de ses sœurs, Laura Cathrine, qui sombrera dans une grave dépression avant d’être internée pour le reste de ses jours. Lui-même vivra en hôpital psychiatrique à sa demande en 1908, souffrant de graves troubles nerveux. Sa convalescence sous l’influence de Nietzsche et du courant vitaliste lui vaudra de libérer la couleur et le soleil dans de grandes toiles peintes en plein air. Et dans les années 1940, l’artiste fera vibrer la couleur pure dans ses autoportraits. « Loin du huis clos symboliste, le maître qui inspira les expressionnistes allemands fixe sa vieillesse pathétique dans les couleurs brûlantes de l’été », conclut Jérôme Coignard. Il n’empêche que le maître aura auparavant destiné presque tous ses tableaux à son grand œuvre baptisée La Frise de la vie.

Ce projet ambitieux d’allégorie comme une ballade populaire, allant de la naissance à la mort, est resté inachevé. Mais il regroupe les productions majeures des années 1890, comme Le Cri, Le Baiser, Vampire, Métabolisme ou Madone, lesquelles peuvent bien entendu tout à fait s’apprécier individuellement. « J’ai ressenti cette fresque comme un poème de vie, d’amour et de mort », écrivait Edvard Munch. D’où le sous-titre de la rétrospective du musée d’Orsay proposant pour la première fois en France une relecture globale de l’œuvre munchienne, entre érotisme macabre et éblouissement solaire, et qui, plutôt qu’un parti chronologique, adopte une approche cyclique permettant d’intégrer au récit des tableaux peints à des dates très éloignées les uns des autres. Une approche thématique plongeant le visiteur au cœur de la création obsessionnelle de Munch, et l’un des « plus » de l’exposition relevé par Connaissances des arts, avec aussi la force de l’œuvre graphique et la présence de chefs-d’œuvre comme Désespoir ou Nuit étoilée.

En « moins » bien entendu, le magazine d’art ne peut que déplorer l’absence du fameux Cri au milieu de la soixantaine de tableaux et d’un ensemble significatif de dessins et d’estampes que compte l’exposition parisienne : les deux versions du Musée Munch d’Oslo, légataire de l’artiste et partenaire de l’événement, sont devenues si fragiles qu’elles ne voyagent plus et ne sont plus exposées que quelques minutes chaque heure. On en retrouvera toutefois l’évocation avec une admirable lithographie de 1895 coloriée à la main en rouge, bleu et jaune. Et on aura très envie d’aller à Oslo, surtout qu’un nouveau musée dédié à Munch vient de sortir de terre sous la forme d’une tour de soixante mètres de haut s’inclinant vers le fjord, véritable œuvre d’art contemporain à elle toute seule conçue par Juan Herreros et Jens Richter.

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