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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Que justice soit faite aussi pour Rosa Bonheur !
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Août 2022 | Temps de lecture : 32 Min | 0 Commentaire(s)

A propos des quatre expositions rendant hommage à Rosa Bonheur à l’occasion du bicentenaire de sa naissance :

 

« Mon père, cet apôtre enthousiaste de l’humanité m’a bien des fois répété que la mission de la femme était de relever le genre humain, qu’elle était le Messie des siècles futurs. Je dois à ses doctrines la grande et fière ambition que j’ai conçue pour le sexe auquel je me fais gloire d’appartenir et dont je soutiendrai l’indépendance jusqu’à mon dernier jour », explique Rosa Bonheur (1822-1899) à Anna Klumpke (1856-1942), la jeune peintre américaine qui écrivit sa biographie. Celle qui partagea les dernières années de sa vie, devint sa légataire universelle et s’employa à pérenniser son œuvre. Heureusement que cette femme était là d’ailleurs ! Parce qu’une jeune guide faisant récemment visiter l’exposition consacrée à Rosa Bonheur à Bordeaux, la ville natale de la peintre, ne s’en cachait pas : « Moi-même ayant étudié à l’école des beaux-arts, je n’avais jamais entendu parler de Rosa Bonheur ! »

Est-ce vraiment parce que ses tableaux étaient considérés comme trop classiques que Rosa Bonheur, après avoir été la première femme artiste à recevoir la Légion d’honneur en 1865 en tant qu’illustre peintre animalière, a été complètement oubliée au XXe siècle ? N’y a-t-il de place que pour les œuvres d’art contemporain ou pour les œuvres d’art moderne dans l’enseignement artistique ? Il y en a pourtant d’autres, des peintres à l’œuvre classiquement réaliste, qui sont restés dans l’histoire de l’art. Bizarrement, ce sont des hommes.

Alors en cette année du 200e anniversaire de sa naissance, et en pleine époque de revalorisation des artistes talentueux qui n’avaient de femme que le genre, l’occasion était parfaite pour faire parler à nouveau de cette icône du féminisme. Car Rosa Bonheur a de son temps osé marcher sur les plates-bandes des hommes sans hésiter à s’affranchir de toutes les contraintes liées à son sexe. Non seulement en devenant la plus grande peintre animalière à une époque où le genre animalier n’existait pas encore vraiment dans l’art, mais aussi en lui consacrant des formats monumentaux qui étaient jusqu’alors réservés à la peinture d’histoire… et aux hommes. Et même en faisant renouveler tous les six mois sa « permission de travestissement » qui lui permettait de porter un pantalon pour travailler ! Parce que franchement, être engoncée dans moult jupons quand on passe des heures dans les foires aux bestiaux, dans les abattoirs ou dans la nature à observer les animaux jusqu’à en appréhender le moindre muscle, le moindre os, ce n’est vraiment pas pratique, en plus d’être carrément dangereux !

Bref, que l’on apprécie sa peinture ou pas, que l’on adore les animaux ou pas, impossible de rester insensible à l’histoire de Rosa Bonheur. A sa personnalité ajoutée à sa détermination. A sa pugnacité ajoutée à son talent. A son ambition ajoutée à son sens de la sororité. Car aujourd’hui encore, le château de By, la propriété qu’elle avait achetée avec la vente de ses peintures en 1860 à Thomery, en bordure de Fontainebleau, et où elle vécut avec son amie d’enfance Nathalie Micas et la mère de celle-ci, puis avec Anna Klumpke, sans mari ni enfants, mais sans qu’on ne sache jamais si oui ou non elle était homosexuelle, est toujours gérée par des femmes. Question de confiance. Question de « culte véritable » voué au souvenir de sa mère aussi. Une mère qui contrairement à elle s’était sacrifiée pour son époux et ses enfants avant de mourir de fatigue et de misère, et dont elle ne se consola jamais de la perte alors qu’elle n’avait que 11 ans.

Comme le rappelle Armelle Fémelat dans le numéro de juin de Beaux-Arts Magazine, Rosa Bonheur s’est engagée « corps et âme dans la représentation des animaux », quitte à en faire une « mission sainte », en « s’autoproclamant vestale de l’art ». Ne sommes-nous finalement jamais si bien servies que par nous-mêmes ? Son père, Raymond Bonheur, peintre et professeur de dessin, eu tout de suite foi en cette jeune fille déterminée qui du haut de ses 14 ans exprimait le souhait de se « rendre célèbre en se bornant à peindre des animaux ». Jamais elle n’en dérogea, ni ne compta les heures pendant lesquelles, inlassablement, elle se tint en compagnie de ses modèles à pattes, à plumes ou à poils.  Quand elle n’était pas absorbée dans les planches d’anatomie animalière.

Signant Rosa Bonheur dès 1844, du surnom affectueux que donnait sa mère à la petite Marie Rosalie qu’elle fut, excellant aussi en sculpture, l’élève dépassa bientôt le maître, et même ses frères et sa soeur, peintres et sculpteurs eux aussi, s’inclinèrent devant son talent qui bientôt les ferait tous vivre. Car si la ville de Bordeaux refusa d’acheter pour 12 000 francs son monumental « Marché aux chevaux » qui obtint un triomphe au Salon de 1853, un bien avisé marchand du nom d’Ernest Gambart lui en offrit 40 000 francs pour aller le revendre en Amérique, d’où le succès de Rosa Bonheur ne cessa plus de rayonner partout dans le monde. Et où il est désormais visible au Metropolitan de New York. C’est une installation numérique imaginée pour l’exposition actuelle qui permet de le détailler sous toutes les coutures, faute d’avoir pu lui faire traverser l’Atlantique.

Tout, elle devait tout connaître des bêtes, la passionnée Rosa Bonheur, pour en faire la représentation la plus fidèle possible. La plus belle possible. Au point que ses cavalcades de chevaux semblent hennir sur les cimaises du Musée des beaux-arts de Bordeaux, même lorsqu’elles sont inachevées. Au point qu’un visiteur, posté devant l’immense tableau d’un couple de lions que Rosa Bonheur avait été jusqu’à laisser vivre en semi-liberté dans sa propriété de By, s’exclama qu’ils étaient même finalement « plus beaux qu’en vrai » ! Pas sûr que l’artiste apprécie le commentaire. Ni que ce monsieur a déjà vu de vrais lions en bonne santé dans la nature.

« Mes chiens sont mes meilleurs amis. Je trouve en général les hommes stupides, et cela me flatte », écrivait Rosa Bonheur à son cousin en 1867. Sans avoir attendu d’avoir 45 ans pour le savoir. Exception faite de Buffalo Bill, qui la fascina et dont elle fit le portrait à cheval lorsqu’elle le rencontra juste après la mort de sa chère Nathalie Micas, perte qui l’avait laissée anéantie, les hommes sont flous dans les toiles de Rosa Bonheur. Très vite entourée d’animaux sauvages ou domestiques de toutes sortes, elle ne se lassait pas de plonger au fond de leur regard pour en déceler l’âme, au point qu’une visiteuse de l’exposition de Bordeaux, devant une série de portraits de chiens, se demandait si tout de même, elle ne leur avait pas fait un regard un peu trop humain. « N’est-ce pas là que se peignent les volontés, les sensations, des êtres auxquels la nature n’a pas donné d’autres moyens d’exprimer leurs pensées ? » aurait pu lui répondre Rosa Bonheur, comme elle le disait à Anna Klumpke. C’est sûr que le regard du bœuf blanc de son « Labourage nivernais », sa première commande officielle faisant se déployer un attelage de trois paires de bêtes de somme sur un tableau de 2,60 m de long, n’est pas forcément très agréable à croiser tant il semble en dire long sur la difficulté de son labeur…

 

Labourage nivernais

Labourage nivernais - Rosa Bonheur

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