Remonter
L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
Current locale language
Les artistes portugaises assurent depuis longtemps !
les-artistes-portugaises-assurent-depuis-longtemps - ARTACTIF
Juillet 2022 | Temps de lecture : 28 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Tout ce que je veux, artistes portugaises de 1900 à 2020 » qui se tient à Tours jusqu’au 4 septembre 2022.

Saviez-vous que la seule artiste femme à ce jour à avoir exposé au château de Versailles, au même titre qu’un Jeff Koons ou qu’un Anish Kappor, est une artiste portugaise ? En 2012, les pièces monumentales de style post-pop baroque de Joana Vasconcelos, née en 1971, y faisaient en effet dialoguer l’art contemporain avec les grands artistes de l’époque baroque, comme Jules Hardouin Mansart, André Le Nôtre, Charles Lebrun ou Jacques Anges Gabriel.

« Interpréter la danse mythologique de Versailles, la transporter dans la contemporanéité, évoquer la présence d’importantes figures féminines qui l’ont habité, en s’appuyant sur mon identité et mon expérience de femme, portugaise, née en France, sera certainement le défi le plus fascinant de ma carrière », confiait alors Joana Vasconcelos.

 

Il faut dire qu’elle avait fait une entrée fracassante dans le monde de l’art contemporain à la Biennale de Venise de 2005, avec son lustre ancien de six mètres de haut dont elle avait remplacé toutes les pampilles par des tampons hygiéniques ! Mettre en lumière les zones d’ombres féminines relevait déjà du défi.

Tout comme sa « Walkyrie » géante aujourd’hui visible à Lille, structure gonflable recouverte d’un patchwork de tissu suspendue dans le hall de la gare, ou son « Arbre de vie » trônant du haut de ses 13 mètres dans le fort du château de Vincennes pour raconter le geste d’indépendance radical de Daphné, préférant dans la mythologie grecque être transformée en laurier plutôt qu’obéir à l’injonction qui lui était faite d’épouser Apollon. Il faut dire que l’artiste star est bien entourée. Dans son immense atelier déployé au cœur d’un entrepôt du port de Lisbonne, ce sont quelque cinquante ingénieurs, artisans, architectes, couturières et brodeuses qui s’activent pour réaliser ses rêves. Et qui ont tous travaillé chacun chez soi pendant le confinement pour venir à bout des quarante mille feuilles richement brodées composant l’arbre de vie, bien déterminés à affirmer par la même occasion la vie qui continue au-delà du Covid-19.

Joana Vasconcelos fait bien entendu partie aujourd’hui des quarante artistes portugaises réunies à Tours, au Centre de création contemporaine Olivier Debré (CCCCOD), dans l’exposition « Tout ce que je veux, artistes portugaises de 1900 à 2020 » qui se tient jusqu’au 4 septembre 2022, dans le cadre de la saison France-Portugal organisée par l’Institut français. Pas moins de 400 œuvres d’art retracent ici plus d’un siècle de création portugaise au féminin.

Car elles sont quelques unes à n’avoir étrangement que récemment accédé à une reconnaissance internationale, à l’image de Paula Rego, dont les « Contes cruels » montrés au musée de l’Orangerie avait stupéfié Paris il y a trois ans. « Comment cette artiste octogénaire réputée avait-elle pu rester quasi inconnue en France ? Ses peintures et gravures narratives, qui mettent en scène des personnages aux figures goyesques dans des situations ambigües entre rêve et cauchemar, proposent une version grinçante de la comédie humaine sur fond de guerre des sexes », écrit la critique d’art Elisabeth Couturier dans le magazine d’art contemporain Art Press du mois de mai. N’hésitant pas à estimer que l’univers torturé de Paula Rego hisse son travail au même niveau de tension que celui de Louise Bourgeois ou de Francis Bacon.

La journaliste n’omet pas de citer aussi parmi les artistes du début du XXe siècle les compositions peuplées d’ombres et de silhouettes découpées de Lourdes Castro, née en 1930 et décédée cette année, les photographies qu’Helena Almeida (1934-2018) a faites de son propre corps en les soumettant à diverses expériences plastiques, les installations théâtrales, fantomatiques et poétiques d’Ana Viera (1940-2016)… ni d’évoquer l’œuvre de la grande figure de l’école de Paris que fut Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992). Des grands noms que l’on retrouve dans l’exposition de Tours aux côtés de ceux de Sarah Affonso (1899-1983), dont les autoportraits de style moderniste-primitiviste sont fascinants, de Salette Tavares (1922_1994), qui explore avec grâce la relation plastique entre mots et images dans ses compositions lettristes, ou d’Ana Hatherly (1929-2015) avec la fibre pop de ses affiches déconstruites.

Pour aller à la rencontre de la génération née plus tard, entre 1960 et 1975, Elisabeth Couturier est allée visiter quelques ateliers à Lisbonne en amont de l’exposition du CCCOD. Ainsi peut-elle nous raconter l’univers de l’artiste conceptuelle Fernanda Fragateiro, dont l’environnement très architectural conjugue esthétique rigoureuse et message critique tout autant que son œuvre. Nous parler de l’accueil que l’artiste-chercheuse Angela Ferreira lui a réservé dans son studio, au rez-de-chaussée d’un immeuble construit pour les artistes au moment de la « Révolution des œillets », qui avait permis en 1974 la chute de la dictature salazariste.  Non sans nous préciser que les œuvres d’art d’Angela Ferreira rapprochant colonialisme et modernisme, libérations africaines et utopies politiques, nécessitent un éclairage contextuel. Au contraire des peintures-collages exubérantes d’Ana Vidigal qui appellent l’émotion immédiate dans sa maison-atelier du centre-ville remplie d’objets fétiches. Si Angela Ferreira est elle-même née au Mozambique, ancienne colonie portugaise, avant de vivre sous l’apartheid en Afrique du Sud puis en Russie communiste, les mécanismes de l’oppression ne sont pas étrangers non plus à Ana Vidigal dont la famille a également vécu au Mozambique pendant de nombreuses générations. Et dont les compositions complexes superposent un geste pictural libre au collage de documents issus des archives de sa grand-mère.

C’est dans une galerie alternative baptisée « D’après Joseph Beuys » que l’artiste Maria Capello a donné rendez-vous à la critique d’art Elisabeth Couturier. Elle y expose sa dernière série de grandes toiles, des peintures expressionnistes figurant des montagnes déchiquetées par les traits hachurés de son pinceau, inspirées de la déflagration visuelle qu’a provoquée chez elle un film de Jean Grémillon datant de 1943, montrant des explosions dans un paysage minier vallonné du Nord de la France. Les tableaux de Maria Capello sont un choc tant l’énergie radicale y vibre. Tout comme les sculptures de Patricia Garrido, assemblages géants d’éléments de récupération assemblés au cordeau, qu’Elisabeth Couturier a pu découvrir dans le grand hangar qui sert de show-room à l’artiste, non loin de l’atelier qu’elle réserve à la peinture. Et dont on découvre notamment à Tours le « siège » qu’elle a réalisé d’après le moulage de son entrejambe, témoignant comme le fameux lustre de Joana Vasconcelos de la formidable autodétermination artistique que se sont octroyé les femmes portugaises dans une société si longtemps marquée par le patriarcat.

Discutons !
Personne n'a encore eu l'audace de commenter cet article ! Serez-vous le premier ?
Participer à la discussion
Exemple : Galerie spécialisée en Pop Art