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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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La vie nouvelle de l’art italien
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Juillet 2022 | Temps de lecture : 22 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Vita Nuova. Nouveaux enjeux de l’art en Italie. 1960-1975 » au Mamac à Nice jusqu’au 2 octobre.

Proximité géographique et culturelle oblige, Nice a déjà consacré de nombreuses expositions monographiques à des artistes italiens, comme Giovanni Anselmo, Enrico Baj, Pier Paolo Calzolari, Michelangelo Pistoletto, Mimmo Rotella ou Gilberto Zorio. Cette année, depuis le 14 mai et jusqu’au 2 octobre, le Mamac, musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice, propose avec « Vita Nuova » de s’intéresser plutôt à une période historique pour l’art italien, finalement très peu connue en France en dehors de l’Arte Povera : les années 1960-1975. Une période qui commence par les premières expositions dans les galeries romaines d’une nouvelle génération d’artistes nés entre les années 1920 et 1940, comme Franco Angeli, Giosetta Fioroni ou Jannis Kounellis… et s’achève par la mort tragique de l’écrivain, poète et réalisateur Pier Paolo Pasolini. Selon l’historienne de l’art Valérie Da Costa, interviewée par Richard Leydier pour le magazine d’art contemporain Art Press, « ces quinze années sont sans doute les plus florissantes pour l’art italien dans la seconde moitié du XXe siècle ».

Pensée de façon pluridisciplinaire et réunissant 56 artistes, dont de nombreuses femmes oubliées par l’histoire de l’art, l’exposition déroule son parcours en 120 œuvres d’art, tableaux, dessins, sculptures, installations… et documents d’archives issus des collections publiques et privées italiennes et françaises pour mieux explorer les liens qui se sont établis à cette période entre création visuelle, design et cinéma.

Alors que le début des années 1960 est marqué par une société de consommation florissante, que les médias et les studios de cinéma Cinecitta sont à leur apogée, le début des années 1970 sonne en Italie le glas des illusions de l’industrialisation dans une atmosphère économique et politique particulièrement tendue. Ce qui n’empêche pas Valérie Da Costa d’organiser son exposition autour de trois grandes thématiques plutôt que de façon chronologique. Société, nature et corps se partagent donc l’architecture très particulière du Mamac, pour accueillir les visiteurs avec des extraits de films de Michelangelo Antonioni, Federico Fellini ou Pasolini, avant de présenter la société italienne à travers la société de l’image, puis la reconstruction de la nature, et d’aborder enfin la question du corps à travers la mémoire. Le tout dans une très grande porosité.

Au fil de la section dédiée à la « Société de l’image », les œuvres d’art de Giosetta Fioroni, Cesare Tacchi ou Fabio Mauri illustrent parfaitement la représentation de l’image de la femme, qu’elle soit anonyme ou star de cinéma, tandis que l’occasion est donnée de revoir les images très novatrices pour l’époque de Lisetta Carmi, née en 1924 à Gênes et qui avait fait scandale en photographiant la communauté transsexuelle de sa ville natale. Ses photographies transgressives entrent parfaitement en résonnance avec le documentaire « Comici d’amore », réalisé en 1964 par Pasolini qui enquêtait sur l’amour et la sexualité à travers toute l’Italie, pays ô combien corseté par la religion et le patriarcat… Il est passionnant de découvrir comment cette génération d’artistes propose alors de nouvelles manières d’appréhender et de faire de l’art, dans une forme de « vita nuova », ou « vie nouvelle », un titre emprunté au livre éponyme de Dante qui, tout en étant une ode à l’amour affirme une nouvelle manière d’écrire, marque l’art italien de cette période et contribue à sa reconnaissance internationale.

Mais cette effervescence est bientôt contrebalancée par une tension politique et sociale accrue à la fin des années 1960, avec les événements du printemps 1968, les grèves de l’automne 1969, l’attentat de la Piazza Fontana en décembre 1969 ou le coup d’état Borghèse en 1970… autant de faits marquants qui susciteront de nombreuses réactions parmi les artistes.

Pour la section « Reconstruire la nature », Valérie Da Costa a judicieusement réuni des artistes ayant réagi à une société en plein essor économique et industriel en produisant soit des œuvres d’art créées avec des matériaux primaires comme le bois, l’eau ou la terre, soit des actions filmées en interaction avec le soleil, le vent, le sable et autres éléments naturels. Une belle occasion pour la commissaire d’exposition d’aller au-delà du fameux arte povera pour faire découvrir d’autres artistes souvent inconnus en France, voire complètement oubliés en Italie, ayant toutefois croisé la scène artistique américaine de leur temps. Comme Pino Pascali ou Mario Merz avec leurs installations, Laura Grisi, Marinella Pirelli ou Luca Maria Patella avec leurs films. Dans ces années-là, artistes et designers partagent un intérêt commun pour les formes de la nature revisitées : il s’agit de faire entrer l’art dans la vie.

« Ce qui toujours parle en silence, c’est le corps », écrivait Alighiero Boetti. Ainsi au début des années 1970 en Italie, de nombreux artistes utilisent leur corps comme un simple élément de référence. La perspective est alors ici plus conceptuelle que corporelle. Et le corps devient aussi un objet politique qui interroge le genre et l’histoire. Pour certains de ces artistes, cette expérience participative s’ouvre à l’espace public dans le but affirmé de faire un « art social ». En parcourant la section « Mémoires des corps », le visiteur verra comment les dessins d’Irma Blank ou les peintures de Giorgio Griffa sont le résultat d’un geste qui arrive presque à épuisement, que les sculptures de Marisa Merz et de Paolo Icaro portent les mesures du corps de l’artiste, que le corps est l’enjeu du travail performatif d’Eliseo Mattiacci, de Gino de Dominici ou de Fabio Mauri… « Vita Nuova » prend ici tout son sens. « L’idée est d’exposer la trace du geste, l’empreinte, et non pas la dimension spectaculaire du corps, comme dans le body art au même moment », précise Valérie Da Costa.

Beaucoup d’œuvres de cette exposition annoncent des productions et des collaborations ultérieures, comme le petit film d’Ugo Nespolo où l’on voit Pistoletto pousser une boule dans la rue, placé juste à côté d’un tableau de Renato Mambor relatant une autre histoire d’amitié entre artistes romains. Mais la politique est là aussi, bien présente. Qu’il s’agisse de l’installation hommage à Pasolini de Fabio Mauri en 1975, du tableau de Gianfranco Baruchello qui représente la pendaison de Mussolini en 1945, de la carte en lambeaux de Lucian Fabro ou de la première carte brodée de Boetti qui part en Afghanistan au début des années 1970, tout est réuni pour bien garder à l’esprit l’arrière-plan de ce formidable panorama artistique : celui de la Démocratie chrétienne et d’un Parti communiste surpuissant.

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